Mais pourquoi je n’ai pas une vie comme celle des copains ? Deux parents, un frère ou une sœur, un chien, des week-ends à la mer, des balades dans les collines et des visites en famille chez les grands-parents… Ce serait beaucoup plus simple. Ou pas. Les parents, ça divorce. Les petites sœurs, ça casse tout. Les chiens, ça meurt.
Papi, sa spécialité, c'est le "chapelet". C'est comme ça qu'il dit. Le chapelet, c'est tout un tas de gros mots formidables enfilés les uns à la suite des autres et qu'il lance comme ça, d'un coup, sans respirer. C'est plus ou moins long selon les circonstances : l'hameçon qui se plante dans le doigt, une vague qui remplit ses bottes d'eau, le fil qui s’emmêle, le poisson qui casse la ligne, l'hélice du moteur pleine d'algues ou prise dans la vase... Voilà des moments où, d'après Papi, le bon vieux chapelet de gros mots est nécessaire. (p. 9)
- Regarde un peu les gens.
Sur le moment, je n'ai pas compris. Je voyais juste du monde qui allait, venait, se croisait. Puis j'ai compris qu'il voulait que je regarde chaque personne. Ça m'a donné un peu le vertige.
- Regarde les gens, regarde bien ! On est tous embarqués dans cette ville comme sur un cargo. Mais il n'y a pas deux matelots pareils. (p. 34)
Ce qu'elle peut être à cheval sur les mots ! Pourtant je suis sûr qu'avec elle, Papi a dû en entendre de belles ! Mais bon, elle est passée de l'autre côté, dans le clan des parents, celui d'où l'on ne revient jamais... (p. 73)
Avec maman, je fais toujours attention à ce que je raconte. On ne doit pas tout dire aux parents. Enfin, aux mamans. Aux papas, je ne sais pas. Et j'ai toujours cru qu'avec les grands-parents, c'était différent. (p. 52)
Mohamed vient d'entrer dans la cour. Il n'a pas l'air mieux que cette nuit. Et ça recommence comme hier soir. Je n'ose pas m'approcher de la fenêtre. Je les vois en grande discussion, mais les mots restent prisonniers des branches nues du platane.
- Je m'ennuie souvent avec elle, mais au moins, je suis tranquille, loin des angoisses angoissantes de Papa. C'est ça : chez elle, je m'ennuie tranquillement ! Si tu savais comme c'est agréable !
Moi, je tourne en rond dans le brouillard. Je cherche un secret. Mais un secret, c'est inodore, incolore, ça n'a pas de forme.
Lila a son air de "je le savais, pauvre idiot". Dès qu'on sort de là, il faudra que je pense à la pousser sous un bus. p94
Nous sommes en train de préparer son lit et je l'étoufferais bien avec l'oreiller que j'ai à la main. p. 84