Mais
la mer
elle ne se repose pas, ne dort pas, n'est par morte.
Elle grandit dans la nuit
son ventre qu'ont courbé
les étoiles
mouillées , comme le blé à l'aube
elle grandit, elle palpite
et pleure
comme un enfant
perdu
et qui avec un seul coup
de l'aurore
comme un tambour, s'éveille
gigantesque
et elle bouge.
( p. 316 )
"Le poète n'est pas un " petit dieu", il n'a pas volé le feu céleste, il n'appartient pas à une race spéciale, androgyne ou maligne. Le poète est un travailleur de métier . Ce métier n'est pas plus important que les autres. Il n'est pas plus dangereux que les autres , sauf quand il se trouve en face des forces sociales réactionnaires.Alors, il est dangereux, parce qu'il parle, parce qu'il est porteur de la vérité. C'est un métier délicat, car il doit exprimer beaucoup de sentiments inexprimés, il doit être lui-même le choeur antique , l'affirmation sonore de ce que beaucoup de ce que beaucoup de gens ont senti sans pouvoir l'exprimer,
Terre, le printemps
s"élabore dans mon sang
je sens
comme si j'étais
un arbre ,
un territoire,
s'accomplir en moi les cycles
de la terre
eau, vents et arôme
confectionnent ma chemise,
dans ma poitrine des mottes
qu'y a laissées l'automne
commencent à bouger,
je sors et siffle sous la pluie,
le feu germe dans mes mains,
et alors
j'arbore
un drapeau vert
qui sort de mon âme,
je suis semence, feuillage,
et alors tout le jour,
chêne qui mûrit
toute la nuit , je chante
des racines monte le murmure,
la feuille chante dans le vent.
Dans ses conférences de 1954 il a raconté sa métamorphose en ces termes:
"Alors soignant la forme , faisant attention à chaque détail, sans perdre mon enthousiasme , cherchant à nouveau mes réactions les plus simples, mon propre monde organique , je me suis mis à écrire un autre livre d'amour, les Vingt poèmes.
" C'est ainsi que d'un drame intime, de la rencontre avec mon être propre et avec l'amour, qu'un livre est né.
" C'est un livre que j'aime parce que malgré sa mélancolie aiguë ils se trouve dans la jouissance de l'existence. Un fleuve et son embouchure m'ont aidé à l'écrire : le fleuve impérial. Les Vingt poèmes sont la romance de Santiago, avec les rues d'étudiants, l'université et l'odeur de chèvrefeuille de l'amour partagé,
J'ai souvent fait ce voyage, aller et retour, entre la capitale et la province, mais à chaque fois j'ai cru me noyer en quittant les grands bois , le bois maternel. Les maisons d'adobe, les villes avec un passé me paraissaient pleines de toiles d'araignée et de silence. Jusqu'à aujourd'hui, je suis un poète de la pluie, de la forêt froide que j'ai perdue depuis lors.
" Il y a deux amours fondamentaux dans ce livre, celui qui imprégnait mon adolescence provinciale et celui qui me protégeait plus tard dans le labyrinthe de Santiago.
" Dans les Vingt poèmes les pages se conjuguent entre elles, donnant en un endroit une flamme sylvestre et dans un autre un fond de miel obscur. "
1V L'essence circulaire de l'écriture
Le troisième texte est très récent et n'a presque pas été étudié par la critique. Il appartient à la dernière étape de son évolution poétique, étape qui surgit avec la tendance autobiographique profonde qui avait amené Neruda , par deux fois , à raconter, en prose et en vers , sa propre vie. Tant dans les Mémoires de O Cruzeiro que dans le Mémorial de l'île Noire ( 1964) , le poète racontera sa vie et son époque , tout en métamorphosant sa personne poétique et biographique, au moyen de l'écriture.
Fibres d'obscurité et lumière pleurant
lisérés aveugles, énergies crépues,
fleuve de vie et fibres essentielles,
vertes branches et soleil caressé,
les insomnies, les solitudes,
et tu entres, au milieu de la brume noyée
jusqu'à croire en moi, jusqu'à me communiquer
la lumière obscure et la rose de la terre.
Une voix est affirmative et s'enracine dans les souvenirs les plus clairs d'une enfance solitaire :
oh les silences champêtres cloutés d'étoiles
je me rappelle les yeux tombaient dans ce puits inverse
par où montait la solitude de tous les fuyards affolés
l'absence de souci des bêtes dormant dans leurs durs
lys
j'ai imprégné alors l'altitude de papillons noirs des méduses
paraissaient des fracas humidité brouillards
et de retour au mur j'ai écrit
oh nuit un ouragan mort glisse ton obscure lave.
Le jour où il arrive à Santiago, trois ans et cinq mois d'exil sont accomplis . C"était une prison puisque c'était un monde sans Chili. Neruda a placé le poème qui exprime sa douleur de l'exil . Il s'intitule " Quand du Chili " :
Oh, Chili, large pétale
de mer de vin et de neige
Aïe ! quand
Aïe ! quand et quand
Aïe ! quand
me retrouverais-je avec toi,
tu en rouleras ton ruban
d'écume blanche et noire à ma ceinture
je lancerai ma poésie
sur ton territoire.