Gothisme et fantastique : Emily Musso écrit "Erenn 1 - L'éveil" chez Rebelle Éditions, maison spécialisée dans la littérature de l'imaginaire.

« La nuit plonge la pièce dans une épaisse obscurité. Derrière nous, les toiles immenses, dont certaines sont recouvertes de fins draps blancs, ressemblent à des fantômes. Avec les bougies pour seul éclairage et l’œuvre de Beethoven jouée au piano à queue, l’atmosphère prend tout à coup une allure gothique. Owen vit la musique autant que moi, si bien qu’en cet instant précis, je sens une complicité s’installer entre nous. À la fin du morceau, il me félicite malgré quelques fausses notes. Il semble impressionné.
Ce voyage inattendu dans cet endroit décalé, à la fois proche du divin par son emplacement, et des entrailles de la Terre avec la compagnie de ces êtres étranges à demi morts, Owen a su me captiver. Si son but était de me surprendre, c’est réussi.
À son tour de me faire voyager dans un monde fantasmagorique où tous les rêves semblent plausibles. Il commence un morceau dans un tempo particulièrement lent, marqué par des espaces vides. Hésitations ? Dans son imperfection, j’entrevois une grande sensibilité. Après quelques envolées lyriques, la mélodie retombe dans une noirceur bouleversante. Je réalise alors qu’il ne joue pas, il compose.
Comme sa musique, Owen me paraît à la fois sensible et attachant, obscur et inquiétant. Son visage est pâle comme la lune, ses cheveux bruns partent dans tous les sens et ses yeux à demi clos semblent fixer un ailleurs fantastique. Son esprit voyage aussi loin que les notes le portent. Avec un style qui se cherche encore, des mouvements alternant le défaitisme et les envolées lyriques, le tout empreint d’une grande poésie, il parvient à me donner des frissons. Mon armure se fend peu à peu pour laisser passer les notes au travers de mon âme.
La musique se charge d’une profonde tristesse, soulignant ainsi la gravité du thème évoqué. L’angoisse, la mort ? La mélodie a beau s’exposer par moments à de puissants contrastes dynamiques, selon les volontés du compositeur particulièrement inspiré ce soir, elle ne parvient pas à briser les barrières de ce cercle infernal. Un peu comme si Owen avait décidé d’enfermer sa musique dans une boucle d’une noirceur absolue et définitive, m’entraînant avec lui dans l’abîme. L’éclaircie n’était que passagère, la composition s’éteint dans une plainte agonisante. Les rêves n’étaient en réalité qu’une douce illusion. »
« Il était un solitaire, cynique et mystérieux, mais il soulevait l’intérêt et l’affection du peuple irlandais qui ne voyait en lui que grandeur. C’était d’ailleurs précisément ce qui lui permettait de sortir la tête des ténèbres. »
« Sa folie peut prendre n’importe quelle forme. De la rage meurtrière à l’insensibilité. Un être dénué d’émotions et de compassion qui cherche sans cesse à atteindre le sentiment de liberté par la souffrance. Pas seulement la sienne d’ailleurs mais surtout celle des autres. »

Je me réfugiai dans mes pensées et de nombreux souvenirs, chacun étroitement lié à Adrian, illuminèrent alors mon esprit. Je me rappelai notre première rencontre dans une salle parisienne pour le concert de Banshee. De son regard si profond où cohabitaient sagesse et folie luciférienne. J'avais encore des frissons lorsque je repensais à ce moment exceptionnel, ou en me mordant le poignet, il avait réussi à me convaincre que la douleur pouvait procurer parfois un certain bien-être. Par sa complexité et son mysticisme, il était parvenu à me séduire. J'étais passée par toutes les étapes avec lui : fascination, déception, peurs, doutes, espoir ... Je me souvins d'une conversation avec mon amie Sélène qui me faisait encore beaucoup rire. "Sélène, tu as peut-être raison finalement. Adrian est un vampire. Il se nourrit de la candeur des autres. Voilà sa libido : le pouvoir et la puissance. Une domination au coeur de pierre qui se convainc, pour apaiser sa conscience, que la douleur est salvatrice". Beaucoup d'encre avait coulé depuis ...
Alors que nous nous rhabillions, il m'invita à venir avec lui chez sa mère. Honorée par sa proposition, j'en perdis la voix.
- Détends-toi, c'est loin d'être un privilège. Si j'avais quelqu'un d'important à présenter, c'est le dernier endroit où je l'emmènerais.
Cette phrase eut l'avantage de me descendre de mon imaginaire piédestal.
Bien que comblée par des parents exemplaires, je fus une petite fille triste et solitaire, incapable d'approfondir des relations. À ce moment-là, mes rondeurs, objet de railleries de la part de mes camarades de classe, n'ont jamais facilité mon intégration dans leurs groupes. J'ai fini par m'inventer des compagnons de jeu imaginaires et un univers parallèle, bien plus exaltant que celui dans lequel « la petite Charline perturbée » évoluait. Mais face à l'inquiétude de mes parents, j'ai dû suivre une thérapie auprès d'un psychologue redoutant le développement d'un potentiel dédoublement de personnalité. Après tout, j'aurais pu exploiter le « Moi » tel que j'aurais voulu être tout en travaillant l'image du « Moi Réel » auprès des autres, mais j'étais bien trop faible pour supporter une double vie.
« Il faut que tu saches que tout au long de cet éprouvant mais incroyable éveil, j’ai compris une chose : le pire ennemi de l’homme est son propre reflet. Les Fomoires, les Originels et ceux conditionnés par Nédé, ne sont que les clones de leurs vices amplifiés. »
Une pluie diluvienne se mit à tomber sur la ville. Comme je n'avais toujours pas de parapluie, je refis le trajet en sens inverse jusqu'à l'hôtel en courant le plus vite que je pus. Sur le perron, trempée jusqu'aux os, je plongeai la main dans mon sac, à la recherche des clés que m'avait remises Ida. Quelqu'un surgit derrière moi et ouvrit la porte d'entrée avec les siennes. Je fonçai m'abriter à l'intérieur et ce ne fut qu'à ce moment-là que je me tournai pour remercier la personne qui m'avait épargné une attente désagréable.
C'était lui. Il était revenu. Cette situation était tellement improbable que je restai sans voix.
Les Tuatha Dé Dannan viennent des quatre îles du nord: Falias, Gorias, Findias et Murias. Ils ont rapporté avec eux cinq talismans: la lance de Lug, l'épée de Nuada, le chaudron et la massue de Dagda et la pierre de Fal.
Avant de se replier dans le Sidh, l'autre monde, ils ont laissé sur Terre, leur muse, Dana.
On dit qu'elle se cache dans les bois. Elle est vêtue de pourpre et d'or et porte une cotte de maille. Dana symbolise le culte de la terre-mère.
Et malgré les siècles qui se sont écoulés, l'adoration perdure.
« Le royaume de Fomorian était une île au large des côtes irlandaises, plongée dans le brouillard et l’obscurité, où le soleil n’était plus qu’un douloureux souvenir. »
Ils vous ont déçus, ils vous ont exclus. Vous vous sentez trahis, laissés pour compte. Votre valeur n'en est pas pour autant amoindrie et si nous sommes réunis aujourd'hui toujours plus nombreux, c'est pour exploiter cette force intérieure qui vous fera briller de l'extérieur. Votre expérience vous a endurcis, vos souffrances vous ont fortifiés.