Je réalisais le vide que j’avais laissé se créer autour de moi ces dernières années. Pire encore, je prenais conscience que pour moins souffrir j’avais diminué la distance qui me séparait de Mathieu. Devenant critiquante pour supporter ses critiques, intolérante pour vivre avec son intolérance, injuste pour accepter son injustice, je n’invitais plus pour ne pas souffrir de ses refus d’inviter, m’éloignant de mes enfants comme il s’était éloigné des siens. […] Qui comprendrait ce que je ne comprenais pas moi-même ? Pourquoi pleurer cet homme que je refusais dans ma vie ? Pourquoi, brusquement, cette solitude à laquelle j’aspirais me semblait-elle dénuée de sens ?
[I]l me fallut un grand temps de pratique de cet homme, et pas mal d’incompréhensions, avant que je ne décrypte le langage de son affect, que je ne décode ses périphrases, circonlocutions, détours, autour et alentours du pot. Oui, non, étaient pour lui mots inacceptables, choquants par l’absolu de leur signification, remplacés dans ses discours par de brumeux « peut-être » et d’équivoques « je ne sais pas ». Il pensait oui, disait peut-être, j’entendais peut-être, il croyait avoir dit oui… bonjour les malentendus. De même, plusieurs mois de dialogues furent nécessaires pour que je prenne conscience du poids des mots, du choc des mots, de l’ambiguïté des mots.