Elias Khoury -
Sinalcol, le miroir brisé .
A l'occasion du Festival de Manosque 2013, rencontre avec
Elias Khoury autour de son ouvrage "
Sinalcol, le miroir brisé" aux éditions
Actes Sud. Roman traduit de l'arabe (Liban) par
Rania Samara. http://www.mollat.com/livres/khoury-elias-
Sinalcol-9782330014377.html Notes de Musique : 01 Pursuit of Happiness - Free Music Archive
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Karim avait tourné le dos à Beyrouth en quittant cette jeune fille qui l'avait longtemps habité. Il n'avait pas menti à Dany en disant qu'il ne l'avait jamais trompée, et ce n'était pas par pudeur ou par fidélité, mais parce qu'il en était incapable. Sa saveur, qui ressemblait à celle des fruits de mer, restait accrochée à ses sens.
La pitié est le sentiment le plus détestable qui soit, disais-tu. Il ne faut pas avoir pitié de soi, car, lorsqu'un être humain s'apitoie sur lui-même, c'est la fin.
Je hais cette phallocratie idiote, je pense qu'elle cache une véritable impuissance chez un grand nombre d'homme.
...je compose ma vie en l'assemblant, en dénouant ses fils enchevêtrés, en la tissant de nouveau pour confectionner un vêtement unique qui serait aussi mon linceul. C'est cela l'écriture. Ne croyez jamais les écrivains et les artistes: l'art ne triomphe pas de la mort comme l'a écrit Mahmoud Darwich. l'art tisse pour nous un linceul fait de mots et de couleurs, nous nous y enveloppons et nous fermons les yeux sur un espoir désespéré.
Nous avons besoin de nous retrouver dans une autre culture pour découvrir qu'une bonne moitié de nos évidences ne sont en fait que des bêtises.
Samih parlait sans arrêt de son rêve d'écrire un livre qui n'aurait ni début ni fin. Une épopée, disait-il. L'épopée du peuple palestinien. Il commencerait par raconter les détails de la grande expulsion de 1948. Il disait toujours que nous ne connaissions pas notre histoire, qu'il fallait réunir les histoires de chaque village afin que chaque village demeure vivant dans notre mémoire.
Je ne leur ai pas parlé des mouches : je n'ai pas pu, je n'ai rien dit, pourtant j'étais décidé à leur en parler. En prenant ma douche, je m'étais dit que l'histoire des mouches allait constituer le clou de la visite. J'allais leur raconter comment j'étais sorti de l'hôpital, comment les fusées éclairantes lancées par l'armée israélienne illuminaient la nuit du camp, comment la nuit s'était transformée en journée de sang et de frayeur.
Samih parlait sans arrêt de son rêve d'écrire un livre qui n'aurait ni début ni fin. Une épopée, disait-il. L'épopée du peuple palestinien. Il commencerait par raconter les détails de la grande expulsion de 1948. Il disait que nous ne connaissions pas notre histoire, qu'il fallait réunir les histoires de chaque village afin que chaque village demeure vivant dans notre mémoire.
Une seule colline, ou plusieurs, je ne me souviens plus. Plus personne ne s’en souvient. Une colline sur le côté Est de Beyrouth que nous appelions une montagne car les montagnes étaient loin. Nous avions peur pour la montagne avec sa flore, qui avançait vers le bord de Beyrouth et s’y affalait. Les figuiers de Barbarie qui égratignaient nos pieds meurent, le palmier fléchit et la montagne s’approche de ses limites.
L'oubli est une grâce, car sans la faculté d'oublier nous ne tardons pas à mourir de peur et de dépit. La mémoire, mon ami, est en fait l'agencement de l'oubli, ce que nous faisons maintenant, toi et moi, c'est mettre en ordre nos oublis.
Nous parlons de choses et nous en oublions d'autres, nous nous rappelons pour oublier, et c'est là où réside l'essence du jeu.