Ninon est là, trônant au milieu de son royaume de bouquins, de bougies parfumées et de thé vert. Assise en tailleur à même le sol, le dos collé à un fauteuil en rotin, elle lit. Avec une plume de perruche cornue, elle se caresse la joue comme je l’ai tant caressée et comme je la caresse encore. J’ai la pupille d’un Dieu qui contemplerait la quiétude du monde avant de le dévaster à regret. Les mots peuvent tuer tout aussi bien qu’une balle, pour peu qu’ils soient bien ajustés. Ils sont là, au fond de ma gorge, prêts à bondir sur leur proie, cet être qui m’est plus précieux encore que mon propre sou e. Un élan de lâcheté me pousse à rebrousser chemin, à permettre au téléphone de sonner sa mauvaise nouvelle un peu plus tard, à laisser à d’autres le soin de détruire la sérénité de mon foyer. Et puis je me reprends. Je n’ai jamais reculé devant quoi que ce soit, ce n’est pas aujourd’hui que cela va commencer. Et puis Dani n’est peut-être pas mort. Ce pressentiment qui me colle au cœur, poisseux comme une tache de graisse, n’est peut-être qu’une faiblesse passagère, un mirage, un faux pas. Je reste. Mais je retarde.