Dominique Depenne

Cet ouvrage nous amène à nous interroger sur le sens de l'accompagnement de l'autre en tant que professionnel du travail social. Cet autre avec son altérité, sa singularité, son mystère, cet autre qui nous échappera toujours. Il nous amène ensuite à clarifier les notions de morale, de déontologie et d'éthique. Alors que les deux premières notions sont placées sous le signe de l'uniformisation et du clivage (bien/mal, bonnes pratiques/mauvaises pratiques), l'éthique accueille la pluralité et tend vers l'émancipation de l'autre.

Si l'on déroule devant l'autre nos connaissances professionnelles, si l'on a besoin de cet autre pour flatter notre narcissisme, si l'on sait ce qui est bon pour l'autre mieux que lui-même, alors il ne pourra y avoir de véritable rencontre ni de réel accompagnement.

Dans une équipe de travail au sein d'une institution, l'organisation va tendre vers la mise en conformité des acteurs et vers leur cohésion mais ce n'est pas pour autant que cette équipe sera cohérente dans son travail d'accompagnement.

On ne peut pas se passer d'une organisation mais c'est à chacun des acteurs de rester vigilant à ce que cette organisation reste fidèle à sa mission d'accueil et d'accompagnement de personnes vulnérables. Sinon, elle risque de déshumaniser et de prendre le chemin de la toute-puissance sous couvert de rationalisation. L'éthique doit toujours primer sur l'organisation.

Des passages très intéressants sur la notion de cadre (donner un cadre ou offrir un cadre), sur l'affectif (travailler avec l'affectif différent d'être affecté), ou encore sur le sens des activités, sur la stigmatisation et sur toute la richesse du quotidien.

Un ouvrage de référence pour qui s'intéresse au secteur social et aux dérives auxquelles on assiste actuellement. Un ouvrage qui invite à garder les yeux ouverts et à résister à la pression ambiante au nom de l'éthique et du respect dû à la personne accompagnée.

Hier soir, au journal de France 2, on faisait la connaissance de Zora, un robot à 15000 € qui stimule les personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer au sein d'un EHPAD de luxe et une psychomotricienne de nous expliquer tous les bienfaits dudit robot… No comment.

Paru en 2014, il s’agit d’un plaidoyer pour résister contre une tendance présente dans le travail social qui consiste à se mettre à distance de l’autre dans la relation d’accompagnement. Sous couvert de technicisme, de pragmatisme, la société ambiante nous incite à moins de proximité dans la relation à la personne accompagnée, comme si cette proximité présentait toutes sortes de dangers pour le professionnel. L’auteur se demande d’où vient l’idée qu’on ne serait un bon accompagnant qu’à partir du moment où on saurait se tenir à distance de l’autre, le mettre à distance de soi. Pour lui, aucune relation éthique respectueuse de la singularité et de l’altérité de l’autre ne se peut par sa mise à distance.

Pour lui, il s’agit là de ce qu’il appelle un « bluff idéologique » qui s’appuie sur une confusion ténue entre proximité et relation fusionnelle. Car en effet, comment peut-on aider quelqu’un si on le considère d’emblée comme une menace ?

S’appuyant sur la pensée d’Emmanuel Levinas, de Norbert Elias et de Georg Simmel, il va progressivement faire la démonstration claire que la relation d’accompagnement, même si elle a nécessairement besoin d’un cadre, mais que celui-ci ne doit pas être enfermant et qu’il doit laisser la place à la rencontre. Sinon, il y a un risque de chosification d’autrui, de le réduire à un symptôme, un numéro de dossier. Il propose d’offrir un cadre plutôt que de le poser car poser un cadre vise l’enfermement, offrir un cadre au contraire veut libération et émancipation de l’autre.

« La relation n’a rien à faire d’une quelconque mesure géométrique » et l’accompagnement au sens éthique du terme exige une proximité. C’est pour lui dans cette proximité que va pouvoir se faire la rencontre mais aussi l’aventure de la relation.

L’auteur nous met en garde également, dans cette période de rationalisation économique sur le risque de rationaliser les relations, de les rendre froides, il montre comment les outils finissent par instrumentaliser les personnes accompagnées comme les professionnels. Un autre danger évoqué est celui du savoir : je pose un diagnostic qui m’amènerait à savoir ce qui est bon pour la personne accompagnée. Ce pseudo-savoir empêche pour lui la rencontre.

Dominique Depenne nous invite à considérer la proximité comme un processus entre les deux pôles de la distance et de la fusion, proximité dans laquelle vont pouvoir se construire l’empathie, le dialogue et la relation. Il nous invite aussi à garder les yeux ouverts contre les risques que présente une institution exerçant une pression continue sur les usagers comme sur les professionnels.

Excellent ouvrage que je recommande pour toute personne engagée dans une relation d’accompagnement.