Si l'on privait Venise des épices, "ce serait le lait et la nourriture qui viendraient à manquer à un nourrisson" écrit en 1501 dans son journal le banquier Girolamo Priuli.
Car il y a des routes imaginaires, celles des mythes et des récits fabuleux qu'aventuriers et pèlerins ont colportés à des milliers de kilomètres. Tel est le paradoxe : la vérité ne voyage pas dans les ballots des marchants, l'histoire des routes est aussi celle d'une prodigieuse ignorance ou plutôt d'un imaginaire inépuisable. (p. 20)
La soie n'est pas un simple produit de luxe, pas seulement une curiosité dont raffolent les Romains de l'Empire, c'est une révolution culturelle. Avec la soie naissent deux phénomènes qui seront désormais inséparables de l'histoire de l'Occident : l'exotisme et la mode. Les Romains découvrent l'exotisme avec ce tissu léger dont l'attrait réside en grande partie dans son origine lointaine et mystérieuse. Dans la psychologie collective, la soie bénéficie de toutes les connotations d'un Orient fabuleux. Ainsi, dans ce nouveau chapitre de l'histoire universelle, celui du goût, l'exotisme est une donnée économique et psychologique déterminante. L'histoire des routes de la soie, première voie culturelle et commerciale majeure, en est la meilleure preuve.
La mission de Païva et Covilha est préparée avec la plus grande discrétion, comme tous les voyages des Portugais qui érigent le secret en vertu nationale. (...) Les voici à Barcelone, à Naples, puis à Rhodes où, sur les conseils des chevaliers de Saint-Jean, ils se déguisent en marchands arabes. Ils pénètrent en terre d'Islam : Alexandrie, Le Caire, Aden, où ils se séparent.
On comprend dès lors l'attrait si particulier qu'a exercé le cheval sur Léonard: animal de muscles et de nerfs, toujours disposé à l'élan et au bond, prêt à se cabrer dans la plus instable des positions, le cheval est par excellence une forme où tout est signe de mouvement, de vitesse, depuis le frémissement jusqu'à la détente du jarret.
Samarcande (Afrasyab) est devenue non seulement le symbole des routes de la soie, mais aussi leur ville-poème, celle qui recueille tous les rêves et inspire toutes les évocations. Elle hérite ce singulier pouvoir de l'antique Maracanda d'Alexandre, d'Afrasyab le légendaire empereur des steppes qui la fonda, mais peut-être aussi de tous les anonymes, marchands, voyageurs, ambassadeurs, venus du monde entier, qui y ont laissé leurs empreintes. Ils y ont apporté des croyances, des rumeurs, des histoires, des savoirs. Ils en sont repartis plus riches.
Cette place prédominante symbolise ce qu'est pour lui l'essence du cheval: la force, la puissance, la fougue et, pour employer un mot presque inusité à l'époque de Léonard, l'énergie.
A Rome, la soie, si sensuelle, se fait séduction et féminité. Mode, luxe et plaisir sont intimement liés. Les belles Romaines aux fards et aux parfums venus d'Orient font assaut d'audace dans la légèreté et la transparence des tissus, les patriciennes se complaisent à ce contact frais et caressant, les élégantes savent dévoiler la forme d'un corps dans un mouvement : toutes ces scènes font partie de l'imaginaire de la décadence romaine.
Même sous leur forme la plus concrète, les routes de la soie ne se réduisent pas à leur dimension matérielle. Elles sont aussi affaires de désir. Pas de marchandise qui n'ait autant valeur de rêve. Ce qui lance des caravanes à travers les déserts ou les navires sur les océans, c'est aussi cela : un inépuisable appétit de beauté et d'étrangeté.
A mi-chemin entre le trivial et le féerique, avec ses petits calculs et ses grands rêves, Sindbad est l'intermédiaire entre le poète et le boutiquier, celui qui transmet les légendes, les pierres, les drogues et les soieries. Il est l'homme de l'échange par excellence. Il ne pouvait naître que sur les routes de la soie.