"Qui voit son sang" d'Élisa Vix - Interview 1
Vous imaginez recevoir tous les jours des messages mettant en exergue non pas le travail, globalement bien fait, mais l’erreur insignifiante, la faute de frappe… Des mails qui vous serinent à longueur de journée que vous êtes une incapable ? Vous avez beau savoir que vous êtes intelligente, que vous avez une thèse en neurosciences, il y a un moustique qui vient bourdonner tous les jours à votre oreille pour vous rappeler combien vous êtes nulle !
- Donc apiculteurs et agriculteurs, c'est pas vraiment le grand amour ?
- C'est plus compliqué que ça. Les agriculteurs n'empoisonnent pas les abeilles pour le plaisir. Ils ont besoin d'elles pour la pollinisation de leurs plantes et une bonne pollinisation augmente leur rendement. D'ailleurs, les cultivateurs sont les premières victimes des pesticides ; ils paient un lourd tribut aux cancers et à la maladie de Parkinson, reconnue maladie professionnelle en ce qui les concerne. Une fois encore, le problème ce sont les firmes ["multinationales pourvoyeuses de produits phytosanitaires"], et les politiques qui laissent faire.
Salle 211 [du collège].
Il jeta un coup d'œil par l'imposte vitrée.
– « Auzamebiennélavaleurnatenpoinlenombredézané » phonétisait un Rodrigue boutonneux au charisme de bulot.
[Le lieutenant] Sauvage secoua la tête. Pauvre gosse. Corneille à 8 heures du mat. Inhumain.
Elle lisait beaucoup. Souvent, elle me confiait qu’elle préférait terminer son roman que sortir avec ses copines. Comment l’en aurais-je blâmée ? J’ai moi-même souvent préféré la compagnie des livres à celle de mes semblables.
"Je ne voulais plus être celle qui s'efface.Je ne voulais plus être une agnelle.
Comme une louve, je défendrais mon petit jusqu'à mon ultime goutte de sang ..."
Si vous voulez que je vous raconte la suite, restez pas planté là sous la bruine, entrez dans mon palace… Ce terrain dans les bois avec la caravane au milieu, je l'ai hérité d'un oncle à ma sortie de prison. Il a vécu trente ans là-dedans. Maintenant, c'est moi. La misère, c'est héréditaire.
Les patients malades de leur travail, j'en vois tous les jours. Et c'est presque tout le temps la même chose : des organisations délétères, des petits chefs sadiques, des salariés sacrifiés sur l'autel de la rentabilité. Des dirigeants incompétents malmenant des employés tétanisés par la peur du chômage. Le cocktail détonant.
(p. 83)
- (…) Tu n'as pas froid ?
Il ne portait qu'un blouson de cuir sur un tee-shirt et il devait faire à peu près 5°C dans le hall.
- Ça va.
Il a réprimé un frisson.
- Hum, tu sais qu'on peut perdre ses doigts de pied à cause du froid ?
- De toute façon, ça sert à rien les doigts de pied.
- Si, à tenir les tongs. (…)
Vous enquêtez sur Chrystal, et vous n’avez pas compris pourquoi j’ai quitté Medecines avant la fin de ma période d’essai ?
Okay... Et bien, disons que je ne me reconnaissais pas dans les valeurs de l’entreprise… C’est-à-dire ? Marche ou crève, vous comprenez mieux ?

Non, il n'y a pas eu de problèmes au collège. Sauf… oui, j'avais presque oublié cette prof de maths. C. avait une excellente moyenne en mathématiques, cependant sa professeure lui avait collé une mauvaise appréciation. Je ne me souviens plus des termes exacts. « N'en fait qu'à sa tête » ou quelque chose comme ça. Lors d'une rencontre parents-professeurs, Christian avait réclamé des explications. Mon mari avait fait de brillantes études d'ingénieur, il connaissait, et s'enorgueillissait, de l'esprit mathématique de sa fille. La prof avait expliqué que, certes, C. trouvait les bons résultats, mais qu'elle n'appliquait pas les bonnes méthodes. Ma fille trouve toujours les bons résultats, toujours ? avait demandé Christian d'une voix où pointait déjà une sourde menace. La prof s'était légèrement troublée. Oui, mais elle n'emploie pas les bonnes méthodes. Vous voulez dire qu'elle n'emploie pas vos méthodes, mais comment pouvez-vous dire que les siennes sont mauvaises si elle trouve toujours, toujours les bons résultats ? J'avais posé la main sur celle de mon mari. Allons-nous en. Christian avait brutalement retiré sa main. Non, je voudrais d'abord que Madame m'explique en quoi les méthodes de ma fille, auxquelles elle ne doit sans doute rien comprendre, sont mauvaises, et en quoi cela justifie qu'elle sanctionne une élève brillante d'une appréciation de merde ?