Le colonel demeura assis, dans l'attente du jour nouveau et, pour la première fois de sa vie, il connut vraiment les rumeurs de la forêt. Cette nuit-là, il y en eut quinze que Procolo nota l'une après l'autre :
1) grondements sourds qui semblaient par instant sortir de la terre, comme si quelque séisme se préparait ;
2) bruissements de feuilles
3) grincement des branches ployant sous le vent ;
4) rumeurs des feuilles sèches sur le sol ;
5) bruit de branches mortes, de feuilles et d'épines tombant à terre ;
6) voix lointaine d'une eau vive ;
7) bruit d'un grand oiseau s'enolant de temps en temps avec un grand fracas d'ailes (peut-être un coq de bruyère) ;
8) rumeurs de quelques mammifères (écureuils ou fouines, renards ou lièvres) traversant la forêt ;
9) passage d'insectes sur les arbres ;
10) à de longs intervalles : bourdonnement d'un gros moustique ;
11) bruissement, vraisemblablement d'une couleuvre ;
12) hululement d'une chouette ;
13) doux chant des grillons ;
14) hurlements et plaintes d'un lointain animal inconnu, sans doute assailli par des loups ou des hiboux ;
15) mystérieux jappements.
[Dino BUZZATI, "Il segreto del Bosco Vecchio", 1935 (Le secret du Bosco Vecchio), chapitre XX - in "Dino Buzzati : Romans et nouvelles", Intégrale Tome I, page 122, traduction de Michel Breitman]
[Contexte de l'extrait : complice du vent Matteo, le vieux colonel Sebastiano Procolo vient d'essayer de perdre son jeune neveu Benvenuto dans le Bosco Vecchio. Par malheur, lui-même ne retrouve pas son chemin et doit passer la nuit dans la forêt... ]