Dialogues des silences de
Eduardo Mallea
Dans l’intimité de sa vie faite de silences, après avoir tenté à maintes reprises de se le cacher, il se disait à lui-même : « Tu es moins heureux que tu ne le prétends, mais plus que tu ne le crois. » A vrai dire, il n’était pas mal du tout. La monotonie qui préside à la vie des grands solitaires entraîne de grandes compensations : l’existence devient quasiment liturgique et s’offre maints offices sacrés, et l’individu se réfugie avec solennité dans ses domaines de méditation, de recueillement et de piété illusoire. On est tout à la fois, son propre officiant et son dieu. Et le ciel des solitaires est constamment traversé par de mystérieux oiseaux, des figures, des nombres, des formes. Les hommes qui ont des attaches sont sans relâche des voyageurs perpétuels, harassés, lancés à la poursuite de leur propre lassitude, alors que les solitaires, les isolés, les détachés de tout, sont, par essence, l’objet même de leur voyage : par leur esprit – devenu lieu de passage -, déboule la vie, et elle s’écoule dans le délire de leurs déplacements irrésolus ou de leurs brusques départs.
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