AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Edgar Cabanas (28)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Happycratie

Le charlatan creuse sa piscine sur le dos de Narcisse.

Avec mon mauvais esprit, je ne risque pas de devenir Happycondriaque.

Les deux auteurs de l'essai Happycratie dissèquent façon légiste la rapide propagation de la tyrannie du bonheur via son bras armé, la psychologie positive.

La psychologie classique s'adressait aux personnes en souffrance, victimes de pathologies. Logique mais marché de niche. La psychologie positive a repeint d'un vernis pseudo scientifique la méthode Coué pour s'imposer aux personnes bien portantes.

Les puristes diront que la pensée positive de ce bon Emile Coué de la Chataignerie, pharmacien de son état, repose sur l'imagination alors que la psychologie positive agit surtout sur la volonté. Néanmoins, elles utilisent les mêmes techniques d'autosuggestion et une certaine forme de placardisation des pensées négatives. Vive l'hémiplégie émotionnelle.

Naguère, le bonheur était une utopie, une promesse de l'au-delà. Depuis que dans nos sociétés occidentales, nous avons pris conscience de notre finitude et que nous avons moins à nous soucier de notre survie, le port de la ceinture du bonheur est obligatoire. Inversons la pyramide de Maslow qui faisait du bonheur un aboutissement de vertus pour en faire un postulat et évitons la page blanche sur Instagram.

Je partage assez le point de vue des auteurs et je trouve que l'individu est beaucoup plus complexe qu'une dichotomie simpliste entre « le bon et le mauvais ». Attention, je ne suis pas contre le bonheur, j'aime bien être tout contre dans certaines situations, loin de moi l'idée d'être un mauvais coucheur... Néanmoins, je développe une certaine allergie à ces techniques placébos qui imposent à la bestiole que je suis de se raconter des histoires et d'être aveuglement positif, résilient et productif. Des acariens souriants. Désolé, je suis attaché à mes idées noires et je n'ai pas envie de vivre dans une publicité pour huiles essentielles.

Les apôtres de la psychologie positive, Martin Selingman en tête, ont inventé une équation qui rend chacun responsable de son propre bonheur. Ainsi, le smile éternel serait issue de 50 % de gênes, 40 % de facteurs psychologiques et 10 % de facteurs extérieurs. Autant dire que l'éducation, le sexe, l'état de santé, la condition sociale, l'âge, l'éducation et l'humeur du jour impacteraient de façon marginale nos émotions. De la roupie de sansonnet bien pratique qui rend l'employé responsable de son licenciement, le malade suspect de sa maladie, l'affamé coupable de la disette et qui hérisse à juste titre le poil du sociologue.

Il est vrai que de prime abord, le bon sens pousse à privilégier une pensée positive à une pensée négative. On ne se fait pas trop de mal à se faire du bien. Mais prétendre que grâce à la position du lotus, un coach de vie et trois tisanes, le positif attire le positif, que les jolies pensées construisent un mur contre l'immigration clandestine des aléas de la vie, nous sommes en droit et en devoir d'être sceptique. Il me semble que les lois de l'attraction aimantaient plutôt les contraires. Plus grave selon l'auteur, ce postulat induirait à contrario que si nous sommes frappés par l'adversité, ce serait la faute de nos seules pensées négatives. On rentre dans l'ésotérisme pour rendre moins insupportable l'injustice du destin et trouver un alibi à la fatalité.

Sur la forme, de construction très académique, cet essai intéressant se prend un peu trop au sérieux et enchaîne les redondances. Un peu d'humour n'aurait pas nui à l'ouvrage et aurait permis d'économiser une bonne centaine de pages.

J'adhère moins à certaines thèses de l'auteur, notamment celle qui associe exclusivement l'émergence de la psychologie positive à l'idéologie néo libérale. Il y a certes une marchandisation du bonheur et il suffit d'observer la pandémie de coachs en tout genre et de livres sur le sujet pour s'en convaincre. Néanmoins, accordons que la pensée positive dans ses mantras se soucie aussi du rapport à l'autre de façon bienveillante et qu'Aristote évoquait déjà l'idéal de bonheur bien avant l'émergence de Wall Street.

Le bonheur n'est pas plus exclusif de l'égalité que de la liberté.

je me sens définitivement plus citoyen que psytoyen.

Happy end



Commenter  J’apprécie          779
Happycratie



Les auteurs ont fait du beau travail à démontrer comment les apôtres de la "psychologie positive", ce qui sonne peut-être, de prime abord, moderne et méritoire, est loin d'être positive dans la mesure où cette doctrine nie l'aspect social et fait fi de bien d'autres aspects fondamentaux de cette soi-disante science. Ce sont Eva Illouz et Edgar Cabanas qui ont forgé ce charmant terme de "Happycratie" pour désigner l'essor incroyable, en une bonne décennie de temps, et la place considérable de "l'industrie du bonheur" dans le monde contemporain. Une industrie qui brasse des sommes folles sans beaucoup d'égards au destinataire final de leurs efforts : l'individu et son réel bonheur.



Selon le père spirituel de cette mouvance moderne qui nous vient des États-Unis, Martin Seligman né en 1942 à Albany (New York), la recherche du bonheur de l'homme est, en fait, très simple : "tout un chacun peut réinventer sa vie et atteindre le meilleur de lui-même en adoptant tout bonnement un regard plus positif sur soi et sur le monde environnant". C'est l'oeuf de colon : votre bonheur ci-bas ne dépend que de vous, de votre attitude et de vos efforts, tout le reste est baliverne et compagnie. Votre origine, milieu, situation géographique, familiale et sociétale, votre éducation (ou manque d'éducation), votre emploi etc. ne sont que des bagatelles.



Le succès de cette belle théorie psychologique, exposée dans son manifeste "Le bonheur authentique" de 2002, a été immense, pour ne pas dire foudroyant, malgré les "simplifications théoriques abusives, tautologies et contradictions" (page 45). Le mot "platitudes" me paraît en vérité plus approprié.



La raison de ce succès est lié au succès du néolibéralisme. Une telle "science" est une aubaine pour le patronat et les multinationales. Coca-Cola l'a très vite compris et a créé sans hésiter la "Coca-Cola Institute of Happiness". Il va de soi que pour des managers de tous genres, des directeurs des ressources humaines dans les entreprises (avant appelés plus prosaïquement directeurs du personnel) et des coachs de tout gabarit c'est un merveilleux cadeau.

Pas étonnant que Seligman fût élu président de l'APA ("American Psychological Association), la plus grande association dans ce secteur, qui compte 117.500 membres, et cela à une écrasante majorité de voix.



Cela revient un peu à la variante du slogan électoral de Donald Trump : "Make Psychology Great Again !"



Mais ce n'est pas uniquement en Amérique que la psychologie positive du bonheur a trouvé ses chantres. Outre-Manche il y a le noble Sir Richard Laylard de la "London School of Economics" qui a poussé le bouchon même un brin plus loin dans son "Le Prix du bonheur : Leçons d'une science nouvelle" de 2007 et qui est surnommé entretemps le "tsar du bonheur".

Cette nouvelle science ne constitue cependant pas non plus un monopole anglo-saxon, des politiciens comme Pinochet au Chili et Nicolas Sarkozy en France par exemple en sont tout à fait convaincus et dans l'émirat de Dubaï un "Ministère du Bonheur" a même vu le jour.



D'après les auteurs le nombre de bouquins dédié à notre bonheur est devenu complètement incalculable. "Juste avant le tournant du siècle, on recensait chez Amazon 300 livres dont le titre comportait le terme en question ; aujourd'hui on en compte plus de deux mille." Idem pour l'explosion de tweets et de posts Instagram et Facebook.



Et comme de bien entendu, la politique n'est pas restée dans l'expectative devant cette manne céleste, qui permet de couper brutalement dans les allocations dites sociales. Pour certains gouvernements de droite c'est une occasion rêvée de tenter à remettre en question l'acquis social. Un acquis qui a demandé des décennies de luttes et d'efforts à mettre en place.



Pour certains fanatiques de la nouvelle doctrine il faudrait remplacer les données statistiques du produit national brut, PNB, par une espèce de produit national de bonheur, comme si une telle notion serait objectivement quantifiable. Mais pour arriver à des chiffres, aucun problème : ces nouveaux experts élaborent des questionnaires plus ou moins sophistiqués que le commun des mortels est supposé remplir, en vue d'aboutir à des données chiffrées, qui servent de base à leurs théories. N'oublions pas que ces experts sont payés pour leurs travaux créatifs par une gamme de sponsors du monde économique et financier, par le biais d'associations de "bienfaisance" créées spécialement à cet effet.



Je n'irai pas aussi loin qu'à prétendre que Martin Seligman, Sir Richard Laylard et consorts sont des "nuls" bien sûr, mais il me paraît incontestable, qu'emportés par leur succès, ils ont perdu une bonne part de leur esprit critique et scientifique. Les grands responsables de cette regrettable débauche sont évidemment les industriels qui ont sorti leurs calculatrices pour stimuler ces psychologues dans le sens de leurs gains escomptés. Et les dons, subventions et autres aides atteignent des montants vertigineux. Argent qui serait certainement mieux utilisé comme aide aux personnes qui vivent dans la misère. Selon certains énergumènes ces aides sont contreproductives, car elles empêchent les individus affectés d'avoir recours à leurs splendides programmes d'épanouissement personnel !



Dans leur livre, Eva Illouz et Edgar Cabanas citent le cas d'un spécialiste de la réduction d'effectifs dans les entreprises qui disait à un employé, père de famille, qui perdait son travail après des décennies de loyaux services à la suite d'une restructuration, que la perte de son job était "une occasion inespérée de se transformer et de transformer son existence..." (page 118). Lorsqu'on est près de la retraite, formé sur le tas et qu'on a un ménage à entretenir les "encouragements" de cet expert, royalement payé lui, auront à coup sûr des effets de bonheur mirifiques !



Autre exemple de l'ampleur de ce phénomène : il existe une application sur le net "Happify" qui compte plus de 3 millions d'utilisateurs. Une des applications les plus lucratives pour smartphones, dont l'accès coûte 11,99 dollars par mois et qui permet de sélectionner les contributions les plus "positives" pour en faire de temps à temps un bouquin, qui est vraisemblablement acheté par le même public.



À lire certains passages de ces psychologues positifs modernes, on ne peut que regretter la rigueur de leurs prédécesseurs, tels Wilhelm Wundt, Ivan Pavlov, Sigmund Freud, George Herbert Mead, Alfred Adler, Carl Gustav Jung, Henri Piéron, Jean Piaget, Hans Eysenck etc.



Un mot sur les auteurs. Edgar Cabanas est docteur en psychologie rattaché à l'institut Max Planck de Berlin et professeur à l'université Camilo José Cela de Madrid. Eva Illouz est née à Fès au Maroc, a enseigné à l'université de Princeton et à l'École des hautes études sociales de Paris. L'hebdomadaire allemand sérieux "Die Zeit" la considère comme une des 12 intellectuelles les plus influentes au monde.
Commenter  J’apprécie          5319
Happycratie

Le bonheur a un prix ,la preuve ,il se vend

Et surtout ,surtout je l’achète …

J’avoue que j’ai succombé aux sirènes (c’est un comble ) du développement personnel .

Ce livre me réveille et révèle la supercherie et super’chère quête du bonheur .

En effet malgré et à cause de cette consommation effrénée de ces pourvoyeurs de la positive attitude je découvre grâce à ces auteurs qu’en fait je n’ai pas changé d’un jota ou d’un delta ou d’un oméga peu importe …

Je reste moi-même aussi imparfaitement parfaite .

Commenter  J’apprécie          234
Happycratie

Les auteurs ignorent que les hommes se sont toujours préoccupés de vivre moins malheureux et plus heureux. Pour eux, « la recherche du bonheur est l’un des traits les plus distinctifs de la culture nord-américaine » (p. 13). Faire des recherches sur le bonheur et enseigner les résultats c’est faire le jeu de « la société capitaliste néo-libérale ». Faire croire que le bonheur des peuples est une chose essentielle « c’est la stratégie de Pinochet au Chili, suivi de Cameron au Royaume-Uni et de Sarkosy en France » (sic, p. 53).

N’étant pas à une contradiction près, les auteurs affirment que les recherches sur le bonheur — notamment l’analyse des « Big Data » —n’ont « quasi rien appris » (p. 59), mais affirment un peu plus loin que ces analyses permettent aux grandes entreprises « d’exercer une influence non seulement sur les aspects les plus courants des existences individuelles, mais aussi sur les modèles comportementaux les plus généralisés ».

La « psychologie positive » est la cible privilégiée. Les auteurs affirment que ce courant « a insufflé de l’oxygène à une discipline, la psychologie, chroniquement incapable de trouver son objet d’étude » (sic, p. 41). Pour eux ce courant est « une industrie mondiale pesant des milliards ». Sans fournir leurs sources, ils affirment que le Centre de psychologie positive de l’université de Pennsylvanie a reçu « des sommes énormes » de « personnages ultra-conservateurs », de multinationales (notamment Coca-Cola) et des Émirats arabes. La psychologie positive serait « une sorte de pornographie émotionnelle » (p. 12s).

Pour eux, les procédures qui aident les personnes — en particulier les travailleurs — à mieux gérer leurs émotions ne font rien d’autre que le jeu des patrons : elles façonnent « le citoyen néolibéral idéal » et produisent des « happycondriaques ».

Un défaut majeur de l’ouvrage est que la psychologie positive est présentée comme une doctrine unifiée. En réalité c’est l’étude, en principe scientifique, de ce qui permet de vivre plus heureux, et le résultat actuel est loin d’être une conception totalement unifiée. L’autre grand reproche aux auteurs est qu’ils publient un ouvrage de 270 pages pour exposer quelques idées qui peuvent tenir dans un article. Sur ces idées, il existait d’ailleurs déjà un bon nombre d’articles parfaitement redondants.


Lien : https://moodleucl.uclouvain...
Commenter  J’apprécie          170
Happycratie

Les deux auteurs s'attachent à démonter l'idée de la "psychologie positive" comme étant plutôt un phénomène du marché du bonheur.



Difficile de trouver un point d'équilibre optimal entre l'optimisme excessif, le pessimisme excessif et le réalisme excessif. Ce livre s'attaque à la "happycratie" comme l'idéologie du bonheur. Je caricature : tout est beau, la vie est belle, il n'y a pas de problème et si on n'est pas heureux c'est parce qu'on ne regarde pas les choses du bon côté. C'est devenu le fond de commerce du développement personnel et de certaines sectes. Un vrai business.



J'adhère à la plupart des arguments. Néanmoins, il y a deux points qui me dérangent dans le contenu de ce livre.



Il y a des gens qui sont excessivement pessimistes, excessivement optimistes ou excessivement réalistes. Les "excessivement" sont, en général, des situations pathologiques. Un peu d'optimisme peut parfois faire du bien, Donc, si on enlève la partie "marché du bonheur", peut-être que la psychologie positive peut être utile à certains.



L'autre point qui me dérange, et beaucoup plus, est la mention fréquente au "néolibéralisme", presque en l'accusant d'être le coupable de l'apparition de ce marché du bonheur. Je pense que l'auteur, comme beaucoup, confond corrélation et causalité.



Il est vrai que s'il y a une demande, il y aura de l'offre. C'est un mécanisme économique archi connu, valable partout. S'il n'y avait pas des malades, la médecine n'existerait pas. C'est valable pour toute branche de la psychologie, d'ailleurs. Et aussi la psychanalyse.



Je crois voir dans les différents écrits de Eva Illouz qu'elle a une tendance politique anticapitaliste (mais je peux me tromper). Il n'y a pas de mal à être de l'un côté ou de l'autre. le problème est de ne pas laisser un biais cognitif dû à ses convictions personnelles s'insérer dans ses activités scientifiques. C'est un point très difficile à régler lorsqu'on travaille en sciences humaines, en particulier la sociologie, la philosophie et, dans ce cas, la psychologie.

Commenter  J’apprécie          160
Happycratie

C’est lorsqu’on ne reconnaît plus le sens d’un mot qui nous est pourtant intimement familier, lorsqu’on suppose qu’un détournement de sa signification a eu lieu sans pour autant saisir à quel moment, au cours de quel détour rhétorique (à la suite de quel sophisme…) et surtout dans quel but il s’est produit, lorsqu’à partir de prémisses qui semblent de bon sens l’on est confronté à des conclusions qui sonnent faux, lorsqu’une certaine répétition obsédante d’une petite musique de persuasion nous assaille, c’est alors que l’on se rend compte avec effroi que nous vivons déjà dans un monde orwellien. Le mot dont parle ce livre, c’est « le bonheur » ; le détour idéologique, c’est la dénommée « psychologie positive » née de Martin Seligman au tournant du XXIe siècle ; la résonnance de cette mélodie incantatoire, et la raison de son fulgurant succès mondial dans un si grand espace de notre vie sociale et économique, sont à mettre en relation avec son absolue compatibilité, sa congruence, la coïncidence de ses finalités avec le néolibéralisme.

Fondée à la fois sur une négation axiomatique du savoir psychologique pluri-centenaire fondé sur thérapeutique des pathologies psychiques, la psychologie positive a d’abord une visée inverse : responsabiliser toute personne, et d’autant plus les « saines », au sujet de leur propre bonheur, quantifiable, universel, individuel, décontextualisé et toujours absent, toujours insuffisant, toujours perfectible – à l’instar de la flèche du paradoxe de Zénon –, en leur faisant d’abord accepter les adversités comme autant d’opportunités pour affiner leurs qualités de résilience. La poursuite du bonheur, axiome indiscutable sous peine des stigmates de « malade » et de « déméritant », est une voie unique, un idéal imposé, une norme en passe de devenir impérative, dans des contextes multiples. En effet, si ce bonheur-ci est essentiellement politique, mètre et objectif des politiques publiques, critère d’évaluation du progrès social, fondement d’une métamorphose de la morale (ch. Ier), il devient aussi argument d’autorité, tout particulièrement en temps d’incertitudes et de précarisation sociale (ch. II). En particulier, l’idéologie du bonheur a colonisé irréversiblement le monde du travail (ch. III). Mais le bonheur de la psychologie positive est devenu aussi une industrie en soi, voire une « marchandise fétiche », dont les produits sont les thérapies positives, la littérature du self-help et du développement personnel, voire même des applications téléphoniques ad hoc (ch. IV)… En élargissant les champs d’application de cette idéologie, on la découvre en outre déjà opérante (sans surprise) dans les armées, mais aussi dans le langage, comme système d’évaluation du normal et de l’anormal, du sain et su maladif, des émotions « positives » et « négatives ». En somme, dans l’happycratie, le règne du bonheur, il est question d’un ensemble simplifié à l’extrême de critères de jugement des comportements, actes et sentiments qui a pour effet une culpabilisation du souffrant, un discrédit de tout autre but existentiel que celui qui est imparti ; il contient enfin d’implacables moyens de déconsidérer non seulement les critiques de son idéologie pernicieuse, mais la pensée critique tout entière.

La prose est parfois un peu aride, les redites ne sont pas absentes, mais elles sont sans doute nécessaires à déceler le « nœud », le « point de rupture » entre le sens généralement acceptable des concepts et le moment de leur détournement idéologique.

Commenter  J’apprécie          81
Happycratie

C’est avec beaucoup d’excitation que j’attendais de lire cet ouvrage, commandé à Noël et attendu avec impatience. Cela fait vraiment des années que le discours ambiant sur le bonheur me choque, et je dois le reconnaître, je suis plus sensible à la vertu, la morale ou la pensée critique qu’au bonheur comme fil conducteur de nos existences (même si c’est loin d’être facile, j’en conviens).



Happycratie n’est pas un essai simple à lire en raison de son écriture très académique, mais c’est un essai franchement salvateur. Un des rares essais qui tentent de nous faire conserver notre pensée critique en nous extrayant de la norme ambiante qui nous pousse non plus à travailler notre pensée, mais à écouter nos émotions, et uniquement elles. Comme si par ailleurs les émotions pouvaient être fiables et à elles-seules nous montrer ce qui est bon pour nous ! (Il suffit de comparer ses émotions ivre mort à minuit et frais à jeun à 8 heures du matin pour comprendre que les émotions peuvent nous induire en erreur !).



Publié en août 2018, et rédigé sous la plume de la sociologue Eva Illouz et du psychologue Edgard Cabanas, Happycratie a marqué par son sujet mais n’a pas pour autant freiné cette frénésie du bonheur, dont les auteurs nous démontrent l’aspect inutile, parfois dangereux, et individualiste. Énormément de contenu dans cet ouvrage très dense ! J’ai donc décidé de le résumer en principaux points clefs, en espérant ne pas commettre de contre-sens :



• La quête incessante du bonheur, et tout ce qui en découle, n’est que le pendant sociétal de l’individualisme libéral. Dans nos pays occidentaux, l’individu prime économiquement sur le collectif. Alors qu’auparavant les moyens de la France, de l’État, et des collectifs étaient les points de focalisation de nos économies, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, l’individu prime. Le fonctionnement même de l’économie est fondé autour de l’individu et lui seul : sa carrière, ses impôts, sa formation, son patrimoine etc. Que cela vous plaise ou non, que vous vous y retrouviez ou non dans cette doctrine, c’est la vérité de notre monde aujourd’hui. Indéniablement s’en est suivi un certain nombrilisme psychologique, relationnel et sociétal : il faut s’occuper de soi avant les autres. Soi avant son entreprise, soi avant sa famille, soi avant son pays, soi avant toute chose. C’est un paradigme très récent, car rappelons que pendant des années, « soi » était au service de la communauté, de la religion, du collectif, de la famille, de l’armée, du pays.



• Ce paradigme du soi essentiel, du soi à protéger, du soi à rendre meilleur, à rendre heureux, de ce « soi » qui doit toujours être en changement, en train d’apprendre est dangereux et culpabilisant. Bien sûr, chercher à voir l’aspect positif des choses et à vouloir devenir meilleur sont des démarches louables dans l’idée, mais fausses dans la réalité. D’abord, le bonheur ne se décrète pas, et rien ne dit qu’il est une fin en soi, une émotion plus intéressante que les autres. Les grands changements de société se sont faits sous le coup de la colère du peuple. Les plus belles œuvres d’art ont majoritairement été conçues durant des périodes de tristesse profonde. Les émotions dites « négatives » ne sont pas mauvaises, elles sont simplement des émotions comme les autres ! D’où vient cette injonction épuisante à « voir la vie en rose », à « positiver », comme si là était la vérité et non ailleurs ? Faut-il vraiment méditer, se lever à 5h du mat, avoir des pensées positives, chercher à tirer la leçon de tout, comme si cela faisait vraiment de nous des êtres en chemin ? Mais en chemin pour quoi, pour où, si ce n’est pour se conformer aux pensées, aux idéologies qui nous dominent ?

Les auteurs expliquent très bien le côté dangereux et culpabilisant de cet individualisme « psychologisant » : à force de croire que l’on peut être heureux si on le décide, on s’empêche les uns et les autres de faire part de nos faiblesses, de nos moments down. Il suffit de regarder Instagram pour vérifier combien nous nous empêchons de montrer à autrui autre chose que nos moments de « bonheur ». D’ailleurs, les rares individus qui s’y plaignent sont vite jugés insupportables. Pourquoi ? Parce que tout à chacun est maitre de son bonheur voyons ! Et celui qui n’arrive pas à être heureux est celui qui n’y met pas du sien et continue obstinément à voir les choses négativement. Voilà la pensée dominante aujourd’hui. Ce nombriliste individualiste ne nous permet plus d’avoir de la compassion pour autrui, mais nous ouvre la porte du jugement et du filtre « marche avec nous ou crève ». Mais pire que tout, cette pensée dominante tournée sur « le bonheur pour chacun » nous détourne complètement de la société. Nous devenons tous tellement centrés sur nos émotions que nous ne nous indignons plus pour les sujets de société. Et forcément, puisque cette idéologie nous pousse à penser que les personnes dans la merde sont un peu responsables de là où elles sont. Qu’importe les morts, les maladies, les accidents, car tout ça, c’est dans la tête si l’on en croit la psychologie dominante. Un peu de résilience voyons ! Après tout, on peut avoir une vie horrible, mais si on a une volonté de fer dans la tête, si on positive, on peut ne pas vraiment en souffrir. Voilà ce que nous apprend la psychologie positive : à se foutre de tout à part nous-mêmes, à ne plus se battre pour des idéaux autres que le bonheur à tout prix. Penser ainsi, c’est suggérer que l’environnement, la société, le monde, n’ont aucune influence sur l’individu, qui peut à lui seul refuser de subir les aléas de la vie grâce au pouvoir de son cerveau. Or, nous sommes avant tout des êtres sociaux. Je recopie ici un passage du livre qui résume tout cela :



« La forteresse intérieure n’est pas l’endroit où nous voulons construire nos vies. Nous ne voulons pas vivre dans l’obsession égocentrique de l’amélioration de soi, qui n’est qu’une façon de se discipliner à outrance, de se censurer. L’idée d’une meilleure version de nous-mêmes à laquelle il s’agirait de parvenir n’est que chimère et faux-semblant, et nous n’entendons pas nous épuiser à la poursuivre. Nous refusons de nous retrouver prisonniers de postulats prétendant que l’amélioration des sociétés ne passerait que par l’amélioration des individus ».



Les auteurs citent également le philosophe Robert Nozick qui enseignait à Harvard en reprenant son expérience. Imaginez-vous dans une machine vous fournissant à la demande telle ou telle sensation de plaisir. La personne s’installant dans une telle machine pourrait vivre à chaque seconde la vie plaisante qu’elle souhaite vivre. La question est la suivante : Pour vous, une telle machine est-elle préférable à la vraie vie, assurément moins agréable ? Si votre réponse est non, alors vous comprenez que le bonheur n’est pas un fil conducteur pertinent. Mais contribuer au monde, oui.



• Contribuer au monde, c’est sortir de ce nombrilisme ambiant certes, mais aussi être en mesure de tenir une pensée critique. Or, l’industrie du bonheur nous rend bêtes, dans le sens où nous ne cherchons plus d’autres vérités, d’autres accès au savoir. Désormais les gens ressassent des banalités issues du bon sens et les répètent comme des mantras philosophiques. On s’ennuie ferme du point de vue de la pensée, et c’est bien dommage. Les livres de développement personnel ont pris le pouvoir et nous éloignent de la sociologie, de la philosophie, de la « vraie » psychologie ; bref, de tout ce qui offre un regard sur le monde (et pour cause puisque que l’on ne regarde que soi). Or, nous pouvons choisir autre chose. Bien sûr, nous sommes touchés par ce discours ambiant. Bien sûr, malgré nous souvent, nous sommes l’esclaves de ces mantras puissants. Mais nous pouvons faire l’effort de nous en détacher. Nous pouvons essayer de mieux comprendre le monde, de faire l’effort de lire, de chercher, de comprendre, de se mobiliser, de se battre pour des causes collectives. Nos enfants ne nous admireront pas parce que nous avons « tout fait pour être heureux ». En revanche, ils admireront sûrement avoir des parents qui se battent pour que le monde aille mieux, même si pour cela, pour y parvenir, eux n’ont pas toujours été heureux !



• Enfin, cet essai retrace l’aspect économique du bonheur. Tout ce qui peut s’y rattacher de près ou de loin se vend. Tout est bon pour nous faire croire que nous allons être plus heureux. La Feel good littérature, les goodies de psychologie positive, les bouquins de développement personnel, les heures de coaching, etc., etc. Il y a toujours quelque chose pour nous convaincre soit que nous ne sommes pas assez heureux, soit pour nous convaincre que nous pouvons l’être encore plus. Et cela rapporte énormément, du moins d’un point de vue économique. Car comme le montre bien l’ouvrage, les populations de nos pays occidentaux ne sont pourtant pas plus heureuses. Et oui, les drames de la vie courent toujours, et tous les mantras du monde n’y peuvent rien.





Peut-être que toutes ces émotions déplaisantes ne sont pas là pour nous faire grandir ou autres, peut-être sont-elles juste là, comme tout le reste ? Peut-être que grandir ne veut rien dire quand nous en venons tous à répéter les mêmes phrases, les mêmes banalités de la psychologie positive ? Et si, au lieu de nous faire grandir, la psychologie positive nous rendait tous plus ou moins identiques, tenant tous plus ou moins les mêmes discours, tous plus ou moins asservis à la cause des individualistes libéraux ? Il faut avouer que cette interrogation est franchement interpellante, et que cela vaut le coup de se la poser.



Un essai pas simple, pas facilement abordable, mais « game changer » pour reprendre l’expression consacrée. Il y a indéniablement un « après » la lecture. Je terminerai en reprenant la dernière phrase du livre :



« Cette industrie du bonheur ne fait que perturber et brouiller notre capacité à connaître les conditions qui façonnent notre existence ; elle rend aussi nulle et non avenue une telle capacité. Ce sont la justice et le savoir, non le bonheur, qui demeurent l’objectif moral révolutionnaire de nos vies ».



Jo la Frite


Lien : http://coincescheznous.unblo..
Commenter  J’apprécie          60
Happycratie

Happycratie ou comment le bonheur est devenu à la fois un but, une injonction et une marchandise infinie.

Happycratie ou comment les salariés sont devenus leur propres bourreaux volontaires.

Happycratie ou pourquoi la recherche perpetuelle du bonheur est contre-productive.



Commenter  J’apprécie          60
Happycratie

Les auteurs s'attachent à critiquer les auteurs et thèses de la psychologie positive qui ne reposerait sur aucune base ou méthode d'études scientifiques et qui serait de surcroît au service de l'idéologie égoiste et individualiste néo-libérale.

Depuis les années 1950, 1960, nous avons une injonction au bonheur. Le bonheur se construirait grâce à un travail sur soi. Il dépendrait ainsi de valeurs individuelles ce qui évite ainsi de poser la question des problèmes sociaux, structurels, des inégalités. Ces thèses sont reprises par l'Etat, l'armée et les entreprises. Celles-ci recherchent des individus positifs, résilients, productifs, capables de s'adapter et de se remettre en cause en permanence (sans pour autant le faire elles-mêmes).

L'inégalité serait même perçue par les adeptes de la psychologie positive comme moteur et facteur d'espoir, poussant les individus à progresser, à se dépasser mais culpabilisant par là ceux qui n'y parviennent pas. Les psychologues et individualistes du bonheur prônent des valeurs individualistes et méritocratiques qui sont des soutiens à l'économie néo libérale.

Les auteurs reprochent à ces psychologues de soutenir cette idéologie dominante, de favoriser l'aspect émotionnel aux dépens de la réflexion intellectuelle, de privilégier l'individualisme, de nier l'inconscient, les problèmes sociaux. En outre, l'hyperpositivité peut amener à un certain désengagement émotionnel, à l'égoisme. Enfin cette injonction au bonheur, cette tyrannie de la positivité est un marché très juteux. Plus de pensée critique, de réflexion sur le monde, il suffit d'acheter des manuels, de télécharger des applications payantes, de payer les services de coachs puisque le bonheur serait un choix accessible à tous.
Commenter  J’apprécie          50
Happycratie

Un essai que je recommande chaudement à ceux et celles qui s'interrogent sur les limites de la pensée et de la psychologie positives. Les auteurs-chercheurs remontent aux origines de ces théories et soulignent la faiblesse de leurs fondements de façon à la fois très documentée et accessible. En rappelant l'engouement de chefs d'entreprise pour ces doctrines et en évoquant les sommes d'argent importantes qui y ont été injectées pour en faciliter l'essor, ils démontrent clairement les liens qu'elles entretiennent avec l'avènement d'une nouvelle forme de capitalisme. A titre personnel j'ai beaucoup apprécié de trouver dans cette lecture une explication à mon sentiment de malaise quand on me renvoie à ma propre et seule responsabilité dans la construction de mon bonheur sans considérer les conditions extérieures sur lesquelles je n'ai pas de prise (revenus, temps de travail, origine sociale, santé, etc). A rebours des injonctions à la positivité, il est aussi rafraîchissant de lire que la colère, la frustration, la mélancolie sont des émotions légitimes et constructives qu'on qualifie à tort de "négatives". Les rejeter, c'est rejeter des émotions qui permettent aussi de nous construire, d'interroger et de remettre en question ce qui nous entoure et, pourquoi pas, qui nous encouragent à dire non et à réclamer le changement.
Commenter  J’apprécie          40
Happycratie

Jamais je ne me suis intéressé aux ouvrages et autres au service développement de soi. Ce bouquin, je l'ai acheté car j'étais curieux. J'aime les critiques envers les pseudos sciences, médecines douces, new-age... Quel pied de lire un essai intelligent au sujet ce cette nouvelle «science».
Commenter  J’apprécie          40
Happycratie

Pas si simple de résumer cet essai d'Edgar Cabanas et Eva Illouz en quelques lignes.

L'idée principale est bien résumée dans le sous-titre "Comment l'industrie du bonheur à pris le contrôle de nos vies". Les auteurs développent cette idée en présentant les origines de la psychologie positive, le soutient financier inédit qu'a reçu cette discipline, le manque de sérieux scientifique sur lequel elle s'appuie, l'émergence en parallèle d'une économie du bonheur très lucrative. Ils dénoncent les dérives de cette psychologie qui renforce l'individualisme en rendant chacun responsable de son propre bonheur, dédouanant ainsi les structures collectives (société, gouvernements, entreprises, etc) de toute responsabilité dans l'amelioration des conditions de vie des hommes et femmes qui les composent. Les auteurs rappellent également que les émotions négatives ont participé à faire se révolter les individus qui, ensemble, ont fait avancer certaines causes.

Il me semble que les auteurs ont avant tout voulu alarmer contre une tyrannie qui s'est répandue dans le monde entier ces 15 dernières années via les canaux de l'économie libérale et qui risque de construire une société d'individus isolés , éternellement insatisfaits et culpabilisés.

Il y aurait encore bien d'autres aspects de cet essai à présenter mais comme je le disais, pas simple de résumer toutes les notions abordées dans l'ouvrage. La démonstration est parfois un peu redondante et le ton pas toujours très mesuré envers ceux qui ont permis à cette industrie du bonheur de se développer. Mais Happycratie est une lecture qui donne incontestablement à réfléchir sur les temps que nous vivons et sur les valeurs de nos sociétés.
Commenter  J’apprécie          40
Happycratie

« Happycratie ». Edgar Cabanas et Eva Illouz (245 pages, Premier parallèle).

Ou « comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies ».

J’avais entendu une interview d’Eva Illouz, le sous-titre est alléchant, la 4ème de couverture accroche bien. Il s’agit pour les auteurs de démontrer en quoi les nouvelles écoles de pensées de la « psychologie positive », alliées aux courants de « l’économie du bonheur », sont une toile tissée autour des salariés, et des citoyens, pour mieux les enfermer dans des logiques de profit. C’est une critique féroce du règne de l’individualisme à outrance, de ces pseudo-scientifiques grassement payés pour convaincre que chacun est responsable de son propre bonheur… ou de ses malheurs, qui ne sont que des questions de décision personnelle, que l’organisation sociale délirante et exclusivement centrée sur les bénéfices des grandes sociétés n’est en rien coupable de l’appauvrissement humain, du repli sur soi, du délitement des solidarités. Et comme je partage a priori le point de vue des auteurs, j’imaginais trouver des argumentations solides et convaincantes. Hélas, le livre est mauvais, mal écrit, mal construit, très fouillis, déstructuré, souvent répétitif. Il se veut militant, il n’est que pauvrement propagandiste. C’est dommage, le sujet, et le courant de saines critiques d’une organisation sociale qui mène l’immense majorité de l’humanité à de nouvelles formes d’esclavage méritaient un autre traitement, plus solide. Je me suis arrêté au milieu du livre.

Commenter  J’apprécie          40
Happycratie

Dans un essai stimulant, Edgar Cabanas et Eva Illouz dénoncent les « sciences du bonheur » au service de l’idéologie néolibérale. Non seulement elles invitent à renoncer à tout changement politique, mais elles culpabilisent les « psytoyens » qui ne parviennent pas à se plier à leurs injonctions.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
Commenter  J’apprécie          30
Happycratie

"Le bonheur n'est pas seulement devenu un instrument idéologique d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit de justifier certains des aspects les plus cruels de l'économie de marché, s'excuser ses excès et de maquiller ses folies. Il a aussi permis d'introduire de nouveaux lexiques et de nouvelles techniques qui refaçonnent profondément les notions de travail et de salariat, de manière à les faire coïncider avec les nouvelles exigences organisationnelles."



Dans cet essai éclairant sur la tyrannie du bonheur caractéristique de nos sociétés contemporaines néolibérales, Eva Illouz et Edgar Cabannas décortiquent en long et en large le discours tenu par les apôtres de la psychologie positive et leurs camarades économistes du bonheur.



Les auteurs reviennent sur les raisons idéologiques et matérielles du succès d'un tel discours mais également sur sa dangerosité. Fondé sur l'idée de la résilience individuelle, de la volonté personnelle d'être heureux et ne laissant aucune place à une critique économique, sociale et morale de la société, ce discours est surtout un puissant sédatif qui mise tout sur la responsabilité de l'individu pour forger des citoyens obéissants. Le bonheur est d'abord une affaire personnelle indépendante de tout déterminisme social.



S'appuyant sur un discours se voulant scientifique mais qui en réalité est bourré de tautologie, d'approximations et de lieux communs, le bonheur est devenu un produit rentable, engrangeant des milliards sur le dos d'individus dépassés plus que jamais par les mécanismes régissant nos sociétés. Pire encore, c'est une culpabilité viscérale qui accompagne le moindre sentiment "négatif" assimilé à un échec fatal, un dysfonctionnement ainsi qu'un épuisement inévitable à se scruter, s'analyser et vouloir s'améliorer en permanence.



"Le plaisir et la poursuite du bonheur ne peuvent l'emporter sur la réalité et la recherche du savoir, sur la pensée critique, la réflexion menée sur nous mêmes et le monde qui nous entoure... Ce sont la justice et le savoir, non le bonheur, qui demeurent l'objectif moral révolutionnaire de nos vies."











Commenter  J’apprécie          10
Happycratie

Repéré depuis longtemps, je viens de tomber sur 'Happycratie' dans une boîte à livres ! Dans cet essai, la socilogue Eva Illouz et le psychologue Edgar Cabanas reviennent sur l'histoire de la psychologie positive et sur l'industrie que c'est devenu. J'ai toujours été sidérée par le vide (notamment politique) derrière le coaching et le "self-help" ; j"y ai toujours vu plus d'euphorie que de l'émancipation. Ce pressentiment est étayé par ce livre : non seulement la psychologie positive ne vise pas l'émancipation mais en ne s'attachant qu'à la dimension individuelle elle renforce le conservatisme des politiques néolibérales.
Commenter  J’apprécie          10
Happycratie

Alors que je trouvais la psychologie positive intrinsèquement intéressante, puisque dépassant (enfin) l'entrée exclusivement par les névroses. Heureusement, Happycratie vient lever le voile sur une dérive. Un livre qui fait réfléchir et prendre du recul sur un phénomène dont peu ont identifié l'ampleur !
Commenter  J’apprécie          10
Happycratie

Un des rares livres que j'ai décidé d'abandonner, préférant préserver mon temps à des ouvrages plus constructifs. En effet, Happycratie est une critique continu et souvent mal argumentée de ce mouvement de fond qui traverse les sociétés (souvent occidentales et "développées") vers une injonction au bonheur et la responsabilité individuel de ce dernier. L'idée est interessante et souvent bien réaliste. Mais plutôt que rester sur un terrain purement philosophique et idéologie, ou encore de mettre en lumière les conséquences bien réels de ces phénomènes, les auteurs se veulent persuasifs en avançant des arguments scientifiques... peu scientifiques ! Peu de rigueur donc dans leur méthode qui se résume, finalement, à critiquer arbitrairement la psychologie elle même, et tout point de vue ou discipline "individualiste". Ici, on vous apprendra que le bonheur n'est pas un objectif louable, que cela est vain et uniquement au service de l'ultralibéralisme. Pas de compromis ou de nuances donc pour ceux qui imaginent un bonheur hors de la consommation par exemple. Si vous voulez entendre de ne pas vous préoccuper de votre alimentation parce qu'elle n'a pas de lien avec votre santé, et que votre alimentation est de toute façon une affaire collective, rassurez-vous en lisant ce livre. Ma critique force évidement le trait, mais bien que je sois en parti d'accord avec la position défendue, je n'ai vraiment pas apprécié le manque de pertinence de la méthode, du comment, du pourquoi, celle qui consiste à vous ôter tout sens d'une responsabilité individuelle.
Commenter  J’apprécie          10
Happycratie

« Votre meilleur ami, c'est vous ! » Qui n'a pas déjà entendu cette petite phrase bien connue des coachs et adeptes des feelgood thérapies ? Qualité de vie, bien-être à l'école, au travail, et bienveillance sont désormais des indicateurs – et des termes – dont tiennent compte aussi bien les pouvoirs publics que le système éducatif et évidemment les professionnels du management. Cette exhortation à être heureux se décline d'ailleurs dans nos modes de vie : faire du sport, mieux manger, méditer, se relaxer, trier ses déchets, acheter bio et équitable, prendre soin de soi, écouter ses envies, être inspiré, analyser ses émotions…



Or, « le bonheur est-il cet objectif suprême que nous devrions tous nous efforcer d'atteindre ? » s'interrogent les chercheurs Eva Illouz et Edgar Cabanas dans leur ouvrage Happycratie. Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, paru le 23 août aux éditions Premier Parallèle. Ils dissèquent ce phénomène de société devenu une véritable tyrannie et surtout une industrie juteuse.

Si le présent ouvrage apporte une contribution à l'actuel débat, très vivace, sur le bonheur, c'est en vertu de sa perspective sociologique critique. Nous nous sommes appuyés ici sur les travaux que nous avons précédemment menés – des travaux consacrés aux émotions, au néolibéralisme et à la culture thérapeutique –, en creusant certaines idées déjà exposées ailleurs et en en introduisant de nouvelles, notamment quant aux rapports entre la poursuite du bonheur et les modalités d'exercice du pouvoir dans les sociétés capitalistes néolibérales.

L'industrie du bonheur qui cherche aujourd'hui à prendre le contrôle de nos subjectivités est l'équivalent contemporain de la “machine à expériences” de Robert Nozick, qu'un Aldous Huxley put en son temps mettre en scène à sa façon, à travers le roman [Le Meilleur des mondes, NDLR].



Cette industrie du bonheur ne fait pas que perturber et brouiller notre capacité à connaître les conditions qui façonnent nos existences ; elle rend aussi nulle et non avenue une telle capacité. Ce sont la justice et le savoir, non le bonheur, qui demeurent l'objectif moral révolutionnaire de nos vies. »
Commenter  J’apprécie          10
Happycratie

Ne pas être heureux est aujourd’hui synonyme d’échec personnel et social. Plus rien ne devrait être hors de notre pouvoir. Pas même le bonheur.



Mais quelles sont les conséquences du matraquage de cette « pensée positive » sur nos vies professionnelles et familiales, sur nos existences toutes entières?



Que tait-on pour être en mesure de renvoyer aux autres cette image de l’employé(e), de la femme, de la famille parfaite?



Comment est-il possible d’intérioriser sans dommage une telle injonction au bonheur, une telle responsabilité?



Et de quoi cherchent à se dédouaner les acteurs du capitalisme en faisant reposer une telle responsabilité sur l’individu?



C’est ce que décortique ce livre. Un véritable bonheur pour moi qui suis depuis toujours horripilée par les rayonnages de développement personnel qui phagocytent toutes les librairies et par les petites phrases qui fleurissent inlassablement sur les réseaux sociaux telles que « Le bonheur est un choix » (celle contre laquelle j’ai été la plus véhémente je crois).



J’ai tellement ressenti de colère à ce sujet sans parvenir à en faire une analyse aussi juste que ce livre.



Parce que, oui, la société de consommation dans laquelle nous vivons a tout intérêt à nous voir nous ruer sur toutes les dernières méthodes de pleine conscience, de calinâge d’arbres et de pliage de tee-shirts. Pendant que nous nous occupons de nos armoires et de notre enfant intérieur, nous oublions que nous avons le droit de nous révolter. Mes émotions ne sont pas des marchandises. Je tiens tout autant à celles qui gênent qu’à celles qui rassurent. Parce que je suis une personne. Pas une unité de production.



A lire de toute urgence et l’esprit bien ouvert.


Lien : https://lucioleetfeufollet.c..
Commenter  J’apprécie          10




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Edgar Cabanas (199)Voir plus

Quiz Voir plus

Quiz Harry Potter (difficile:1-7)

De quoi la famille Dursley a-t'elle le plus peur?

des voisins curieux
des hiboux
de Harry
de tout ce qui peut les faire paraître étranges

20 questions
8133 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}