Sabine Jolivet, contrairement à son habitude, resta figée devant l'imposante structure, gorgée de soleil, de la tour CB351. La beauté diaphane de ce building, nouvel emblème de la Défense, la fascinait soudain. La façade, son double vitrage bleuté à certains endroits, ses panneaux d'aluminium argentés et ses ailes à pans coupés surmontés d'une flèche torsadée, toute hérissée de pics, complétaient le décor foisonnant de ce quartier d'affaires. 6 300 postes de travail existaient en son sein, dont le sien. L'édifice n'avait rien d'humain, il lui évoquait une image de fractale décolorée ou un énorme crustacé tourné vers l'infini, ou encore une grosse chenille processionnelle ; pour elle, ce déferlement de symboles excentriques et colossaux relevait plus d'une psychose de l'architecte que d'une construction rationnelle de l'esprit. Au pied de ce monstre de glace, les fumeurs tels des lilliputiens, tiraient une dernière bouffée sur leurs cigarettes incandescentes, avant de s'emmurer.
Il n'était pas insensible au charme de cette jeune femme, il se demanda ce qu'elle faisait dans cette compagnie d'assurance, elle aurait dû être mariée et mère de famille. Sa vision de la vie féminine se réduisait trop souvent à cette fonction première, il n'aimait pas dépendre du bon vouloir d'une femme pour traiter de ses affaires. La beauté de son interlocutrice avait un côté agaçant pour lui, autant il aurait aimé l'avoir à déjeuner au "Pré Catelan", où il avait ses entrées, autant il lui déplaisait de devoir la recevoir pour cette histoire de vol qu'il voulait oublier. (p.34)