Citations de Emérance Taylor (12)
Un sentiment d’euphorie s’empare enfin de mon corps à mesure que toute la tension des dernières semaines s’évapore. Les douleurs dues à de longs mois d’inactivité se font vite ressentir, mais je les ignore, trop heureuse d’inhaler l’air pur du parc. Les chants des oiseaux, le coucher du soleil ainsi que les quelques animaux sauvages dissimulés dans les buissons transforment ce simple parc en un véritable havre de paix, et cet exercice physique se transforme en véritable renaissance.
Six ans et je sais que jamais, je ne m'en lasserai.
Lorsque je retrouve la lumière, la chaleur et le bruit du couloir, c’est comme si tous mes sens se réveillaient d’une longue période d’hibernation. Je suis incertaine quant à ce qu’il vient de se produire, même plus sûre que cette salle existe vraiment, ni si j’y suis réellement entrée. Je sais, je sens cependant que cet instant de perdition, d’isolement, m’a été bénéfique. Même si je ne veux pas et ne peux pas encore l’admettre, plus rien ne sera comme avant. Les temps changent, et ma vie évolue avec eux, c’est indéniable. Deux choix s’offrent à moi désormais : me battre, ou me rendre. Je considère les cartes qui sont miennes ; j’ai une famille à sauver, un enfant à consoler, un envol à prendre. J’ai également des rêves à vivre, et un amour fou à trouver. Tout cela est effrayant, et le temps d’une petite seconde je ne désire qu’une chose : m’enfuir. Mais je ne peux pas, je ne veux pas. Je choisis de me battre.
Depuis, j’ai le sentiment d’être enfermée dans une bulle où plus rien n’a de sens, où chaque décision est prise sous l’influence du gain plutôt que de la justice. Quand en sortirais-je ?
Mon père apparaît, le visage rouge de colère et la respiration bruyante. Je recule d’un mouvement brusque : je connais ce regard, je reconnais cette posture, celle qu’il arbore quand il cherche à tout prix à contenir sa rage. Il m’effraie, et je me maudis intérieurement de l’avoir provoqué. Dire que je m’apprête à passer un mauvais quart d’heure relève désormais de l’euphémisme.
J’aimerais que tout redevienne noir et silencieux, pour que je puisse me concentrer. Peut-être que je pourrais même sentir la présence de mes parents, comme je perçois celle de grand-père quelques fois. Quand nous sommes tous ensemble, je sais que tout ira bien, et que rien de grave ne se produira parce qu’ils ne le permettraient pas. Je dois dire au policier comment je m’appelle ! Pourquoi ma bouche ne fonctionne-t-elle pas ? Je pleure, j’ai peur.
L’air s’est encore rafraîchi, mais l’adrénaline qui parcourt mes veines m’anesthésie et je ne ressens absolument rien, à part les battements frénétiques de mon cœur. Nous sommes tous rassemblés à observer le ciel d’un noir d’encre, impatients que le spectacle commence. Nous désirons admirer les lumières étincelantes des fusées, allégories de notre liberté si douloureusement gagnée.
Elle n’a pas changé : ses cheveux d’un roux flamboyant tombent toujours en cascade dans son dos, sa silhouette parfaite me fait encore rêver, mais surtout son regard bienveillant à mon égard me rassure comme dix ans auparavant.
Je lui rends son étreinte et laisse échapper quelques larmes d’émotion. Pourquoi ai-je attendu toutes ces années avant d’oser les revoir ? J’ai perdu tellement de temps.
Nos bras se touchent et nos bouches ne sont qu’à quelques centimètres l’une de l’autre. Il plonge son regard dans le mien et l’alchimie qui nous unissait au lac réapparaît. Ses lèvres douces effleurent enfin les miennes. Je voudrais aller loin, beaucoup plus loin, mais le klaxon d’un camion nous fait sursauter et nous rappelle que nous avons encore un bon après-midi de route qui nous attend.
Aucun de nous deux n’ose le dire réellement, de peur de nous tromper, de peur de paraître ridicule. Nous pourrions nous réjouir, nous dire que ces photos, cette histoire et la vidéo nous rendront célèbres dans le coin, que des journaux viendront nous interviewer et que nous serons peut-être même riches. Mais ce n’est pas ce que nous voulons, et de toute manière, ce n’est pas comme ça que ça marche. On se moquera de nous, la police nous conseillera de consulter et une terrible chasse va prendre lieu, ayant des effets ravageurs sur la forêt. Sans même en discuter, nous savons pertinemment que la meilleure chose à faire est de nous taire.
J’ai toujours trouvé Paul un peu étrange, ou devrais-je plutôt dire timide et réservé, mais je ne m’attendais pas à une situation d’une telle ampleur… Je me saisis de mon portable et lui envoie un message lui demandant où il se trouve. Je reste assise, immobile, attendant une réponse, ou au moins un signe. Il se passe cinq, bientôt dix minutes, sans que rien ne vienne me sortir de ma torpeur. À ce stade, je ne sais plus si je suis inquiète ou bien déçue. Un peu des deux, j’imagine. Dans tous les cas, je suis sûre d’une chose : si Paul réapparaît, il va passer un sale quart d’heure.
Son récit est à dormir debout, je te l’accorde, mais d’un côté, il faut vraiment avoir une imagination débordante pour l’inventer.