La magie de Babkino avait opéré. Tchekhov envoya Le Chasseur à Pétersbourg, un récit court et sans prétention dans lequel il est question d’un garde-chasse, imitant le style de Tourgueniev en hommage au romancier décédé un an auparavant. Le récit doit également beaucoup aux perceptions subtiles de Levitan et à l’atmosphère de Babkino. Ses personnages de paysans annoncent deux des histoires d’amour à venir: un homme apathique et une femme frustrée sont incapables de communiquer, tandis qu’autour d’eux la nature vit sa vie. La nouvelle, parue dans La Gazette de Saint-Pétersbourg le 18 juillet 1885, retint l’attention des lecteurs pétersbourgeois.
Il (Anton Tchekhov) conseilla à ses frères ainés de lire l'essai de Tourguéniev, "Hamlet et Don Quichotte". L'influence de cette étude du antihéros russe transparaît dans les personnages tchékhoviens, qui, comme chez Tourguéniev, soit agissent sans réfléchir tel Don Quichotte, soit réfléchissent interminablement sans agir tel Hamlet (p. 63).
La pratique de la pêche insuffla du lyrisme à l’écriture de Tchekhov, qui parvient notamment à poétiser les obsessions du pêcheur à la ligne dans La Lotte. Voir les paysages à travers le regard de Levitan enrichit également son travail: du fait des longues marches qu’ils firent ensemble en mai 1885 – avec fusils et bâtons ou couleurs et chevalet – les paysages de Tchekhov devinrent aussi vivants que ceux de son ami peintre. La famille Kisselev contribua, elle aussi, à son évolution: il puisait des idées de récits pour Eclats dans leurs anecdotes au sujet du monde des arts et dans les magazines et romans français que lisait Maria Kisseleva.
En guise d'honoraires, Palmine lui offrait souvent un poème, rarement de l'argent comptant (je rappelle que Tchékhov était médecin).
Vous êtes, j’en suis sûr, appelé à écrire quelques œuvres admirables, réellement artistiques. Vous vous rendriez coupable d’un grand péché moral si vous ne répondiez pas à ces espérances.