Citations de Don Winslow (811)
Parce que, parfois, quand on est brisé, brisé au point de ne plus savoir qui on est, il arrive qu’on se retrouve. Et alors on est plus fort qu’on ne l’a jamais été, suffisamment fort pour, avec toute cette colère, cette haine et cette rage, stopper l’hémorragie.
Il se forme un cal à l’endroit de la fracture, qui nous rend plus fort.
Tu sais pourquoi le gouvernement veut mettre fin au crime organisé ? On le concurrence.
Il n'y avait que deux ventilateurs au plafond qui offraient à la poussière et aux cadavres de mouches un tour de manège pépère et puis de toute façon, ça ne s'est pas arrêté là où ça aurait dû.
Parce que O-Bop s'était complètement dégonflé. Ses couilles, on dirait qu'elles ont roulé par terre, ça ne sert à rien de pousser plus loin.
J'ai vu pas mal de choses dans les couloirs de la mort. Il y en a une que je n'ai encore jamais vue : c'est un homme blanc et riche.
Nous pourrions saisir de quoi assurer un hiver blanc au Minnesota, la neige n'en continuerait pas moins, tout simplement, à arriver. Nous pourrions saisir suffisamment d'argent liquide pour régler la dette nationale, qu'il continuerait à couler à flots. Tant que le trampoline mexicain fonctionnera, rien de tout ça n'aura d'importance. La coke rebondit de Colombie au Honduras, au Mexique, puis aux États-Unis. On la transforme en crack et elle rebondit joyeusement dans la rue.
Il passe devant un immeuble abandonné que le propriétaire a rendu aux rats et aux cafards, afin de chasser les habitants, espérant qu’un junkie y mettra le feu en chauffant sa came pour pouvoir toucher le fric de l’assurance et vendre le terrain.
Gagnant-gagnant.
Tous les inspecteurs de La Force sont des rois, mais Malone – sans vouloir manquer de respect à Notre-Seigneur – est le roi des rois.
Manhattan North est son royaume.
Comme n’importe quel roi, ses sujets l’aiment et le craignent, ils le vénèrent et le détestent, l’encensent et le vilipendent. Il a ses loyalistes et ses rivaux, ses sycophantes et ses critiques, ses bouffons et ses conseillers, mais il n’a pas de véritable ami.
Sauf ses équipiers.
Russo et Monty.
Ses frères rois.
Il est prêt à mourir pour eux.
Il avait fallu utiliser tout l’argent, le pouvoir et l’influence de la famille, des avocats, le chantage, l’extorsion, mais ils l’avaient fait libérer – ou plutôt Adán l’avait fait libérer – après seulement dix-huit mois.
Seulement dix-huit mois.
Un an et demi dans une cellule de deux mètres sur quatre, vingt-trois heures par jour, seul. Une heure pour prendre une douche ou faire de l’exercice dans une cage laissant entrevoir le ciel.
Quand il était revenu, en empruntant le Paseo del Norte qui menait à Juárez, Elena avait failli ne pas le reconnaître. Amaigri, pâle, hagard : un fantôme. Son fils de trente-cinq ans, amoureux de la vie, semblait en avoir soixante.
C’était il y a un an.
Et puis, un jour, il avait vendu deux cent cinquante grammes de coke à un agent de la DEA infiltré, dans un motel de San Diego.
Deux cent cinquante grammes, se dit Elena. Une quantité infime, stupide. Ils avaient exporté des tonnes de cocaïne aux États-Unis et Rudolfo était tombé pour une demi-livre. Le juge américain l’avait condamné à six ans de détention.
Dans une prison fédérale de haute sécurité.
À Florence, Colorado.
Parce qu’il porte le nom de Barrera, se dit Elena.
La meute de hyènes aurait dévoré vivante la petite Eva, elle l’aurait déchiquetée, si elle l’avait trouvée. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. La presse avait envahi Culiacán et Badiraguato. Un journaliste californien ambitieux avait même déniché l’appartement d’Eva à La Jolla. Ne l’ayant pas localisée, ils harcelaient Elena.
« Où est Eva ? Où sont les garçons ? Des rumeurs affirment qu’ils ont été kidnappés. Sont-ils vivants ?
— La Señora Barrera s’est isolée, répondit Elena. Nous vous demandons de respecter son intimité dans ces moments difficiles.
— Vous êtes des personnages publics.
— Non. Nous sommes des entrepreneurs privés.
Une poignée de pesos glissée au garde-frontière lui permet d’entrer au Mexique. Il parcourt à pied les quinze kilomètres jusqu’au village de Campeche, où le raid a été planifié.
Il ne marche pas, il titube.
L’adrénaline sécrétée lors de la fusillade qui a débuté avant l’aube est retombée, et il sent l’ardeur du soleil, la chaleur de la forêt tropicale. Ses jambes lui font mal, ses yeux le brûlent, la puanteur des flammes, de la fumée et de la mort lui colle aux narines.
L’odeur de la chair calcinée ne vous quitte jamais.
Alors, Keller est retourné au Mexique pour reprendre la traque de Barrera mais, après huit ans, il est devenu son allié, il s’est joint à lui pour éliminer les Zetas.
La peste plutôt que le choléra.
Mission accomplie.
Seulement Barrera a disparu.
Et maintenant Keller marche.
Ensuite, conformément à leur accord, précaire et fatidique, Keller s’est enfoncé dans la jungle pour y dénicher Adán Barrera.
Il avait l’impression d’avoir passé toute sa vie d’adulte à le traquer.
Après vingt ans d’efforts, il avait enfin réussi à l’envoyer dans une prison américaine, pour apprendre qu’il avait été transféré dans un pénitencier au Mexique, dont il s’était rapidement « évadé » pour devenir le parrain du cartel de Sinaloa, encore plus puissant qu’avant,
Les deux principales cibles de la mission de Keller, les chefs des Zetas, sont morts. Décapité pour l’un, transformé en torche humaine pour l’autre.
Keller est tombé sur cette scène, littéralement, l’hélicoptère qui le transportait ayant dû se poser d’urgence après avoir été touché par une roquette. Mais il n’était pas vraiment innocent dans cette histoire, car il avait convenu avec le boss du Sinaloa, Adán Barrera, de venir accompagné d’une équipe de mercenaires pour éliminer les Zetas.
Barrera a piégé ses ennemis.
Problème : ils l’ont piégé avant.
La plupart des morts sont des narcos, des tueurs appartenant à des cartels rivaux, venus ici prétendument pour faire la paix. Ils ont négocié une trêve, mais au cours de la débauche qui a suivi, afin de célébrer leur réconciliation, les Zetas ont sorti des armes à feu, des couteaux et des machettes, et ils ont massacré les Sinaloans.
Art Keller sort de la jungle guatémaltèque tel un réfugié.
Il a laissé derrière lui une scène de carnage. Dans le petit village de Dos Erres, des corps s’entassent, certains à demi consumés parmi les cendres encore fumantes du bûcher où on les a jetés, d’autres dans la clairière où ils ont été abattus.
Art Keller a passé la majeure partie de sa vie à faire la guerre de l’autre côté de la frontière. Maintenant, il est chez lui.
La guerre l’a suivi.
Il récupère l’arme du policier, un Glock 9 mm, et avance au milieu des arbres, vers le tireur.
Keller hurle : « Couchez-vous ! Ça tire ! Couchez-vous ! »
Mais il comprend que ça ne sert à rien. Le mémorial est devenu un piège mortel. Le Mur forme un large V et il n’y a que deux issues, au bord d’une 15allée étroite. Un homme et une femme d’un certain âge qui courent vers la sortie est, vers le tireur, sont immédiatement abattus. Ils s’écroulent tels les personnages d’un horrible jeu vidéo.
À cet instant, Keller aperçoit le garçon, puis, sur la droite, en direction du Washington Monument, cet étrange éclat de lumière, inattendu. Il se précipite vers la mère et l’enfant et les plaque au sol.
Il se retourne ensuite pour protéger Mari.
La balle le fait pivoter sur lui-même comme une toupie.
Il plisse le front et tourne la tête brusquement.
Le sang se répand dans ses yeux. Il voit rouge littéralement lorsqu’il agrippe Marisol pour l’obliger à se coucher.
Elle lâche sa canne, qui tombe bruyamment dans l’allée.
Keller couvre son corps avec le sien.
D’autres balles frappent le Mur au-dessus de lui.
Il entend des éclats de voix, des hurlements. Quelqu’un s’écrie : « Un tireur fou ! »