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Citations de Emile Dermenghem (12)


C'était par politesse que Bichr [al-Hārith al-Hāfi, 767-841] marchait pieds nus. La Terre est le tapis d'Allah, un tapis émaillé de fleurs et de lignes subtiles comme ceux d'Ispahan ; un tapis semé de tous les prestiges à la fois illusoires et réels de la création ; le tapis de la salle royale qui conduit au trône. Un homme bien élevé se déchausse avant d'entrer dans une maison, à plus forte raison dans le palais du souverain assis sur l'Arche au sein de laquelle tournent les mondes.
(…)
Il savait d'ailleurs manier l'ironie, comme lorsqu'il disait aux traditionnistes : « Payez l'aumône légale avec vos traditions. — Comment cela ? — Sur deux cents, prenez-en cinq comme règles de votre conduite. »
(…)
Cet homme, qui avait remplacé l'ivresse du vin par l'ivresse extatique au point que sa sœur le vit un soir commencer à monter l'escalier et demeurer sur une marche, toute la nuit en contemplation, évitait soigneusement tout déséquilibre. Il était loin d'admettre que l'extase et l'ésotérisme pussent être des prétextes à violer les règles de la bonne conduite. « La gnose, disait-il, ne fait pas disparaître le scrupule ; l'initié ne dit rien de contraire au sens extérieur du Livre et de la Tradition ; le don des miracles n'incite pas le saint à violer la Loi ». (pp. 85 & 95-96)
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Le fondateur de l'islam, Sidnâ Mohammed (sur lui la prière et la paix !) n'était pas essentiellement un saint, mais un prophète, nabî et un envoyé, rasoûl. Son rôle était, non pas de cultiver sa propre spiritualité, de réaliser un type de perfection mystique ou d'assumer les souffrances des êtres, mais de faire entendre un message objectif, de promulguer une loi formelle et d'organiser une communauté.
(...)
S'il est un temps où les ressources les plus précieuses sont la patience, la résignation et le renoncement, c'est bien le nôtre. Pour moi, qui ai rédigé les pages qui suivent aux heures sombres où les sept coupes de la colère étaient déversées sur le monde, je ne saurais avoir trop de reconnaissance envers les awliya pour le secours qu'ils m'ont apporté dans l'épreuve. Au bout de dix siècles, j'étais aidé par l'abnégation d'un Ibrâhîm, la subtilité d'un Dzoû'l Noûn, l'élan vers l'essentiel d'un Bayazid, la rude loyauté d'un Bichr, l'ivresse poétique d'un Dzhoul noûn et d'un Noûri, la limpidité d'un Sarî et d'un Yahya, la fantaisie libérée d'un Chibli. Que profitent de leur exemple et bénéficient de leur baraka les hommes d'un monde qui souffre d'avoir méconnu que sa racine était dans le monde supérieur des Idées, de l'Amour et de la Gloire ! Que Dieu soif content d'eux et sanctifie leur secret ! (pp. 8 & 11-12)
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Hâtim al Açamm(1) (que Dieu soit content de lui !) avait dit à ses disciples : « Si au jour de la résurrection, vous n'intercédez pas pour ceux qu'on conduira en enfer, vous n'êtes pas vraiment mes disciples. » Lorsque Bayazîd [al Bistamî, 804-874] eut connaissance de ce propos, il dit à son tour : « Ils seront vraiment mes disciples ceux qui, au jour de la résurrection, se tiendront au bord de l'enfer pour se saisir des malheureux qu'on y précipitera et les envoyer au paradis, dussent-ils, pour le salut des autres, entrer eux-mêmes dans le feu ».

Aussi priait-il : « O mon Dieu ! si tu as prévu dans ta prescience que tu tortureras une de tes créatures dans l'enfer, dilates-y mon être au point qu'il n'y ait plus que moi qui puisse y tenir. » « Qu'est-ce que c'est que cet enfer-là ? Certes, je m'approcherai au jour du Jugement, des damnés, et je Te dirai : ‘’Prends-moi pour leur rançon, sinon je m'en vais leur apprendre que ton paradis n'est qu'un jeu d'enfants’’ ». « O mon Dieu ! Tu as créé ces créatures sans qu'elles le sachent, tu les as chargées de la foi sans qu'elles le demandent ; si tu n'es pas généreux envers elles, qui le sera ? ».

Il n'avait pas été sans s'effrayer un peu lui-même de cette exigence. Il marchait un soir dans la campagne par un beau clair de lune ; le monde, immobile, visible presque comme en plein jour, était merveilleusement pacifié par le grand silence de la nuit. Bayazîd admirait l'ordre harmonieux des étoiles rangées chacune à sa place pour remplir sa propre fonction. Combien magnifique était en vérité la cour divine ! Mais comment se faisait-il qu'il n'y eût point d'autre courtisan pour contempler toutes ces splendeurs ? C'est, lui dit une voix, que les hommes sont pour la plupart insouciants et endormis. Un sur mille vivants a accès à cette cour. Bayazîd eut alors l'idée de demander au Roi bienveillant la grâce de toutes les créatures. Mais il se représenta que l'intercession était un privilège du Prophète et qu'il lui convenait, à lui, de rester sur la réserve. Mais la voix reprit (sans écarter sa requête muette et sans non plus s'engager) : « O Bayazîd ! parce-que tu as été modeste et réservé, nous avons résolu d'élever si haut ton nom et ton rang que, jusqu'au jour de la résurrection, les hommes t'appelleront le sultan des initiés. »

(1) Originaire de Balkh, disciple de Chaqîq al Balkhî, +237/851. (pp. 240-242)
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La loi révélée indique un ensemble de prescriptions valables pour l'ensemble de la communauté et la moyenne des croyants, ainsi que des notions sur ce que Dieu n'est pas, sur ce qu'il demande de nous, sur ce qu'il est par rapport à nous, mais non évidemment sur ce qu'il est en soi ; sur les moyens rituels d'entrer en contact avec sa grâce, non sur l'union intime avec l’Être. La gnose en ce sens se superpose moins à la révélation qu'elle n'en tire toutes les conséquences. « La ma'rifa, disait Dzoû'l Noûn, est la communication, que Dieu, fait de la lumière spirituelle au plus profond des cœurs. »

Loin de trouver dans cette gnose une raison d'orgueil, il y voyait le prix de la plus parfaite humilité, l'identification ne s'obtenant qu'au moyen de l'annihilation du moi. « Le gnostique (ârif) devient chaque jour plus humble, car à chaque instant il se rapproche davantage de son Seigneur ». Et il n'est pas question de s'affranchir avec désinvolture des devoirs et des charges qui pèsent sur la condition humaine. « Tous les gens sont morts, sauf ceux qui savent ; et ceux qui savent sont morts, sauf ceux qui pratiquent ; et ceux qui pratiquent sont tous égarés, sauf ceux qui agissent avec l'intention droite ; et ceux qui agissent avec l'intention droite sont tous en grave danger ». Car il faut être vertueux, non par moralisme, mais pour le service de Dieu qui est la Vérité, et il faut trouver Dieu au-delà des vertus et des actes. L'initié ne peut être perpétuellement triste ni perpétuellement gai. Il est « dans ce monde comme un homme qui a été couronné de la couronne du miracle et placé sur un trône, mais au-dessus de sa tête, il y a un sabre suspendu par un cheveu, et devant la porte de sa chambre se tiennent deux lions menaçants. Il est plein de gloire, mais à chaque instant près de se perdre. » (pp. 132-133)
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Il présente la vie du fondateur de l'islam dans son contexte social et culturel, la Révélation dont il fut le messager, les grandes étapes de la tradition née de lui ainsi qu'un choix important de textes tirés du Coran et d'autres sources.
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…l'on pourrait multiplier les anecdotes analogues où sont mis en scène des mystiques arrivés et restés à la station des majdzoûbîn et dont la folie confond la raison des gens sains. Cha'râwî connut en Égypte Ibrâhîm le Nu, qui interpellait les gens par leur nom sans les connaître, se livrait à dés incongruités, montait en chaire tout nu en prononçant des phrases incohérentes, mais dont la voix était si douce qu'on ne pouvait plus le quitter. Un autre Égyptien du XVI' siècle, 'Abdar-Rahman al Majdzoûb, s'était émasculé lui-même au début.de sa vocation. Il se tenait, été comme hiver, accroupi sur le sable, gardait le silence trois mois, parlait, pendant trois mois, en souriant, un langage enfantin, et était si dépersonnalisé qu'il disait, quand il avait faim : « Donnez-lui à manger », quand il avait soif : « Donnez-lui à boire ».

Aboû-Bakr al Chiblî, l'un des plus importants çoufis de la première moitié du X siècle, à Baghdâd, poète à l'esprit enthousiaste et un peu agité, au langage pittoresque et à la personnalité assez complexe, était sujet à de fréquentes extases et à des manifestations exubérantes dans lesquelles les maîtres voyaient plutôt des signes de faiblesse et d'imperfection. Il aimait les gestes d'une symbolique extravagance. Il mendiait pour sa famille et distribuait l'argent aux pauvres ou le jetait à l'eau. Il brûlait de beaux vêtements. On le vit allumer un morceau d'ambre et en parfumer la queue d'un âne, pour signifier sans douté que toute chose étant un signe de la divinité, pareillement admirable et pareillement nulle, avait droit à sa vénération. (pp. 302-303)
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Le samâ’ avec chant de poèmes, parfois jeu d'instruments et souvent danse extatique, deviendra l'un des moyens favoris de réalisation mystique, l'un des principaux objets des réunions dans les confréries çoufies. Dzoû'l Noûn en est, semble-t-il, l'un des premiers responsables.

Sans doute ce samâ’ du ix siècle n'était-il pas systématiquement organisé comme il le fut plus tard, aux temps d'al Ghazalî, d'al Rifâ'î et d'al Roûmi (xi-xiii siècles) et comme il se pratique de nos jours chez les Mevlévis d'Orient et les Derqawa du Maghreb ; mais il semble bien que la troupe des disciples d'al Miçri (doué lui-même, nous l'avons vu, d'une belle voix) comportait un ou plusieurs chanteurs (qawwal). A certains moments l'état extatique (hâl) et la rapture (wajd) étaient provoqués parmi eux par l'audition de la musique et des poèmes. La musique était pour eux l'écho de la Parole primordiale dite par Dieu aux esprits encore dans les reins d'Adam, quand il leur demanda : « Ne suis-je pas votre Seigneur ? » et qu'ils répondirent : « Si ». Pacte solennel, covenant, mîtsâq, dont l'écho bruissait encore aux oreilles de Dzoû'l Noûn. La méthode des çoufis n'avait-elle pas au reste comme but de restaurer l'état primordial adamique, point de départ de la conquête des états suprêmes de l'Existence ? Comme, après le « voyage nocturne » de La Mecque à Jérusalem, sur la jument ailée, Mohammed s'élançait, de l'emplacement du Temple, jusqu'au Trône de Dieu.

C'est pour cela que Mas'oûdi, parlant des cordes du luth, qui sont en relation avec les nombres augustes, déclare que cet instrument participe de la nature de l'homme et agite celui-ci « d'une émotion qui n'est autre chose que le retour subit de l'âme à son état naturel ». C'est pour cela qu'Ibn ‘Arabî, remontant jusqu'au Fiat (Koun) divin, à l'audition de la Parole créatrice, déclare que les gens du samâ’ trouvent dans l'extase musicale l'analogue même de l'irradiation existentielle. (pp. 146-148)
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Jean-Baptiste Willermoz devenu « fabricant d'étoffes de soies et d'argent » et « commissionnaire en soieries » montra une aptitude remarquable aux affaires. Non seulement il développa la maison paternelle, mais il sut par ses propres forces, au milieu des troubles de la fin du siècle, édifier une nouvelle fortune. Il était à sa mort l'un des gros négociants et propriétaires fonciers de la ville.
Ses facultés d'organisateur ne sont pas moins remarquables et lui valurent, nous le verrons, une place de premier rang dans les sociétés secrètes de Lyon, de France et même d'Europe. C'est justement ce mélange de réalisme pratique et d'idéalisme mystique qui semble le trait le plus frappant de son caractère.
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Le çoufisme, l’ésotérisme et la mystique de l'Islam n'ont rien à voir avec les races. Des influences nombreuses (au premier rang desquelles nous pouvons placer le syncrétisme oriental et particulièrement le néoplatonisme) ont pu nuancer plus ou moins fortement leur mode d'expression ; les idées religieuses et métaphysiques répandues dans le Proche-Orient et mélangées jusqu'à la confusion, ont pu les pénétrer, leur fournir des thèmes et des instruments de pensée, axer leurs spéculations et surtout enrichir leur vocabulaire ; — il reste que les sources essentielles sont l'intuition spirituelle, la méditation assidue du Coran, les nécessités du cœur et de l'esprit humain, le besoin d'intérioriser le culte, ce qu'on peut appeler la grande Tradition universelle qui n'est jamais laissée ici-bas sans témoignage, et, en dernier ressort, la « source » par excellence de la transcendante Réalité. (p. 130)
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Nous verrons Willermoz pratiquer minutieusement sa religion. Un contemporain, qui reproche aux Martinistes lyonnais d'avoir « l'esprit sans cesse occupé de revenants et de prodiges » constate d'ailleurs qu'ils « méprisaient les idées des Philosophes » athées et qu'ils « ne se bornaient pas à suivre les préceptes de la religion dominante, mais se livraient aux pratiques de dévotion. » Il rend témoignage à leurs moeurs généralement « très régulières. On remarquait un grand changement dans la conduite de ceux qui, avant d'adopter les opinions des Martinistes, avaient vécu dans la dissipation »
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Un personnage assez mystérieux, qui devait s'en aller mourir à la Guadeloupe après avoir lancé en Europe le plus important mouvement ésotérique de son temps, Martinez de Pasqually, avait fondé à Bordeaux et à Paris, aux environs de 1754, la secte mystique des Coëns ou Cohens (en hébreu, prêtre) et enseignait à ses disciples les moyens d'entrer en communication avec l'au-delà par la magie cérémonielle et l'évocation des esprits, qu'il appelait agents ou les majeurs (les hommes étant les mineurs), en même temps qu'à renouveler ascétiquement l'Homme Intérieur pour arriver à la réintégration dans l'état adamique antérieur à la chute, en union avec le Christ qu'il appelait la Cause active et intelligente.
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C'est en 1766 ou 1767 qu'apparaissent à Lyon les Élus Coëns (d'un mot hébreu signifiant : prêtre). Le chef de la loge était J.-B. Willermoz-. Les Élus Coëns étaient une classe très secrète d'initiés supérieurs, ignorée des maçons ordinaires ; en 1769, ils ne sont que cinq, y compris Willermoz, d'Epernon et le vénérable de la Grande Loge des Maîtres réguliers Sellonf. Quelle était donc cette secte mystérieuse ?
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