Le problème est que j’ai terriblement aimé. Tout est si compliqué quand on aime. J’admire les gens qui ouvrent leur amour comme un robinet et referment l’eau quand ils veulent. Ils ont un filtre sentimental qui empêche tout autre amour de pénétrer. Dans certains milieux distingués, on appelle ça de la conscience morale ou, pire, une haute idée de soi. Les années sont passées, des décennies entières, et chaque nouvelle ride tire un trait de plus sur une histoire que je n’ai jamais vécue. Une histoire d’amour unique et sans pareil.
Si vous voulez savoir, j’ai une oreille sélective. Quand ce qu’on me dit ne m’intéresse pas, je ne réagis pas. Quant à ma perte de poids, c’est trompeur. Je souffre d’insuffisance rénale et les repas qu’on me donne ici sont tout simplement indigestes. Manger sans sel, c’est comme nager dans une baignoire. Vous n’allez pas loin, mais vous ne vous noyez pas. Plus d’alcool, de jus de fruits. Je mange des pommes de terre si bouillies qu’elles en perdent leur goût initial.
C’est le besoin d’être plus riches, plus libres de s’encanailler avec qui elles veulent. Maryse Laframboise, que je considère presque comme ma fille adoptive, m’a dit que ce sont des « cougars ». Ne me demandez pas pourquoi les femmes riches et voraces de jeunes étalons sont surnommées d’après un félin. C’est vorace, un cougar, mais pas très séduisant quand il vous saute dessus.
Je me suis enfermé dans un silence plein de tristesse et peu à peu ce silence s’est transformé en mutisme total. Quand j’ai tenté de retrouver la parole, juste pour essayer, c’était trop tard. Parler me sembla trop laborieux. Il faut remuer les lèvres, articuler et varier son intonation. J’ai alors abandonné l’idée de me convaincre de retrouver la parole.
Je ne parle plus depuis quatre ans. Oh, ne vous apitoyez pas sur moi. La capacité de parler est surestimée. On devrait inventer autre chose. Quand on parle, on n’écoute pas. Depuis que ce phénomène s’est produit, j’entends bien plus. Surtout ce que je ne devrais pas entendre.
J’ai couru derrière le neuf. Toujours et encore. L’odeur du neuf, c’est enivrant. Pourtant j’aurais donné toute ma fortune pour connaître l’amour qui dure, celui où le cœur est rafistolé de fils d’or et qui étincelle dans la plus noire des nuits de la vie.