"l'âme de l'amour n'a aucune idée de jugement: des ailes, et point d'yeux, voilà l'emblème d'une précipitation inconsidérée; et c'est parce qu'il est si souvent trompé dans son choix qu'on dit que l'amour est un enfant" Shakespeare
Cette fille me déroutait. Elle venait littéralement de péter les plombs. Son corps tout entier tremblait de rage, mais elle ne versait pas une larme. Elle venait d’envoyer bouler son mari et ses invités. Alex devait se sentir carrément minable. Du moins, je l’espérais.J’étais impressionné. Je ne pensais pas qu’elle était capable d’une chose pareille. Jusqu’ici, j’avais plutôt imaginé qu’elle était du genre à se laisser faire, à sacrifier son orgueil pour préserver les apparences.
Même si je ne ressentais rien pour lui, je ne pouvais pas ignorer une légère attirance physique. Il me faisait me sentir vivante, belle et désirée, ce qui m’aidait à oublier que mon corps m’avait trahie en m’empêchant de tomber enceinte. Quand je passais du temps avec Paul, tout ce qui allait de travers dans ma vie privée m’apparaissait comme une énorme contrainte dont j’aurais pu me débarrasser d’un claquement de doigts.
À défaut d’être amants, peut-être pourrions-nous devenir amis. J’en avais même très envie. Elle avait besoin de quelqu’un pour l’aider à traverser cette période difficile, et j’avais besoin de donner du sens à ma présence en France pendant que ma vraie vie m’attendait à des milliers de kilomètres de là. Nous nous entendions bien et nous allions trouver notre compte dans cette relation inattendue.
Je n’aurais pas apprécié de voir ma femme débarquer soûle au beau milieu de la nuit avec mon propre frère qu’elle connaissait à peine. Après la sortie théâtrale de Lou, s’échapper pendant des heures nous était apparu comme la solution. Et je n’avais aucun regret. Mais il fallait revenir à la réalité. Je lui proposai de quitter le bar et d’aller marcher pour dessoûler avant de rentrer.
D’habitude, pénétrer dans mon appartement me plongeait dans une ambiance familière qui m’apaisait immédiatement. Mais la présence de l’intrus venait perturber cet équilibre et, surtout, l’ordre qui régnait habituellement dans les pièces. Je remarquai tout de suite qu’une paire de vieilles bottines de cuir marron aux lacets défaits traînait dans l’entrée et que le tapis était froissé.
Je n’aimais pas la personne que j’étais lorsque j’étais jalouse. Pire encore, je n’aimais pas cette femme froide, angoissée et constamment dans l’attente que j’étais devenue. J’avais besoin d’être seule et je mourais d’envie de fumer une cigarette. Il était plus simple de prendre la fuite, surtout qu’Alex se débrouillait toujours pour faire passer mes reproches pour des infantilités.
Ce n’est pas ainsi que j’avais imaginé ma vie.Moi qui croyais qu’elle avait réagi comme ça à cause de son voyage à Paris, je m’étais planté sur toute la ligne. Alex lui avait fait bien plus de mal que je ne le pensais. Il lui avait fait miroiter une vie de famille et, après une année d’échecs à répétition, venait de lui faire comprendre qu’il ne s’investirait jamais.
Le décolleté plongeant et le peu de tissu qui recouvrait mes fesses feraient l’affaire. Je me dirigeai une dernière fois vers la salle de bains pour appliquer la touche finale : mon rouge à lèvres carmin Chanel indélébile. J’arrangeai une dernière fois mes longs cheveux blonds et pris le temps de scruter mon reflet dans la glace quelques instants.
La solitude me compressait la poitrine. Je réalisai presque immédiatement que c’était ce que la France provoquait : ne pas rentrer dans les clous donnait l’impression d’être un bon à rien, un paria et un malheureux. Cet idéal social qu’il fallait accomplir était un ramassis de conneries. Je devais quitter au plus vite cet endroit.