A l’époque où je n’avais pas encore connu de femme, un pote m’a dit : « Elles ont un trou entre les jambes, il suffit d’y mettre ton truc. » Alors, j’ai pensé qu’il y avait un gros trou béant entre les jambes. J’ai pas compris la première fois. Je me suis dit : mais, elle a pas de trou celle-là. Je savais pas qu’il fallait aller le chercher soi-même, ce trou.
Je baissai la tête et, ôtant l'une de mes boucles d'oreille, la laissai choir dans le ver de gin que je tenais serré dans la main. Spoon contemple d'un air soupçonneux le verre que je lui tends. Je heurte ses dents alignées comme les touches blanches d'un clavier. Un bref tintement cristallin s'élève.
Je l'obligeai a ouvrir la bouche en forçant le verre entre ses dents et y versai le liquide âpre et transparent. Le gin s'écoulait dans son estomac en brûlant sa gorge.
-Que ce diamant reste à jamais loge en toi.
Tout en me félicitant du bon goût de Spoon qui avait été attiré par Maria, j'étais assaillie par une jalousie d'une violence inouïe, comme je n'en avais jamais éprouvée jusque-là. Je ne pouvais pas supporter l'idée qu'il ait reposé le verre avant de m'avoir vue jusqu'à la lie. J'essayais de le mépriser pour ses mauvaises manières. Mais cela revenait à me mépriser moi même.
Dans mon cœur, il y avait la formule : 2 sweet + 2 be = 4 gotten ( To sweet to be forgotten)
Comme il sait me prendre, Spoon, il le fait si bien. Mais ce n’est jamais que mon corps qu’il cajole, jamais mon cœur.
Sous ma peau, il y a Spoon. Nous nous sommes parlé. Avec des mots et non avec nos corps pour la première fois depuis les centaines de fois que nous avons fait l’amour. Je lui expliqué combien j’avais eu envie de lui pendant son absence. Que j’étais même prête à plonger dans la cuvette des toilettes pour retrouver ses excréments. Qu’après avoir renversé la poubelle, j’avais aligné en rang sur la table toutes les canettes vides remplies de ses microbes. Je désirais si fort ta queue, je l’aurais mangée en la creusant avec ta cuiller, Spoon. Je continuais de parler. J’étais complètement enflammée.
- Ma vaurienne de bite. Assoiffée de chatte, elle glande de discos en cafés-bars.
Mis en train par son snif de coke, il se mit à aligner une suite de mots entre chant et parole sur un rythme saccadé. C’est ce qu’on appelle le rap style New York, me dit-il. Au Bronx, j’étais le meilleur parmi tous les rapers. Des paroles au contenu des plus sordides sur un ton affreusement enjoué.
Je chamboulai tout l’appartement comme une folle à la recherche de traces qu’il aurait pu laisser. Les taches de sperme sur le drap. Les morpions des Philippines qui ne cessaient de nous coller malgré tous nos efforts pour les anéantir. Je pouvais me contenter de n’importe quoi. En retournant son panama, j’essayai de retrouver l’un de ses cheveux chéris, pareils à des ressorts écrasés. La brosse à dents. Les cachets d’aspirine. En ouvrant le couvercle du pot de vaseline, je retrouvai les traces de ses doigts rustres. Il les trempait pour me faire ce qui me rendait si honteuse.
Spoon se mit à me caresser d’un air placide en gardant la tête sur l’oreiller. Plissant les yeux de plaisir comme un chaton, je lui déclarai qu’il était mon drap préféré. Il répliqua en riant que moi, j’étais sa couverture. Il y avait quelque chose de maladroit dans sa façon de la dire, comme un air candide de jeune garçon inexpérimenté en train d’avouer son amour en bredouillant. Cela ressemblait aussi à cette façon troublante que Chet Baker avait m’émouvoir en ne sachant pas chanter – je me sentais fondre comme un sucre trempé chaque fois que je l’écoutais.
La cavité de ses reins dans laquelle ruisselle sa sueur et qui se prolonge par la raie de ses fesses. J'ai toujours eu peur d'y mettre ma main. Elles sont si tendues qu'elles n'en feraient qu'une bouchée si par inadvertance je la laissais s'y glisser.