Il ne faut pas oublier que j’étais une jeune fille qu’on avait tenue à l’abri de tout. J’étais couvée comme l’étaient les filles de cette époque. Pas de télévision, pas de cinéma, pas de radio. Nous voyagions toujours accompagnées de chaperons, nous portions des chapeaux avec voilettes, on nous enseignait de garder les yeux baissés, de détourner le regard. Je n’avais probablement rien vu de pire qu’un ivrogne dans le parc ou un cocher battant son pauvre cheval. Les odeurs et les spectacles de ces taudis étaient presque indescriptibles. Trop d’enfants malades, pas assez d’air, aucun endroit pour se laver ou simplement être seul.
Les femmes qui se servent de leur corps comme d’un instrument de séduction sont des créatures faibles et sottes. On doit les plaindre et, bien sûr, elles n’inspirent pas le respect aux hommes.
On ne pouvait escompter que les enfants étouffent leurs émotions. Ils tombaient, pleuraient, dérangeaient, perturbaient. Ou encore, comme son fils John, ils attendaient de l’autre côté d’un journal, avec un air plein de gravité, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus ignorer leur souffle patient et régulier. Mais on pouvait avoir autorité sur les enfants. On pouvait les tenir à distance.
Il n’y a aucune joie dans ces gens. Ils accomplissent un devoir, mais il semble qu’il ne soit « pas convenable » de montrer quelque entrain ou de ressentir quelque innocente passion. Ils se tiennent compagnie pendant des années, de façon aimable, en montrant une telle patience, un tel sens du devoir. De tels mariages ne peuvent donner des enfants.
Le corps n’est pas quelque chose dont on fait étalage. C’est seulement l’enveloppe physique de l’âme et de l’intelligence.
L’humiliation de cette première vraie punition ou même la perte de la magnifique poupée l’affectaient moins que la façon dont son père l’avait transportée, évitant son contact, comme un chiot qui aurait fait des bêtises sur la carpette.
Ces temps-ci, elle avait trouvé un nouveau moyen de s’isoler du monde quand elle ne pouvait plus le supporter. Elle écoutait une chanson dans sa tête. C’était aussi facile que de tourner le bouton d’un poste de radio.
Quand on se présente à une élection, ce n’est pas comme une présentation sur une scène. Cela signifie qu’on parcourt le pays, que l’on fait des discours pour essayer de convaincre les gens de voter pour soi.
Les adultes avaient toujours cette façon secrète de se parler. Parfois ils parlaient français ou utilisaient des mots bizarres.
La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur qui se rengorge et se tourmente sur la scène puis dont on ne parle plus.