Cette fois-ci la partie se prolongea sur trente-deux coups, après quoi, il resta sur le tablier les trois pièces blanches principales, face au roi noir, protégé par un seul pion.
Iossif aurait pu abréger bien plus tôt les souffrances de l'adversaire, mais il voulait l'inciter à se rendre, ce qui aurait épargné au colonel le déshonneur lié à la formule "échec et mat". Or, le guébiste ne se rendait pas, il faisait courir son roi deci delà, en constellant l'échiquier de gouttes de sueur, tandis que Iossif lui préparait échec après échec, jusqu'à ce que Biélitch lui adresse enfin un signe de la tête : "Achève-le !"
Iossif déplaça sa tour à l'horizontale et déclara :
- Échec et mat !
Le commandant fut sur le point de danser à la cosaque. Son visage avait rougi comme celui de Jamine, mais pour une autre raison : c'était du bonheur, alors que le colonel semblait au bord de l'apoplexie.
- Youpin ! répliqua le guébiste. Sale youpin ! À sa grande surprise, Iossif montra les dents :
- Amateur de sexe anal !
- Tu te permets de me parler comme ça, roquet ? fit le colonel bardé de décorations. D'un bond, il tendit la main vers son holster. Je vais te noyer dans les chiottes bâtard ! Je vais te fusiller sous les yeux de Lénine ! Mais qu'est-ce qu'il fout encore ici, Lénine ? Pourquoi vous ne l'avez pas viré de là, putain ?
Le commandant fut obligé d'intervenir :
- Remettons tout cela à plus tard, monsieur le colonel. Il y a des règles à respecter. Il faut jouer la troisième partie. Quand on a fait une promesse, on la tient. Après, vous pourrez fusiller Lénine lui-même, si cela vous chante.
Le dernier épisode lui était envoyé par une vessie pleine qui tira Arséni Andréiévitch du sommeil, quoique pas complètement.
En pilotage automatique, il quitta son lit et, sans ouvrir les yeux, pour rester en contact avec son rêve, il se rendit dans sa salle de bain à laquelle l'éclairage nocturne donnait une teinte légèrement verdâtre. Les deux pieds devant la cuvette, il abaissa son pantalon de pyjama et sa main s'aventura vers son bas-ventre. Rien. Elle ne parvenait pas à trouver l'objet de sa quête, l'appendice que l'organisme utilise en général pour se séparer d'un excès de liquide. Il lui fallut se réveiller afin de restaurer sa coordination. Ouvrant les yeux, il plaqua une main sur le mur, tandis que la seconde partait à la recherche de l'organe le plus important du corps masculin. Aucune trace... Tel un vieil ordinateur qui aurait planté, le cerveau d'Iratov analysait avec difficulté l'information transmise par voie tactile. Il dut se pencher pour activer sa vision. Et, à ce moment là, un cri d'agonie monta de sa conscience, comme si on venait de le perforer à l'aide d'un couteau électrique.
Il n'y avait rien !!! Que dalle !!!
Pendant une longue minute, elle se retrouva privée de l'usage de la parole. Dans sa main, agitant pieds et poings, gisait un homoncule tout nu, au petit visage fripé, à peine plus grand que l'index d'Alissa. Il était de sexe masculin et versait de minuscules larmes perlées.
- Il est vivant ! Lâcha la jeune fille qui poussa un cri, toute excitée par ce miracle inédit de la nature.
Un gnome ! J'ai attrapé un gnome ! (son âme vit alors naître quelque chose qui tenait de la fête improvisée). Un petit gnome ! Un petit gnome rien qu'à moi !
Après quoi elle se dit que ce n'était pas un simple gnome, mais un petit Schtroumpf tout ce qu'il y avait d'authentique. Si elle-même n'avait jamais vu ce dessin animé étranger, plusieurs filles de sa classe étaient allées le regarder à Vladimir et n'avaient ensuite cessé de parler avec enthousiasme de ces bonshommes rigolos.
- Alors t'es un Schtroumpf ? Chuchota-t-elle au petit bonhomme.
Sa découverte cessa de sangloter pour poser ses minuscules mirettes sur le visage d'Alissa.
- Qu'est-ce que t'es mignon !
Bien entendu, l'homme est une créature suprêmement hautaine, et il considère son cerveau comme le summum de la Création Divine.
Etait-ce la faute d'Alexandra si la nature avait commis l'erreur de loger son âme de femme dans un corps d'homme?
Il avait des doigts très fins pour un conducteur de tracteur, des doigts qui savaient jouer avec une telle virtuosité de l’instrument qu’était le corps féminin que souvent, aux moments paroxystiques de la nuit, elle se mettait à crier :
— Mon Richter ! (Ou parfois :) Van Cliburn !
Ce à quoi il répondait :
— il y a sur toi plus de touches que sur un piano à queue ! En fait, tu es tout entière un assemblage de touches ultrasensibles.
- Tu te baignes ? demanda la jeune fille avec une indifférence feinte, avant de répondre pour elle-même : Moi oui.
Avec ces mots, elle priva complètement Ilya de forces et de raison. Pendant un instant, il lui sembla qu'Aïza allait aussitôt enlever son pantalon de satin, découvrant ses jambes nues aux mollets puissants, surmontés de genoux ronds couverts d'un duvet blond, avec, encore au-dessus, un ventre plat orné du petit trou du nombril; ensuite, elle jetterait sa chemise aux manches courtes sur le sable, mais ce qu'il y avait dessous, ce qui pointerait comme des noyaux de cerises sous le coton blanc, Ilya ne pouvait plus se le représenter, ayant peur d'en mourir. Même sans cela, tout son corps était secoué de forts tremblements, et une ancre marine vint inopinément alourdir son pantalon, ce qui … l'obligea à tourner son ancre du côté où brûlait le soleil, pour que la jeune fille ne raille pas sa faiblesse inattendue.
Se rendant compte soudain de la présence d’une tierce personne qui observait leurs contorsions amoureuses, elle a voulu arrêter le train qui prenait de la vitesse, mais ses freins avaient lâché depuis longtemps et, tout en m’aguichant du regard, elle n’a pu qu’émettre des cris sauvages qui sonnaient de façon obscène à mon oreille. Quand il n’a plus de freins, un train siffle frénétiquement, comme pour faire ses adieux, avant de s’écraser et de former un amas de métal ratatiné mêlé de chair. Elle a lancé son chant du cygne.
Il aimait passer ses nuits avec Svietlana Ivanovna. La vice-rectrice en était au stade où la fleur est encore pleine de force et de beauté, mais on y sent une légère fêlure, à l’apogée même de cette floraison après laquelle débute un flétrissement à peine perceptible. Or, à l’approche de cette chute inéluctable, les pétales dégagent un parfum si suave, si épicé…
Le premier amour est toujours bref. Il doit en aller ainsi. Soit tu en conserveras un souvenir plutôt désagréable, soit il deviendra pour toi l’étoile du berger. Tout ce qui t’arrivera dans ta vie, tu l’évalueras à l’aune de ce premier sentiment.