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Citations de Emmanuel Carrère (1616)


Récapitulons. Luc est un Grec instruit qu'attire la religion des Juifs. Depuis sa rencontre avec Paul, un rabbin controversé qui fait vivre ses adeptes dans un état de haute exaltation, il est devenu un compagnon de route de ce culte nouveau, variante hellénisée du judaïsme, qu'on n'appelle pas encore le christianisme. Il est, dans sa petite ville de Macédoine, un des piliers du groupe converti par Paul. A l'occasion de la collecte, il se porte volontaire pour l'accompagner à Jérusalem. C'est le grand voyage de sa vie. Paul a mis en garde ses compagnons : la visite à la maison mère risque de n'être pas de tout repos, mais Luc n'imaginait tout de même pas que cela se passerait aussi mal, que dans la ville sainte des Juifs son mentor était à ce point détesté. Il l'a vu mis en accusation, non par des rabbins orthodoxes comme il s'y était préparé, mais par les dirigeants de sa propre secte. Astreint à une épreuve humiliante, dénoncé, quasi lynché, sauvé de justesse et pour finir emprisonné par les Romains.
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La neige recouvrait tout. Il en tombait encore, des flocons que le vent faisait doucement tournoyer. C’était la première fois que Nicolas en voyait autant et, du fond de sa détresse, il ressentit de l’émerveillement. L’air glacé de la nuit saisit sa poitrine à demi nue, contrastant avec la chaleur de la maison endormie derrière lui comme un gros animal repu, au souffle tiède et régulier. Il resta un moment sur le seuil, immobile, puis avança une main sur laquelle se posa légèrement un flocon, et sortit.
Enfonçant ses pieds nus dans la neige que personne n’avait encore foulée, il traversa le terre-plein. L’autocar aussi avait l’air d’un animal endormi, le petit du chalet, serré contre son flanc, dormant les yeux ouverts de ses gros phares éteints. Nicolas le dépassa, longea le chemin jusqu’à la route, couverte de neige aussi. Il se retourna plusieurs fois pour voir les traces de ses pas, profondes et surtout solitaires : il était seul dehors cette nuit, seul à marcher dans la neige, pieds nus, en pyjama mouillé, et personne ne le savait, et personne ne le reverrait. Dans quelques minutes, ses traces seraient effacées.
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Sa confiance dans le génie de l'homme avait notablement décru à mesure que se révélait la faible capacité de ce génie à reconnaître le sien. Les efforts que requièrent la création, la volonté de puissance ou la construction, à première vue plus abordable, d'une vie privée satisfaisante, ne lui convenaient apparemment pas. Ceux qu'elle avait fournis n'avaient guère été payés de retour. Ne valait-il pas mieux, dès lors, lâcher prise, renoncer lucidement à se mouvoir dans le monde âpre, décourageant, biaisé au départ, du mérite et de la compétition? Et, puisqu'il existait une enclave où sa tyrannie ne s'exerçait pas, où le hasard seul distribuait récompenses et sanctions, décider de se soumettre corps et âme à cette règle nouvelle, qui peut-être lui serait clémente?
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En y réfléchissant, dans l'eau qui refroidissait, il comprenait avec déplaisir ce qui l'avait le plus troublé dans la scène de la veille : pour la première fois, Agnès avait introduit un des numéros de son cirque mondain dans leur sphère protégée. Pire encore, afin de lui donner plus de poids, elle avait exploité pour faire ce numéro le registre de voix, d'intonations, d'attitudes, réservé au domaine tabou où cessait en principe toute comédie.
Violant une convention jamais formulée, elle l'avait traité comme un étranger, inversant les positions en sa défaveur avec toute la virtuosité acquise à force de pratiquer ce sport, et de façon presque haineuse : il se rappelait son visage chaviré d'angoisse, ses larmes.
Elle avait vraiment paru effrayée, elle l'avait vraiment, en toute conviction, accusé de la persécuter, de l'effrayer délibérément, sans raison. Sans raison, justement...Pourquoi avait-elle fait cela? De quoi voulait-elle le punir? Pas d'avoir rasé sa moustache, tout de même.
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Le rêve ne le visita que trois fois, sans que jamais il ait pu évaluer la distanc parcourue de l'une à l'autre. Pendant plusieurs mois, il craignait à la fois son retour, son issue dont il ne doutait pas de s'être rapproché et les foces obsessionnelles qui, en lui, militaient pour q'uil revienne. Persuadé que la phrase en italique lui serait fatale, il multiplia les ruses, à l'état de veille, pour s'empêcher d'y arriver, conscient que ces ruses ne faisaient en vérité que hâter sa course, qu'elles étaient prévues et fournissaient même la matière du texte dont le contenu littéral lui était interdit. Et, comme ce contenu probable finissait par être la somme de ses inquiétudes à ce sujet, la page et demie qui lui était dévolue se dilata, s'hhypetrophia, vouée à prendre en compe les hantises d'une annéede quasi-insomnie volontaire, de sommeil rare et troublée, visité par des cauchemars périphériques mettant une atroce ironie à n'être pas le bon, traverstissant sous les camouflages incroyablement transparents d'uatres rêves la crainte de voir celui-ci arriver bel et bien.
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Simone WEIL
« Le mal imaginaire est romantique, romanesque, varié; le mal réel est morne, désertique, ennuyeux. Le bien imaginaire est ennuyeux; le bien réel est toujours nouveau, merveilleux, enivrant. »
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Qu'il ne joue pas la comédie pour les autres, j'en suis sûr, mais est-ce que le menteur qui est en lui ne la lui joue pas? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d'être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n'est pas encore l'Adversaire qui le trompe?
J'ai pensé qu'écrire cette histoire ne pouvait être qu'un crime ou une prière.
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Il se faisait penser au malheureux monstre de la Belle et la Bête, avec ce raffinement supplémentaire que la belle ne se doutait pas qu’elle dînait avec lui dans un château où personne avant elle n’avait pénétré.
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De façon assez peu flatteuse pour son ami, il considérait comme allant de soi une distribution des rôles où lui était le brave type guère expérimenté en amour et elle la sirène qui par pure malice, pour s’assurer de son pouvoir et détruire un foyer qu’elle enviait, l’enserrait dans ses filets. Voilà ce qui arrivait quand on n’avait pas fait les cent coups à vingt ans, on se retrouvait à bientôt quarante ans en pleine crise d’adolescence.
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On nous parlera de compassion. Je réserve la mienne aux victimes.
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Quelques fois, la conscience de ce qu’il avait fait déchirait la torpeur où il se laissait glisser. Qu’est-ce qui aurait pu le tirer d’affaire ? Un incendie à la fac, réduisant en cendres toutes les copies ? Un tremblement de terre, détruisant Lyon ? Sa propre mort ? Je suppose qu’il se demandait pourquoi, pourquoi il avait foutu sa vie en l’air. Car de l’avoir foutu en l’air, il était persuadé.
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C'est cela, ou cela devrait être ça, un procès : au début on dépose la souffrance, à la fin on rend la justice.
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Le totalitarisme, que sur ce point décisif l'Union Soviétique a poussé beaucoup plus loin que l'Allemagne nationale-socialiste, consiste, là où les gens voient noir, à leur dire que c'est blanc et à les obliger, non seulement à le répéter mais, à la longue, à le croire bel et bien.
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Face à l'évidence, il s'est défendu comme l'emprunteur de chaudron à qui, dans une histoire qu'aimait Freud, le prêteur reproche de le lui avoir rendu percé et qui fait valoir, d'abord que le chaudron n'était pas encore percé quand il l'a rend, ensuite qu'il l'était déjà quand on le lui a prêté, enfin qu'il n'a jamais emprunté de chaudron à personne.
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Qu'il ne joue pas la comédie pour les autres, j'en suis sûr, mais est-ce que le menteur qui est en lui ne la lui joue pas ? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d'être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n'est pas encore l'Adversaire qui le trompe ?
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Je ne dis pas que l'infirmité m'a rendue plus intelligente et profonde, mais c'est grâce à elle que je suis avec Patrice, c'est grâce à elle qu'il y a les petites, et là, c'est le contraire du regret, c'est le contraire de l'amertume, il ne se passe pas un jour sans que je me dise : j'ai l'amour. Tout le monde court après, moi je ne peux pas courir mais je l'ai. J'aime cette vie, j'aime ma vie, je l'aime totalement.
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Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre qui ne pèsent pas le même poids, faites-la pencher plus fort d'un côté. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre l'homme, pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour l'écrasé contre la compagnie d'assurances de l'écraseur, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la jus-tice. La loi s'interprète, elle dira ce que vous voulez qu'elle dise. Entre le voleur et le volé, n'ayez pas peur de punir le volé.
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Bien sûr, Etienne ne formule pas les choses aussi crûment. Il préfère distinguer parmi les créanciers ceux qui seront gravement lésés par l'effacement de leur créance et ceux qui le seront moins : d'un côté le petit garagiste, le petit bailleur privé, le petit franchisé de Saint-Jean-de-Bournay qui, s'ils ne sont pas payés, peuvent eux-mêmes basculer dans le sur-endettement; de l'autre le gros établissement de crédit ou la grosse société d'assurances qui a de toute façon inclus le risque d'impayé dans le prix de son contrat. Il préfère dire que le petit four-nisseur, le petit garagiste, le petit franchisé de Saint-Jean-de-Bournay, une fois échaudés, ris-attent de devenir méfiants, de ne plus se laisser attendrir, que le lien social en souffrira et que c'est avant tout cela son rôle de juge : sauvegarder un peu de lien social, faire en sorte que les gens puissent continuer à vivre ensemble.
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Alors, bien sûr, ie ne crois pas que tous les cancers s'expliquent ainsi, mais je crois qu'il y a des gens dont le noyau est fissuré pratiquement depuis l'origine, qui malgré tous leurs efforts, leur courage, leur bonne volonté, ne peuvent pas vivre vraiment, et qu'une des façons dont la vie, qui veut vivre, se fraie un chemin en eux, cela peut être la mala-die, et pas n'importe quelle maladie : le cancer.
C'est parce que je crois cela que je suis tellement choqué par les gens qui vous disent qu'on est libre, que le bonheur se décide, que c'est un choix moral. Les professeurs d'allégresse pour qui la tristesse est une faute de goût, la dépression une marque de paresse, la mélancolie un péché. Je suis d'accord, c'est un péché, c'est même le péché mortel, mais il y a des gens qui naissent pécheurs, qui naissent damnés, et que tous leurs efforts, tout leur courage, toute leur bonne volonté n'arracheront pas à leur condi-tion. Entre les gens qui ont un noyau fissuré et les autres, c'est comme entre les pauvres et les riches, c'est comme la lutte de classes, on sait qu'il y a des pauvres qui s'en sortent mais la plu-part, non, ne s'en sortent pas, et dire à un mélancolique que le bonheur est une décision, c'est comme dire à un affamé qu'il n'a qu'à manger de la brioche.
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Objectivement, la partie est perdue, on devrait abandonner mais on va quand-même sur cette case, ne serait-ce que pour voir comment l'adversaire va la piéger.
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