Arriver sur terre, c’est arriver dans une famille que nous ne connaissons pas, qui peut nous rester étrangère des années durant. C’est devoir s’en remettre à des êtres apeurés, bancals, mettre notre vie entre leurs mains tremblantes. On ne se choisit pas, on nous impose les uns aux autres sans même nous présenter. Il arrive que la véritable rencontre ne se produise jamais. Je n’ai pas su me frayer de chemin pour venir jusqu’à toi, tu n’as pas su venir à ma rencontre. Chaque jour qui passe nous rapproche du moment où le rendez-vous manqué s’inscrira de manière irréversible dans notre histoire. Qu’y aura-t-il de plus douloureux ? Le manque, la nostalgie, ou les paroles interdites, l’amour retenu prisonnier ? Aussi sûrement que les coups reçus, chaque élan retenu nous oppresse. Ce que nous n’aurons pas su donner restera perdu. Définitivement.
Trouver les mots pour se parler librement, avec simplicité, nous sommes si maladroits, désarmés pour cela. Nous restons deux inconnus qui n’ont en commun qu’un seul et même nom, un lien de sang, quelques goûts similaires à certains endroits. Un lien nourri de non-dits, de blancs, de silences. Un lien qui ne s’est pas rompu, qui n’a fait que survivre aux années, sans réel développement, dont chacun ressent la frustration et la blessure.
Autres allers-retours. Entre les pages d'encre et l'extérieur. Je découvre la vie,me rencontre,me reconnais dans les livres. La musique des mots,espace vital où je reprends mon souffle, puise des forces pour aller de l'avant. Je les attrape au vol, m'en saisis, les brandis comme un étendard. La littérature devient l'épaule sur laquelle je m'appuie pour affronter le monde.
Le passé se polit sur la pierre du temps, devient cet habit usé, étriqué dans lequel je ne respire plus. Seconde peau qui me colle, dont je dois me séparer. A contrecœur. L’inconfort, plus sécurisant que l’inconnu. Avec lui, pas de mauvaise surprise, les sillons sont biens tracés, chaotiques mais prévisibles. Devenus familiers, nous vivions en osmose.
Passer de l'autre côté du miroir,Connaître l'envers du décor. Le reste m'indiffère. Peu importe ce que l'autre montre, je cherche l'accès de cet espace où il se dissimule. Là est notre vérité,dans ce que nous cachons,enfouie sous des tonnes de gravats.
Face à l'âpreté du dehors restent les plaisirs minuscules,démultiplication de ces poignées de secondes savourées à la dérobée. A l'ombre des haies,sous les herbes folles,dans les champs abandonnés,je suis protégée.
Mes seules armes,les sourires. Sourire. Et puis me taire. Un moyen comme un autre de me frayer un chemin dans une vie où je ne trouve pas ma place.
Nos vies sont faites de moments éphémères,fugaces,qui nous glissent entre les doigts. Ce qui est ne sera bientôt plus.