Que ferais-je si je me retrouvais en prison ? C'est la question que se pose Mathieu Palain en écrivant le récit de Toumany Coulibaly, ancien champion de France d'athlétisme, incarcéré pour vols et cambriolages. Plus que le témoignage - presque classique - de la descente aux enfers d'un enfant de banlieue intelligent et talentueux, "Ne t'arrête pas de courir" est l'occasion pour Mathieu Palain de se demander : comment arrive-t-on là où nous sommes ?
Le choix de raconter la vie de Toumany Coulibaly n'est pas un hasard pour le journaliste qui régulièrement dans sa carrière aura documenté la vie en prison et rencontré des détenus et anciens détenus, de la Normandie aux États-Unis. C'est donc d'un oeil de connaisseur que Mathieu Palain nous fait entrer dans les enceintes des prisons et l'intimité des parloirs.
Un récit qui tend donc à sensibiliser les conditions de vie en incarcération, en écho à la publication mardi 21 septembre dans le Journal Officiel, des dernières recommandations de la Controleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot. Elle nous rejoindra en deuxième partie pour présenter son état des lieux des centres d'incarcération en France pendant la pandémie.
Mathieu Palain est journaliste et auteur de "Ne t'arrête pas de courir" (L'Iconoclaste, 2021) et de Sale Gosse (L'Iconoclaste, 2019).
Dominique Simonnot est contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
L'invité des Matins de France Culture.
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• Un si gentil 'papa'...
Damien a écrit à ses enfants une jolie lettre, depuis sa cellule, où il purge 4 ans, dont 3 ferme, pour avoir, devant eux, cogné la tête de leur mère à coups de pierre. Sauvage au point de lui infliger trois mois de travail, début juin 2018.
Avant de saisir la pierre cachée dans son blouson, il avait dit à sa femme, qu'il frappait depuis des années : « C'est vraiment fini ? C'est fini pour tout le monde ! » et « Si tu me quittes, je te découpe en rondelles ! ». Et aussi évoqué l'affaire Dupont de Ligonnès, « qui a réuni toute sa famille dans le jardin. »
Sa jolie lettre a fait frémir son ex-épouse. Il y parle à la troisième personne. « Papa est le plus fort », « papa maîtrise les bons coups » (aux échecs) [...]. Et, surtout, « quand il sortira, papa vous emmènera au restaurant 'La Boucherie'. (...) Peut-être, comme disent les jeunes, que ce sera une tuerie. » Et, plus loin, « Papa est plus qu'optimiste. Papa atteindra ses objectifs pour vous, mes enfants. »
Que des phrases à double sens, selon celui que l'on veut bien lui donner ou comprendre. Le courrier est agrémenté d'une couronne dessinée où les quatre enfants et 'papa' figurent, entourés de fleurs et de soleils joyeux. Seul un triangle ne porte aucun nom. Griffonné en marron, lugubre, barré d'une sorte de croix faite de papier collant.
Avocate de l'épouse terrorisée, Anne Bouillon a déposé une plainte. 'Papa' a été interrogé par les gendarmes et a nié farouchement toute signification louche de ses écrits.
N'empêche, poursuivi pour menaces de mort, il a comparu le 6 novembre à Rennes. Et, surprise, le procureur a demandé sa relaxe au motif que les menaces n'étaient pas « suffisamment explicites ». 'La Boucherie' n'est qu'une simple chaîne de restaurants, il y en a même un près de chez le magistrat. Et, après avoir cherché sur Internet, ce proc a dit avoir découvert que 'tuerie' avait un sens positif, citant à l'appui cette phrase :
« Paulette, ta tête de veau est une tuerie. »
En attendant le délibéré, qui sera rendu le 11 décembre, l'avocate furieuse a écrit au procureur général, disant sa cliente 'consternée' par cet 'abandon' de l'institution judiciaire.
Ce procureur n'a apparemment pas entendu parler d'un Grenelle des violences faites aux femmes ni d'immenses manifs ? Ni que la magistrature et toute la société étaient censées être mobilisées...
Il devait certainement être en train de déjeuner au restaurant en bas de chez lui.
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• article dans le Canard enchaîné du 27/11/2019
Combien d'œuvres littéraires ou musicales, de la "Carmen" de Bizet à l'Esméralda de Victor Hugo, ont- elles érigé les Bohémiens en héros? Magnifiques, fantasques, farouches, tragiques, séducteurs, toujours étranges, toujours mystérieux.
Plus surprenant est le choix d’un âge très tendre pour former une grande et belle famille. Ce mariage précoce – il avait eu cours, en Europe, dans la noblesse et non, comme on pourrait l’imaginer, dans la paysannerie – offrait bien des avantages. Surtout à une époque où l’on mourait très jeune. Ceux qui se marient très tôt ont des enfants très tôt, qui, à leur tour, en ont très tôt. Tous les petits sont confiés à la garde de la grand-mère – la mère du père de famille – elle-même encore jeune et solide. Mature, sans être vieille, elle a un rôle central pour charpenter la famille et faciliter la transmission. Aujourd’hui cette figure perdure, réincarnée, sur les campements, sous la forme de cette « grand-mère », qui, souvent sans lien de parenté avec quiconque, veille sur tous les gamins.
Normalement, les journalistes sont célèbres, on les voit à la télé et tout le monde les salue. Dominique m’a expliqué qu’elle écrit dans un journal et qu’elle ne va jamais à la télé. Je la crois, mais je suis déçue, je préférerais que les gens nous disent bonjour quand on se promène ensemble. Personne ne m’avait jamais proposé d’écrire un livre avant et c’est très dur, il faut beaucoup de concentration et faire très attention, sinon, il peut arriver que je dise une chose et que Dominique comprenne l’inverse.
« Les Roms ont beaucoup appris aux Français, aux Noirs, aux Arabes, aux Blancs. Grâce à nous, eux aussi se nourrissent dans les poubelles, ramassent de la ferraille et revendent dans les brocantes. »
Lorsque le mur de Berlin est tombé, que les portes se sont ouvertes, malgré leurs histoires très éloignées les unes des autres, un agglomérat s’est formé, unissant, confondant l’histoire des Sinti, des Tziganes de l’Ouest et des Roms de l’Est. Toutes les communautés parlant le romani étant alors regroupées sous la nouvelle appellation de « Rom », qui, en romani, signifie « homme ».
« Pour nous les Roms, la poubelle c’est comme un magasin, on en sort à manger, des vêtements, des chaussures, des livres et plein d’autres choses encore ! Beaucoup de Roms se sont fait une vie meilleure, grâce aux poubelles de France ! »
Tout au contraire, la vie des Tziganes, philosophait-elle, est une vie sans droit. À se demander pourquoi l’Union européenne a fait rentrer la Roumanie dansl’Europe, si c’était pour refuser aux Roms les mêmes droits qu’aux autres. C’est triste à dire, mais partout où vont les Tziganes, on les regarde de travers, on leur dit toujours non !
En Roumanie, un si beau pays, dont Ludovica, Romina et Craï ressentent, sans cesse, la nostalgie, eh bien c’est encore pire ! Pourtant, l’argent de l’UE y coule à flots, pour les Tziganes, tout le monde sait ça ! Des milliards ! Et tout ou presque, jusqu’aux colis humanitaires de la Croix-Rouge, est volé par les hommes politiques. Ludovica était intarissable. Ces vols étaient révoltants. Et si elle en avait le pouvoir, elle irait, en personne, dans chaque mairie de Roumanie, vérifier où passait cet argent.
Chacun, Rom ou Roumain, avait un logement. Et les propres parents de Craï ont même pu s’acheter une maison, où ils sont encore. C’était l’égalité. Hélas, dès l’assassinat du président et de sa femme, tout avait été chambardé. Fini, plus de travail, plus de logement. Les Roms sont redevenus pauvres et méprisés, comme ils l’ont toujours été. En Roumanie, il y a beaucoup de racisme, surtout contre les pauvres ! En France, c’est beaucoup, beaucoup mieux, quand tu n’as pas de logement, tu appelles le 115 et ça y est, tu vas à l’hôtel !
"Les Roms ont beaucoup appris aux Français, aux Noirs, aux arabes, aux Blancs. Grâce à nous, eux aussi se nourrissent dans les poubelles, ramassent de la ferraille et revendent dans les brocantes."