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Citation de collectifpolar


Personne ne trouve la réponse. On approche de la fin de l’après-midi, c’est presque l’heure de la pause, ils pensent à leur café et à leurs biscuits plutôt qu’aux archétypes de la littérature fantastique. Je jette un coup d’œil par la fenêtre. Les arbres le long du cimetière s’assombrissent, il n’est pourtant que seize heures. J’aurais dû garder cette nouvelle pour le cours du soir. Mais il est CHAPITRE 1
L’Inconnu
« Si vous me permettez, dit l’Inconnu, je voudrais vous raconter une histoire. Après tout, nous nous sommes embarqués dans un long voyage et à en juger par le ciel, nous risquons d’être coincés dans ce wagon pendant encore un bon moment. Alors pourquoi ne pas passer le temps à échanger quelques récits ? Quoi de mieux pour un soir d’octobre ?

Êtes-vous confortablement installés ? Ne vous inquiétez pas pour Herbert. Il ne vous fera pas de mal. C’est juste que le temps joue avec ses nerfs. Où en étais-je ? Que diriez-vous d’un peu de cognac pour vous réchauffer ? Ça ne vous dérange pas de boire à la flasque ?

Il s’agit d’une histoire vraie. Ce sont les meilleures, vous ne trouvez pas ? Et mieux encore, c’est à moi que ces événements sont arrivés, quand j’étais jeune. J’avais à peu près votre âge.

J’étais étudiant à Cambridge. En théologie. Il n’y a pas d’autre sujet qui vaille, à part peut-être la littérature anglaise. Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves. J’y étais depuis presque tout un trimestre. J’étais un garçon timide venu de la campagne et je souffrais de ma solitude. Je n’étais pas un de ces enfants gâtés qui se pavanaient en habit dans les cloîtres des collèges comme si Dieu lui-même les y avait inscrits. Je restais dans mon coin, je suivais les cours assidûment, je rédigeais mes dissertations et je m’étais lié d’amitié avec un autre étudiant boursier de première année, un être timide du nom de Gudgeon, le pauvre… J’écrivais à ma mère toutes les semaines. J’allais à la messe. Oui, car j’étais croyant à cette époque. J’étais même plutôt pieux. C’est pour cette raison que je fus plutôt étonné lorsqu’on m’invita à entrer au Hell Club, le Club de l’Enfer. Étonné et enchanté. J’en avais beaucoup entendu parler, évidemment. On entendait des histoires d’orgies à minuit, de domestiques qui s’étaient sentis mal lorsqu’ils venaient nettoyer les chambres où leurs réunions avaient eu lieu, de leurs incantations mystérieuses sorties du Livre des morts, d’ossements enterrés et de tombes grandes ouvertes. Mais d’autres rumeurs encore circulaient. Plus d’un personnage important était passé par le Hell Club : des politiciens – y compris un ou deux ministres –, des écrivains, des avocats, des scientifiques, des hommes d’affaires immensément riches. On les reconnaissait toujours à leur insigne, une tête de mort qu’ils portaient sur le revers gauche de leur veste. Oui, comme celui-ci.

J’étais donc heureux d’être invité à cette cérémonie initiatique. Elle se tenait le 31 octobre. Halloween, bien sûr. Et bien sûr, c’est aujourd’hui Halloween. Si l’on croit aux coïncidences, tout cela pourrait paraître quelque peu inquiétant.

Pour en revenir à mon histoire, c’était une cérémonie assez simple qui devait démarrer à minuit. Évidemment. Les trois novices devaient se rendre dans une maison en ruine, juste à l’extérieur du collège. Chacun à notre tour, on nous mettait un bandeau sur les yeux et on nous tendait une bougie. Il fallait marcher jusqu’à la maison, monter l’escalier, allumer notre bougie à la fenêtre du premier étage. Puis crier de toutes nos forces : “L’Enfer est vide !” Lorsque nous eûmes tous accompli cette tâche, nous pûmes retirer les bandeaux que nous avions sur les yeux et rejoindre nos compagnons. Un festin et des réjouissances de toutes sortes s’ensuivaient. Gudgeon… ai-je mentionné que ce pauvre Gudgeon était un des trois novices ? Il était inquiet car sans ses lunettes, il était pratiquement aveugle. Mais, comme je le lui avais rappelé, nous avions de toute manière les yeux bandés. Un homme peut voir sans yeux les agissements du monde. »



« Donc, dis-je, que va-t-il se passer maintenant ?

— Quelque chose d’horrible, répond Peter.

— Exact, dis-je en comptant en silence jusqu’à dix. Qu’est-ce qui te fait penser ça ?

— Eh bien, déclare Una, le décor, d’abord. Puis minuit à Halloween.

— C’est un peu un cliché, objecte Ted.

— C’est un cliché parce que ça marche, rétorque Una. C’est vraiment angoissant, avec le mauvais temps et tout ça. Je te parie qu’ils vont être coincés par la neige dans leur train.

— Ça, c’est un pastiche du Crime de l’Orient-Express, remarque Peter.

— L’Inconnu est antérieur à Agatha Christie, lui fais-je remarquer. Qu’est-ce qu’il y a d’autre qui vous indique le genre de nouvelle auquel nous avons affaire ?

— Le narrateur te donne des frissons dans le dos, répond Sharon, avec ses histoires de boire dans sa flasque, et quand il dit de ne pas s’inquiéter d’Herbert. D’ailleurs, c’est qui Herbert ?

— Bonne question, dis-je. À votre avis ?

— Un sourd-muet.

— Son domestique.

— Son fils. Il doit le surveiller parce que c’est un fou dangereux.

— Son chien. »

Tout le monde éclate de rire.

« À vrai dire, c’est Ted qui a raison, Herbert, c’est son chien. Le compagnon animal est une présence récurrente dans les histoires fantastiques, parce qu’un animal peut percevoir des phénomènes au-delà de la compréhension humaine. Quoi de plus effrayant qu’un chien qui regarde fixement quelque chose qu’on ne voit pas ? Les chats sont particulièrement angoissants dans ce sens-là. Songez à Edgar Allan Poe. Et on a souvent considéré les animaux comme proches des sorcières et comme leurs assistants quand il s’agit de pratiquer la magie noire. Mais il y a une autre raison pour laquelle les animaux représentent des personnages utiles. Est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi ? »

Personne ne trouve la réponse. On approche de la fin de l’après-midi, c’est presque l’heure de la pause, ils pensent à leur café et à leurs biscuits plutôt qu’aux archétypes de la littérature fantastique. Je jette un coup d’œil par la fenêtre. Les arbres le long du cimetière s’assombrissent, il n’est pourtant que seize heures. J’aurais dû garder cette nouvelle pour le cours du soir. Mais il est trop difficile d’aborder tous les sujets pendant un atelier aussi limité dans le temps. C’est le moment de conclure.
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