Entretien avec HUGUETTE HATEM, grande traductrice vers le français, notamment du dramaturge italien Eduardo De Filippo, et grande spécialiste française du théâtre italien, réalisé par Michele Canonica pour le site L'Italie en direct. Mars 2013.
Vidéo postée sur le site L'Italie en direct.
GENNARO : La porte s'ouvre. [ (...) ]C'est une de ces vieilles portes, humides... d'un de ces misérables rez-de-chaussée napolitains, un de ces bassi aux gonds rouillés, aux vitres cassées. Ihhhhh ! (Il reprend l'attitude du personnage qui doit entrer, il marche le dos voûté, en traînant les pieds et va vers la gauche).
ATTILIO [ Souffleur] : "Ferme cette porte" (Gennaro continue la scène, en se traînant vers Florence). "Ferme cette porte". (Gennaro l'ignore) "FERME CETTE PORTE !"
GENNARO (éclatant) : Attends ! Tu me persécutes : " Ferme cette porte, ferme cette porte ! " Tu vas me la laisser faire, ma scène muette ?
ATTILIO : Et quand est-ce que vous dites : " Ferme cette porte" ?
GENNARO : Après ! Il entre, il voit sa mère mourante, sa sœur déshonorée... Il faut créer toute l'atmosphère ! Quand il s'affale brisé sur la chaise... C'est écrit dans le texte... alors il dit : "Ferme cette porte! " Toi, du dois donner le départ. Dès qu'un personnage entre, tu lui donnes la becquée ... quand l'acteur a fait sa scène, alors tu lances la réplique : "Ferme cette porte ! "
ATTILIO : Bon d'accord [...] Gennaro va vers Florence, lui caresse la tête ; toujours traînant les pieds il va vers la chaise du milieu et s'y laisse tomber lourdement " Ferme cette porte ! "
GENNARO ( En même temps qu'Attilio) : "Ferme cette porte ! "
(Viola va vers les chaises, fait semblant de fermer la porte.)
ATTILIO : " Andrea... Tu ne me fais rien? "
VIOLA : " Andrea... Tu ne me fais rien ? "
ATTILIO : "Ferme cette porte ! "
GENNARO : Je l'ai dit !
ATTILIO : Vous devez le répétez encore une fois.
GENNARO : Pourquoi, elle la ferme deux fois, la porte ?
ATTILIO : Est-ce que je sais, moi ? Là c'est écrit deux fois.
[ ... ]
ACTE I
LUIGI : Pour moi qui souffre d'arthrite, quelquefois les douleurs me font sauter en l'air : je parais agile parce que je sais quels mouvements je peux faire. Mais voyez, je ne peux pas bouger le bras plus que ça, je ne peux pas arriver à me gratter entre les deux épaules. Si vous saviez ce que ces journées de soleil me font du bien !
PEPPINO : Vous ne pouvez pas vous gratter entre les deux épaules ?
LUIGI : Vous voulez rire... Quand j'essaie je suis plié en deux tant je souffre !
PEPPINO : Il vous faudrait quelqu'un pour vous gratter.
LUIGI : Eh oui, une personne rétribuée.
PEPPINO (ambigu) : Je peux vous trouver quelqu'un qui vous le fera gratis.
LIUGI (amusé) : Un maniaque de la bonté ?
[ Acte II, page 63]
Chaque jeu se déroule suivant ses propres règles. Il existe des jeux d'illusion qui durent depuis des milliers et des milliers d'années et qui sont loin d'être achevés...
Gennaro: ...Mais maintenant personne ne veut rien entendre? Pourquoi ? D'abord parce que ce n'est pas de ta faute, la guerre tu ne l'as pas voulue, et aussi parce que les billets de mille lires font perdre la tête...Tu commences par en voir un ou deux, puis beaucoup plus, puis cent, puis un million... Et tu ne comprends plus rien. Regarde là. Ils t'ont impressionnée parce que tu en as vu peu à la fois! Tu n'as pas eu le temps de comprendre ce que moi j'ai compris en les voyant tous ensemble. Pour moi, découvrir toute cette quantité de billets de mille, c'est comme un jeu, une folie...Regarde Amalia: je les touche, mon cœur ne bat pas...et le cœur doit battre quand on touche des billets de mille lires...
Gennaro:... Je suis revenu et je m'attendais à trouver ma famille ruinée ou peut-être à l'aise, mais toujours honnête. Pourquoi? ....Parce que je revenais de la guerre...Ici personne ne veut en entendre parler. Quand je suis rentré de la Première Guerre, les gens m'entouraient pour entendre des faits de guerre, des histoires héroïques! C'est si vrai que lorsque je n'avais plus rien à dire, pour me tirer d'embarras, je racontais des mensonges, j'inventais des choses qui n'étaient pas arrivées , ou qui concernaient d'autres soldats...trop de gens voulaient savoir!
Tu crois que le temps passe ? Ce n’est pas vrai. Le temps est une convention. Le temps, c’est toi.
Calogero : Je ne snobe personne, surtout pas les gens qui me sont antipathiques.