La Chenille de Suehiro MARUO et Edogawa RANPO
Sais-tu à quel point j'ai souffert quand tu m'as abandonné? Non, tu es trop insensible pour comprendre ces choses-là. Sais-tu combien de fois je suis venu rôder la nuit autour de chez toi, fou de désespoir? Devant le feu de ma passion, ton indifférence n'a fait que redoubler : d'abord tu m'as évité, puis tu m'as craint et tu as fini par me haïr. Peux-tu imaginer ce qui se passe dans le coeur d'un homme qui se sent détesté après avoir été aimé? L'amour se fait douleur, la douleur se fait rancune et la rancune croît jusqu'à se transformer en désir de vengeance.
Je ne suis donc pas venu, messieurs, rechercher votre amitié : votre attention me suffira.
Elle avait ce genre de beauté dont on dit souvent dans les romans anciens qu’elle disparaît si on l’effleure.
Je voudrais d’abord vous dire que je me considère comme une personne tout à fait saine d’esprit, et je crois que les gens qui me connaissent partagent cette opinion. Mais qu’en sera-t-il lorsque vous m’aurez entendu ? Car au-delà de ce miroir rassurant que je présente aux autres et à moi-même, je ne sais pas, au fond, si l’homme qui vous parle en ce moment n’est pas fou, ou tout au moins gravement perturbé.

Au moment où elle met le pied sur le rail, une rame express arrive à toute allure... Rassurez-vous, la distance est suffisante et la grand-mère a largement le temps de passer sans même prendre conscience d'un éventuel danger. Mais imaginez maintenant qu'au moment où elle s'engage sur la voie quelqu'un se mette à hurler "Attention grand-mère !" ; la pauvre femme affolée ne sait plus si elle doit avancer ou reculer... Que faire ? Si le conducteur du tramway n'a pas le temps de freiner, ces quelques secondes d'hésitation peuvent lui être fatales... Je dois avouer qu'une brave femme en fit la douloureuse expérience. Vous me pardonnerez de sourire au souvenir de cette triste histoire, mais, comme je vous l'ai dit, ce fut une de mes plus belles réussites dans le genre.
Qui peut se vanter, en effet, d'avoir assassiné quelqu'un en lui criant "Attention !" ? Et ce, en toute impunité car il faudrait avoir l'esprit bien tordu pour trouver une intention homicide dans ce touchant témoignage d'altruisme envers une personne inconnue aperçue en danger dans la rue ; la victime elle-même a dû mourir en éprouvant une certaine gratitude pour la personne qui avait crié dans son dos !
C’est désormais à vous de me juger : suis-je un criminel pervers ou simplement un pauvre malade mental ?
L'art, selon lui, pouvait être considéré comme une révolte de l'homme contre la nature, et aussi comme l'expression d'un désir de lui imprimer sa propre personnalité, puisqu'elle ne le satisfaisait pas telle qu'elle était.
Je suis la proie d'un soupçon terrible qui ne me laisse aucun répit.
Quand la peur du crime excède un certain degré, il se passe exactement le même phénomène que lorsqu'on se bouche les oreilles et qu'on n'entend plus rien, c'est-à-dire qu'on devient sourd à sa conscience, tandis que l'intelligence du crime, devenant aussi aiguë qu'une lame de rasoir effilée, se met à agir mécaniquement avec calme et sang-froid, sans négliger aucun détail.
Je m'interroge assez souvent sur la nature de mon métier.
Je crois qu'au fond, il existe deux types d'auteurs de romans policiers : ceux qui sont du côté du "criminel" et ceux qui sont du coté de "l’enquêteur". Les premiers, même s'ils sont capable de mener une intrigue serrée, ne trouvent leur bonheur que dans la description de la cruauté pathologique du criminel, tandis que le seconds, au contraire, n'y attachent aucune importance; seul compte à leurs yeux la finesse de la démarche intellectuelle de l’enquêteur.