Le Fromage est le nom que William donne à son club. (Je n'ai aucune idée du nom qu'il a pour de vrai : "Le Divan", peut-être ? Situé dans une ruelle de Soho assez crade pour être branchée, il est envahi pratiquement tous les jours de la semaine par un magma de rebuts de l'humanité - des hommes et des femmes fabuleusement dépourvus de talent qui pataugent dans la lumière glauque, cherchant fébrilement les traces de plancton qu'auraient pu déposer leurs semblables. Le samedi, même les clients réguliers évitent de venir. Seul un William peut tomber assez bas pour fixer un rendez-vous ici.
" Ce que je veux...le coupe papa sans s'en soucier ,ce que je veux,Jack ,c'est que nous restions tels que nous sommes ,tous les quatre,que nous continuions à discuter des mêmes sujets que d'habitude. Sérieux ou pas,peu importe."
De la bave d’échappe de ses lèvres.
"Quand vous serez...quand vous serez malades comme ça... vous vous rendrez compte qu’être humain ,c'est être fait de chair et d'os. Tout le reste est en supplément ou hors de propos. Vous êtes mes fils,bon sang ! Alors ce qui compte, maintenant , c'est votre présence. A vous . Physiquement. Ce'st être ensemble . Faisons des choses ensemble. Ensemble. Nous sommes tous la .
Mais que ce soit clair : nous allons à Zurich. "
Flûte face au ciel,mon père et moi scrutons le liquide comme si nous cherchions à lire l'avenir dans ses bulles. Peu de choses contentent autant mon père qu'une dégustation de vin. J'ai le sentiment d'avoir encore fait ce qu'il fallait. Je l'ai vu goûter un nombre incalculable de fois,j'ai assisté à l'ensemble du rituel - une farce,un jeu,et ni l'un ni l'autre à la fois. Et soudain,je suis heureux parce qu'il est heureux : tous les autres ont disparu,nous ne sommes plus que tous les deux,baignant dans le crépuscule d'une planète inconnue ,nos vies enveloppées par l'univers tout entier.
Je crois que ma mère a permis à mon père de devenir un autre homme.Elle l'a sauvé.
Mais sans elle ,à présent,il redevient ce qu'il était ,il...ressort du bois.
Un jour,je devais avoir douze ans,j'ai lu ce que papa avait inscrit dans l'exemplaire de son ouvrage sur les sonnets qu'il avait du lui offrir au début de leur relation:
"On ne connait ni la nature ni la forme exacte de ce qui manque à l'amour tant qu'on ne l'a pas rencontré-mais une fois que c'est là,on sait que c'est pour l'éternité."
Il m'arrive de penser que peut-être,ce qui torture le plus mon père,c'est le chagrin-pas la maladie.C'est possiblement ça qui l'a poussé à prendre cette décision-il ne trouve pas de raison de continuer sans ma mère. Tout ça ...n'est qu'un requiem compliqué qu'il a composé pour elle .
Comme bon nombre de mes contemporains ,je souffre d'une forme severe d’eczéma mental qui m’empêche de me concentrer plus de vingt secondes d'affilée.