On s’émerveille de ces dernières années passées dans la solitude comme d’un exploit surhumain, alors que, je le répète, on devrait s’étonner qu’ils ne soient pas plus nombreux, les écrivains qui s’enferment tranquilles chez eux pour écrire. Ce qui est surhumain, n’est-ce pas le cirque de la vie ordinaire avec son cortège de futilités et d’obligations ? Pourquoi s’étonner que quelqu’un qui vit d’abord par les livres choisisse de bon cœur de leur sacrifier le contact avec ses semblables ? Il faut avoir une bien haute opinion de soi-même pour vouloir tout le temps être entouré de qui nous ressemble.
Dans certaines villes, les volontaires se pressaient pour rejoindre les rangs tant de l'Union que de la Confédération, s'étirant en deux longues files d'un côté et de l'autre d'une même rue, frères, cousins, voisins se saluant de la main avant de prendre les armes les uns contre les autres.
Elle sort plutôt au jardin, rentre avec une brassée de fleurs. Elle tresse les violettes pour en faire un collier qu'elle noue autour du cou de sa sœur, puis glisse entre les doigts glacés deux héliotropes encore tièdes de la lumière du soleil, accompagnés d'un billet où est tracé : Pour notre cher ami, le révérend Charles Wadworth.
Même dans la mort, il faut rester courtois.
Vous n'avez pas besoin que je vous explique le moyen de sortir d'un labyrinthe : il suffit simplement de refaire à l'envers le chemin que nous avons parcouru ensemble. [...]
Mais il est un autre moyen de sortir d'un labyrinthe : c'est d'inventer soi-même le chemin au fur et à mesure, jusqu'à la sortie, que l'on invente aussi.
Aucun éloge jamais ne pourra rendre justice à Emily, il aurait fallu le faire composer par les abeilles ou les merles, l'écrire à même l'encre pâle des nuages. Ou alors laisser dans le journal une page toute blanche.
Constat apparenté : on est toujours le Moyen-Age de quelqu'un.
Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, quand les canons se seront tus, le temps va s'arrêter sur les berges du lent cours d'eau, il va s'allonger dans l'herbe, s'assoupir et faire le même rêve pendant des générations au cours desquelles les femmes montreront en silence à coudre à leurs filles de curieuses courtepointes que personne ne verra, toutes différentes et toutes mystérieusement apparentées, uniques et soeurs. À même les restes de la vie quotidienne, elles tailleront des morceaux de ciel, échafauderont des maisons, dessineront des labyrinthes pour assembler des ouvrages dont chacun est un miracle.
Ce n'est pas un hasard si on emploie le même mot pour nommer la sentence imposée à un criminel et la douleur causée par la perte d'un être aimé : la peine.

« Cloître », du latin « claustrum », qui signifie « enceinte ».
Depuis toujours les mots « femme enceinte » me semble étranges. Petite, j’ai longtemps entendu « femme en ceinte », comme « en voyage », « en colère », ou « en pantalon », bref un état passager qui serait, en termes grammaticaux, de l’ordre de la classification plus que de la détermination. Les choses ne se sont pas améliorées quand j’ai voulu vérifier ce que signifiait le mot. Selon le Trésor de la langue française, le verbe « enceindre » désigne le fait d’ « entourer, contenir dans certaines limites ». Or à l’évidence, la femme enceinte n’est pas entourée ni contenue, c’est en fait le contraire : elle est elle-même le contenant.
J’ai fini par résoudre la difficulté le jour où j’ai compris que le mot « enceinte » ne devait pas être entendu comme un adjectif, mais comme un substantif. Une femme-enceinte, c’est une femme qui est non pas enceinte de quelque chose, mais qui forme elle-même une enceinte. Une femme-cloître.
"Une bibliothèque, vous voyez, tentait cet après-midi d'expliquer Robert au frère Clément, c'est aussi un jardin : cessez de vous en occuper et elle meurt."
[...]
"Les livres n'existent que tant qu'ils sont lus et recopiés pour aller continuer leur vie ailleurs, comme les fleurs qui répandent leurs pétales."