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Critiques de Emmanuel Carrère (2221)
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Yoga

Pour certains, Yoga est le plus beau livre d'Emmanuel Carrère.

Seulement, voilà, le dire devient indécent :

C'est un livre qui désamorce intelligemment toute "critique" que l'on pourrait en faire ; il se laisse tout au plus raconter mais ne permet pas de "chronique" proprement dite :

Cela serait la preuve qu'on l'ait mal lu.



On ne peut pas chroniquer la souffrance mise à nu, l'errance intérieure, la quête de repos et de silence qui se donnent à lire, creusent dans notre vécu, font écho et réverbèrent empathiquement.

Ni la douceur et la simplicité qui adviennent au bout des descentes dans les ténèbres.

A la fin des combats portés avec l'Adversaire.



Nous voilà étrangement enfermés dans un paradoxe consubstantiel à ce livre : Yoga nous offre le luxe de nous taire.



Ceux qui aiment Emmanuel Carrère l'y retrouveront avec émotion.

Les autres l'aimeront peut-être à partir de ce texte.
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Yoga

Emmanuel Carrere fait partie de ces écrivains qui parviendraient à me faire lire avec exaltation et avidité un document aussi indigeste qu’un rapport médical sur l’électrophorèse de l’hémoglobine ou encore une notice de montage d’un meuble à chaussures. Parce qu’il est intéressant, parce qu’il est drôle, parce qu’il est honnête, parce qu’il a un sens de la narration hors du commun, parce qu’il est touchant et cultivé, parce qu’il donne une profondeur à la moindre anecdote qui se transforme en leçon de vie, parce que son style est hybride et captivant, parce que ses écrits, et ce livre le confirme, sont géniaux tout simplement.

Ici ce qui devait être un livre de développement personnel « subtil et souriant » sur le Yoga va prendre une toute autre orientation. Le point de départ est une retraite Vipassana sur la méditation. Assis en lotus sur son zafu l’écrivain recherche la pleine conscience en observant sa respiration (et les autres) tout en tentant vainement de ne pas la modifier.

Au rythme de ses descriptions amusantes voilà que le lecteur se prend machinalement à contrôler ses inspirations et expirations et à observer ses sensations. Jouissif ressenti. Puis cette quête introspective plaisante s’acheminera progressivement vers une plus sombre réalité. Une dépression sévère, liée à un diagnostic tardif de bipolarité, refait surface et le conduira à une longue hospitalisation, avec mise de son esprit sous camisole chimique et électrochocs histoire de provoquer un « redémarrage du système ». Du désir d’élargissement de sa conscience il est passé à celui de l’éteindre. Sa souffrance est telle qu’il demandera l’euthanasie. Loin d’atteindre l’état de quiétude et d’émerveillement visé il est victime de son autodestruction « sans me vanter je suis exceptionnellement doué pour faire d’une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer ».

C’est avec une grande lucidité qu’il analyse dans cette autobiographie son narcissisme encombrant et son fonctionnement psychique avec recul dans l’espoir de retrouver un nouvel élan vital. Dans cette confession il interroge le réel et tente de « voir les choses comme elles sont » sans édulcorer ni dramatiser, un des enseignements de la méditation, le tout avec un art indéniable de la dérision et de l’autodérision. L’air de rien c’est bien plus profond qu’une simple lamentation d’un être autocentré et dépressif, il parle de lui, beaucoup, de ce que c’est d’être soi mais aussi de nous, de vous, du rapport aux autres. Malmené par ses « vritti sous cocaïne » ses pensées erratiques, parasites qu’il peine à domestiquer tant son activité mentale est en surchauffe, il s’obstine à faire taire son insupportable babil intérieur pour quitter le Samsara et accéder au Nirvana. Son témoignage est très riche : pensées spirituelles, citations (de Simone Weil à Montaigne), références (dont la polonaise héroïque de Chopin interprétée par Martha Argerich) rencontres, souvenirs... Du funeste massacre de Charlie Hebdo dans lequel a péri son ami Bernard Maris en passant par le décès de son éditeur et ami de longue date qui pour la première fois ne lira son manuscrit, de l’Irak à l’île grecque de Leros entouré de jeunes réfugiés, en passant par le Sri Lanka dévasté par le tragique Tsunami de 2004 pléthore de réflexions et personnages célèbres et moins célèbres sont subtilement évoqués. Sans oublier son amour évanescent pour la « femme aux gémeaux». Dans ce chaos existentiel alors qu’il n’y croit plus un rai de lumière finira par apparaître enfin redonnant naissance à une balbutiante pulsion de vie...

On en souligne des passages! n’est-ce pas le gage d’un livre parfaitement réussi?





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Yoga

Le Yogi dépressif

Coup de gong pour un billet mi Yin, mi Yang après cette lecture réalisée en position de lotus dépoté sur mon canapé.

Emmanuel Carrère, c’est comme un vieux pote perdu de vue depuis des années, avec lequel on retrouve tout de suite une certaine complicité, tant son écriture impose de la familiarité avec ses lecteurs. Il multiplie les références et les souvenirs de ses précédents romans partagés avec nos yeux, comme un copain nous rappelle de vieilles cuites ou certaines facéties plus ou moins glorieuses. Je pense que cette intimité partagée et cette absence de pudeur dans l’œuvre de l’écrivain explique en grande partie son succès mérité.

Je me suis donc lancé dans cette lecture plus pour avoir des nouvelles d’Emmanuel Carrère, que je n’avais plus croisé dans les rayons de ma librairie depuis 6 ans, que par curiosité pour le sujet proposé. La méditation m’endort, j’ai envie de taper sur Petit Bambou à coup de gros roseaux, et je n’ai jamais eu besoin de me lancer dans la spéléo de mon âme ou focaliser mon attention sur mes poils de nez pour atteindre un certain apaisement.

Emmanuel Carrère m’a vite rassuré. Si les premières pages racontent avec modestie sa pratique méditative, sa pratique des arts martiaux et son initiation au Yoga, il porte avec beaucoup d’humour un regard critique sur la mode du développement personnel. Il nous expose plusieurs définitions de la méditation et nous raconte son expérience d’une retraite spirituelle sans tomber dans le prosélytisme du bonheur en tong.

D’une approche ludique, ce roman prend une tournure beaucoup plus tourmentée avec l’évocation de la mort de son ami Bernard Maris, lors de l’attentat de Charlie Hebdo, celle de son éditeur de toujours, puis par le récit détaillé d’une terrible dépression qui le conduira à l’internement et à un diagnostic implacable, la bipolarité.

Dans son livre, Emmanuel Carrère nous entraîne dans sa terrible chute, le lecteur partage son traitement de cheval, ses effets secondaires, ses euphories up et ses gadins down. Nous sommes en emphase avec ses phases et ses phrases. Il ne remontera la pente qu’en s’exilant à Lesbos en venant en aide à de jeunes migrants.

Rassuré que ce récit ne tombe pas dans le feel good, histoire du névrosé sauvé par un maître Zen en dix leçons, j’ai apprécié que le cheminement soit inverse, que l’auteur ne se raconte pas et ne nous raconte pas d’histoires. Si le Yoga l’apaise, il ne soigne pas, si la méditation le calme, elle n’est d’aucune utilité face à des troubles psychologiques graves. Face aux vrais problèmes, la chimie médicamenteuse reste plus efficace que le thé vert et l’encens . De morale, il n’y en a pas, à part peut-être l’idée que l’homme moderne s’écoute un peu trop, qu’à force de s’entendre dire « Prends soin de toi », il prend moins soin des autres.

Emmanuel Carrère est le sujet de conversation préféré d’Emmanuel Carrère. Sous ses faux airs de bonze, il ne parle que de lui, tout le temps, même quand il veut rendre hommage à des amis ou des proches. Il l’avoue lui-même mais si la faute avouée est à moitié pardonnée, elle libère surtout sa propre conscience et il ne cherche pas à éviter la récidive. C’est un peu à mes yeux la limite de ce récit très autocentré. Les autres personnages ne sont pas incarnés, figurants de son existence. L’auteur est très seul dans son roman. Heureusement qu’il y a le lecteur. Toujours fidèle.

Après la généalogie russe, la plongée biblique et ce roman zen sous électrochocs, j’attends la prochaine carte postale.

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Le royaume

Un livre qui suscite beaucoup de commentaires élogieux mais j'en suis sortie très déçue. Le sujet était pourtant riche, c'est en quelque sorte une enquête historique sur la naissance du christianisme. L'action se passe entre les années 30 à 80 après JC.

Les héros sont essentiellement Paul et saint Luc.

Luc qui était Macédonien, qui n'a pas connu le Christ et qui était, selon les termes employés par l'auteur lui-même, le seul goy de la bande des quatre évangélistes.

On voit donc Paul frappé par une vision du Christ sur le chemin de Damas; ensuite on le voit aller à Jérusalem en compagnie de Luc, Luc qui "brode" ensuite beaucoup à partir des récits qu'il a reccueillis.

Un contexte philosophique intéressant aussi puisque Emmanuel Carrère nous montre qu'à cette époque, deux visions de la vie s'opposaient: la vision "d'Ulysse" (que Luc Ferry a si bien décrite) selon laquelle notre vie sur Terre est le bien le plus précieux et la vision chrétienne selon laquelle ce qui compte c'est le monde qui se situe au-delà de la mort.

Les données historiques sur Rome, les politiques des différents empereurs romains Tibère, Néron, Vespasien, Domitien, Titus.. sont très intéressantes mais auraient pu être approfondies davantage.

Bref je suis restée sur ma faim..

Je me suis perdue dans le labyrinthe des digressions avec la désagréable impression que le sujet traité servait surtout à mettre en valeur la vie de l'auteur et ses différentes productions.

De plus les parallèles que Carrère effectue entre la politique de l'époque et notre contexte international actuel m'ont semblé souvent mal venus: le sac de Jérusalem est comparé à l'écrasement de la Tchétchénie... sans compter les digressions sur des sujets qui n'ont a priori rien à voir.. cinq pages sur la pornographie sur Internet, quand même...

Bref, frustration et déception...
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Le royaume

Dernière page de ce livre refermée, le premier pour moi d'Emmanuel Carrère. Au moment de livrer ma critique, je mesure le fait que je vais sûrement réitérer un avis partagé par bon nombre de lecteurs avant moi : L'érudition, le sérieux du travail de recherche qui sous-tendent tout l'ouvrage, ce côté autobiographique entre confession et provocation, l'honnêteté intellectuelle de l'auteur..., sa mise en avant de son vécu de chrétien qu'il assume comme une étape de sa vie qui l'a construit et mené à ce qu'il est aujourd'hui, à ce « Royaume » également que je tenais encore à l'instant dans mes mains.

Si je ne devais pas redire toutes ces choses, je ne dirais que cela : Je ne me suis pas ennuyée une seconde à la lecture de cet ouvrage. J'ai appris beaucoup de choses sans sentir le poids de l'érudition d'un auteur qui se mettrait dans la peau du professeur sensé nous faire la leçon. J'ai aimé avoir cette impression qu'Emmanuel Carrère me livre ses recherches, ses tâtonnements, ses doutes comme si j'assistais au développement de ce récit, à sa genèse. Il m'informe, comme en aparté, de ce qui est convenu et admis dans les milieux autorisés à le faire et de ce qui ne l'est pas car tout droit sorti de son imagination. L'imagination pour habiller l'ignorance des évènements, des sentiments, car la fiction est plus belle et souvent pas moins vraie que la réalité, parce qu'il aime à penser que les choses se soient déroulées ainsi.



Certes le royaume est un phénomène littéraire (ce n'est pas moi qui le dit et personnellement c'est une étiquette qui me fait plus fuir que rappliquer) mais je l'ai lu avant tout comme une œuvre singulière, celle d'une conscience athée emprunte d'une si belle spiritualité.
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L'Adversaire

A l'origine de cet ouvrage, un fait divers.



En 1993, Jean-Claude Romand va tuer son épouse, ses deux enfants et ses parents.



L'enquête va mettre à jour qu'il n'est pas médecin comme il le prétend depuis des années. La découverte de son secret le pousse au meurtre.

Emmanuel Carrère va se pencher sur cette histoire et entrer en contact avec Romand en prison afin d'écrire ce livre.



Et quel livre ! L'auteur tente de comprendre l'incompréhensible. Qu'est ce qui a mené au désastre cet homme ? Une vie de mensonge jusqu'au meurtre des personnes qu'il aime le plus au monde ?



L'auteur réfléchit sur ce qui le porte vers cette « histoire », soucieux de ne pas défendre l'indéfendable ou minimiser le geste. Il retrace le parcours, à la fois chronologique et psychologique de Romand.



Plus que raconter un fait divers, on assiste à une réflexion intéressante sur la mythomanie qui ici mène au désastre. Et tout au long de la lecture, l'auteur tente de se positionner, de comprendre le pourquoi de cet ouvrage.



Un très bon roman du réel.


Lien : https://labibliothequedejuju..
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Le royaume

Résumons : c’est l’histoire d’un guérisseur rural qui pratique des exorcismes et qu’on prend pour un sorcier. Il parle avec le diable, dans le désert. Sa famille voudrait le faire enfermer. Il s’entoure d’une bande de bras cassés qu’il terrifie par des prédictions aussi sinistres qu’énigmatiques et qui prennent tous la fuite quand il est arrêté. Son aventure qui a durée moins de trois ans, se termine par un procès à la sauvette et une exécution sordide, dans le découragement, l’abandon et l’effroi. » Deux mille ans plus tard on en parle encore.



Emmanuel Carrère utilise une nouvelle fois son héros de roman préféré, lui-même, pour nous raconter les débuts du christianisme. C’est en conteur, en historien, mais surtout en enquêteur méticuleux et scrupuleux qu’il marche sur les traces de Paul (celui du chemin de Damas…) et sur ceux de Luc qu’il considère comme le premier romancier. Carrère parle de lui, de sa crise de foi, il y a vingt ans il s’est cru chrétien et durant trois années, il fut un vrai bigot. Sa foi s’est envolée comme elle était venue, seule est resté la question : pourquoi deux mille ans plus tard on en parle encore ?



Sous la plume de Carrère les lettres de Paul et l’évangile de Luc deviennent de précieux documents historiques sur la vie des premières communautés chrétiennes et sur la vie quotidienne autour de la Méditerranée que Paul et Luc en bons prosélytes ont parcourue sans cesse dans le milieu du premier siècle. La vie de Paul est un péplum fait d’amitié, de trahison, de foule en délire et de Romains médusés de voir une bande de monothéiste s’entre déchirer.



Utilisant des anachronismes plutôt bienvenus, il compare le début du Christianisme à l’Union Soviétique après Lénine, le lecteur avance dans le premier siècle de notre ère en terrain presque connu.



Luc sera l’écrivain, le rapporteur peut être le plus fidèle car le moins exalté. Carrère s’écrit en train d’écrire, c’est sa marque de fabrique.



Deux mille ans plus tard, il relit les évangiles, les digère et les réécrit pour nous, et ce serait bien le diable que son récit devienne étouffe chrétien".
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Yoga

Emmanuel Carrère, j’ai adoré le lire dans L’Adversaire, Limonov et même Le Royaume. Je l’ai aussi rencontré, écouté présenter Le Royaume à Vienne (Isère), en novembre 2014, mais là, avec Yoga, je n’ai pas du tout adhéré à ce qu’il raconte.

C’est, bien sûr, très personnel, souvent intime, mais j’ai dû me forcer à lire, pour aller au bout, poussant un grand ouf à la dernière ligne quand il avoue être « pleinement heureux d’être vivant. »

Yoga parle bien sûr de cette discipline venue d’Asie et apportant beaucoup de bien-être à ses adeptes. J’ai quand même retenu quelques conseils utiles pour la respiration et le contrôle de son corps.

Emmanuel Carrère parle surtout de méditation avec une cascade de définitions toutes très judicieuses et encourageantes pour le commun des mortels mais, en fait, il parle surtout de lui.

Il raconte, romance, invente sûrement, abuse parfois de termes techniques japonais ou autre mais c’est un prétexte pour raconter sa vie, ses joies, ses peines, surtout ses souffrances. Comme il l’avoue, pour un homme qui a tout : l’argent, la réussite, deux enfants beaux et intelligents, voilà qu’il est bipolaire de type 2 !

Régulièrement, il sombre dans la dépression, a besoin d’être soigné, hospitalisé à Sainte-Anne, subit des électrochocs, prend des médicaments. Dans Yoga, j’ai souffert avec lui de tant d’épreuves, de cette détresse morale pour un homme qui connaît tout, fréquente des célébrités, et partage amour et amitié.

Au fil des pages, j’ai fait beaucoup de rencontres dont son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens (P.O.L.), qui a su le motiver, peu de temps avant sa mort, le 2 janvier 2018, pour apprendre à taper avec ses dix doigts.

Au début, il y a ce stage Vipassana, dans le Morvan, stage de yoga haut de gamme avec cent vingt participants mais c’est tellement aride et dépouillé que j’ai été soulagé lorsqu’Emmanuel Carrère a dû quitter les lieux brusquement après la tuerie de Charlie Hebdo. Il connaissait bien Bernard Maris et il a dû prononcer un discours à son enterrement.

Après toute cette dépression qui le met au plus bas, il m’a emmené sur l’île grecque de Léros où il s’occupe d’un atelier d’écriture pour des réfugies avec une certaine Frederica qu’il appelle affectueusement Erica. C’est une bonne respiration, un moyen de sortir de cette introspection maladive dont il m’a trop longtemps gratifié. En bonus, l’auteur m’a donné envie de réécouter la fameuse Polonaise héroïque de Frédéric Chopin et, pour cela, je le remercie.

Parler de soi, les plus grands écrivains l’ont fait et le font. Emmanuel Carrère reconnaît qu’il veut être des leurs mais Yoga ne m’a pas vraiment plu car ressemblant un peu trop à un fouillis de rencontres, d’expériences plus ou moins réelles. Si écrire ce livre lui a fait du bien, tant mieux !


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Yoga

Janvier 2015, Emmanuel Carrère prend le train en gare de Bercy, destination le Morvan pour y passer dix jours avec une trentaine de participants, pour un stage de méditation. La consigne est stricte : pas de téléphone portable, pas de livre, pas d'ordinateur : on se retrouve face au silence, seul face à soi-même. Il pratique le yoga depuis une trentaine d'années et ce stage, cette retraite en silence lui permettra d'écrire un petit livre sur le yoga. Il se trouve en effet que, sujet à la dépression, pour lui, "c'était un bon moment, un cycle extrêmement favorable qui durait depuis bientôt dix ans". Mais il va traverser alors un grave épisode dépressif qui le conduira quatre mois durant en hôpital psychiatrique à Sainte-Anne. Il sera diagnostiqué bipolaire type II : "quoi qu'on pense, dise et fasse, on ne peut pas se fier à soi-même car on est deux dans le même homme et ces deux-là sont des ennemis".

Ce livre, donc, aurait dû être léger et souriant, il est devenu grave quand l'auteur se croyant guéri a frôlé le désastre.

Dans Yoga, Emmanuel Carrère raconte cette terrible dépression avec franchise et justesse et dépeint magistralement cette détresse psychique qui l'a envahie et l'a plongé dans les ténèbres et la détresse, songeant même à s'autodétruire.

Des événements importants vont jalonner cette terrible période. Sont évoqués avec beaucoup de sensibilité l'attentat contre Charlie Hebdo et l'assassinat de Bernard Maris que son amie Hélène F. avait rencontré après son divorce et dont il dit : "on était tout doucement en train de devenir des amis", la crise des réfugiés et ces moments très beaux passés avec ces jeunes afghans qu'il aide sur l'île grecque de Léros, la mort de Paul Otchakovsky-Laurens en 2018, son éditeur et ami.

Yoga porte tout de même bien son titre car le yoga reste omniprésent tout au long du récit et seul, quelqu'un en ayant une pratique régulière, ancienne et maîtrisant idéalement la langue peut nous faire découvrir aussi bien et de façon aussi simple cette activité à la fois physique, méditative et spirituelle. J'ai ainsi appris multitude de termes rattachés à cette pratique (un peu lassant parfois), à commencer par le zafu, coussin sur lequel s'assoient les pratiquants.

Cependant le combat intérieur que va devoir mener Emmanuel Carrère face à cette maladie qu'il croyait vaincue et qui refait surface sera une véritable mise à nu des souffrances endurées, de sa quête de délivrance qui s'achèvera par cette sublime dernière parole : "je suis pleinement heureux d'être vivant".

Yoga est une autofiction, c'est-à-dire que l'auteur parle de lui, de sa vie et y mêle forcément d'autre vies que la sienne, ce qui explique sans doute le différend avec son ex-épouse Hélène Devynck.

Yoga est certes un superbe bouquin que je ne peux que recommander, mais j'avais néanmoins préféré La moustache, La classe de neige et surtout L'adversaire du même auteur.


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Yoga

Le 21 mars 2022, ici même, dans la critique du livre « La maladie bipolaire expliquée aux souffrants et aux proches » du docteur Raphaël Giachetti, je faisais l’aveu de ma bipolarité. Le 3 juillet 2022, dans un marché aux puces je trouvais le présent livre (probablement jamais encore lu, à en juger d’après la couverture blanche immaculée et la tranche intacte) pour seulement 1 euro. Un instant d’hésitation et puis la concision de la quatrième de couverture (« C’est un livre sur le yoga et la dépression. Sur la méditation et le terrorisme. Sur l'aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d'aller ensemble. En réalité, si : elles vont ensemble. ») a fini par me convaincre de l’emporter pour le lire de suite, malgré une géante pile de livres en cours. L’initiative de la mise à nu est louable : « Ce mal dont je suis atteint, à défaut d’en guérir je peux le décrire. » (p. 193)

Cela commence avec l’idée de « l’écriture d’un essai souriant et subtil sur le yoga » (p. 187) qui figure dès la troisième ligne (p. 11) : « j’ai essayé d’écrire un petit livre souriant et subtil sur le yoga ». Et c’est presque un livre « souriant et subtil sur le yoga » que j’ai lu jusqu’à la page 153, quand « le Noble Silence » de la méditation (une douzaine de définitions proposées par l’auteur jusqu’à cet instant précis du récit) est brutalement interrompu par des « éventements graves ».

Je n’avais rien lu de cet auteur auparavant et donc je ne regrette pas cette rencontre. Je lui reconnais, comme bon nombre de lecteurs, un vrai talent narratif. Il le dit d’ailleurs lui-même : « Mon métier, mon talent, c’est la narration[…] » (p. 172), par opposition à la poésie qui « est le langage le moins incompatible avec cette expérience non verbale qu’est la méditation » (idem). Salutaire poésie qui revient au galop à la fin du livre avec les références à Louise Labé (p. 299, pp. 382-383) et notamment le poème de Catherine Pozzi, (pp. 385-386).

J’aime que la littérature soit « le lieu où on ne ment pas » (p. 186), car « Il est vital, dans les ténèbres, de se rappeler qu’on a aussi vécu dans la lumière et que la lumière n’est pas moins vraie que les ténèbres » (p. 196). J’aime les histoires d’amour comme celle entre l’auteur et « la femme aux gémeaux » (p. 386).

Parmi les très nombreuses références je relève deux qui m’ont beaucoup touchée : celle à Vincent Van Gogh dont l’auteur partage la pensée que « la tristesse durera toujours » « et qu’elle en sait plus long sur la vie que la joie » (p. 136) ainsi que celle à Bernard Maris qui disait « que c’est justement fait pour ça, l’économie : pour qu’on ne comprenne pas, une embrouille au service des riches » (p. 160)

« Mon autobiographie psychiatrique et mon essai sur le yoga, c’était le même livre » (p. 194) : il aurait pu s’intituler « Yoga pour bipolaires » note l’auteur. Je pense quant à moi, que ce livre ne fait pas beaucoup sourire (certaines anecdotes peuvent même agacer, tant elles paraissent au ras des pâquerettes), mais il est selon moi, et quoi qu’on en dise, véritablement subtil. L’écriture comme planche de salut pour soi et pour les lecteurs.

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D'autres vies que la mienne

♫Je le savais

Le coeur a ses failles

Pourtant c'est vrai

La surprise est de taille

Quel est le fin mot

De cette histoire de fou à lier

Y avait-il un défaut

Un vice caché

Un vague à l'âme soeur

Une vague à surfer



Tu cherches sans fin juste les sens de l'histoire

Va, creuse un abris, parie sur l'espoir♫

Vague à l'âme soeur- Vanessa Paradis-2019-

l'Adversaire-Chevalrex-2018-

---------🌫🌫🌫🌫-♫-♪-♫-🌫🌫🌫🌫-----------

D'abord, l'abord d'âge

Bord de plage, un car nage

l'Epouvante surnage

Une VAGUE à lame du fond -tsunami- le Néant

perdre une maman, un enfant

2004- Sri Lanka, ex-Ceylan

m'héritera mes 5* et tous mes compliments....



ensuite

Appel vers un VAGUE à LAME DE FOND

Ainsi les trèfonds font font !!

https://www.babelio.com/groupes/769/la-LAME-Ligue-Anti-Marionnettes-Epouvantables

Peurs qui ne sont pas les miennes

s'écrira, s'écriera à Ligne pour qu'elles adviennent

Prendre les devants pire homéopathétiques

Perdre deux Juliette, prothèse en plastic , sainte Ethique

L'ADVERSAIRE par derrière, de moins en moins Romand tique....

Tout comme Chevalrex, preux chevalier

Ecrivain du réel est son métier,

L'animal qui épouvante notre auteur

C'est un renard qui le ronge de l'intérieur.

Comme il nous le racontera Plutarque

"Le petit spartiate avait volé un renard qu'il gardait caché sous sa tunique. Devant l'assemblée des Anciens, le renard s'est mis à lui mordre le ventre. Le petit spartiate, plutôt que de le libérer et ce faisant d'avouer son larcin, s'est laissé dévorer les entrailles jusqu'à ce que mort s'ensuive, sans broncher" p135

Ici c'est pas le Roman de RenarT

ni le récit d'un Renard appelé RomanD



Chronique d'une mort annoncée

Constat d'échec et Pat aux logiques

VAGUE à l'âme de sa belle SOEUR

"Histoire de deux juges boiteux et cancéreux qui épluchent des dossiers de surendettement au tribunal d'instance de Vienne. Ils ne couchent pas ensemble et à la fin elle meurt" P120

J'suis ta béquille chronophage

T'es le renard de mes pages...

Un pont branlant, dangereux,

on pose un pied,

on voit que ça tient alors on pose l'autre

Imagine ou rappelle-toi naguère

petit pont ou jambe de bois

la meilleure façon de traverser la rivière ?

Evangile, Lao tseu, le Yi-king

Vs maladie de Hodgkin

Une tragédie Racine Thérapie sans lit

Le renard qui lui dévorait les entrailles est parti...

J'hurry pudiquement, je dis 'Magistral'!!!

Ô combien j'apprécie ton code Peinal..... 😁



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D'autres vies que la mienne

Notre dernière heure nous est cachée ; ainsi en est-il de notre finitude livrée aux caprices du destin !

Qu'elle soit brutale ou non, la perte d'un être cher réveille tant de sentiments contradictoires qu'il n'est jamais facile d'extérioriser son chagrin, de commencer la période de deuil. Le témoignage d'un écrivain est à cet égard infiniment précieux, surtout lorsque la réalité dépasse la fiction.



Alors qu'ils se trouvent en vacances au Sri Lanka le le 24 décembre 2004, Emmanuel Carrère, sa compagne Hélène et les enfants échappent de peu au plus grand tsunami de l'histoire. Ils reviennent à Paris profondément affectés par le décès de la petite fille d'amis rencontrés là-bas.

Hélène apprend quelques semaines plus tard qu'une de ses soeurs, Juliette, est atteinte d'un cancer du sein. Les métastases trouvées au niveau des poumons laissent craindre le pire...

La quasi-simultanéité de ces deux événements est le point de départ “D'autres vies que la mienne”, un livre-témoignage d'Emmanuel Carrère particulièrement poignant sur la précarité de la vie et sur la dignité humaine.



Les principaux protagonistes de ce drame familial sont extraordinaires de naturel et de générosité. Même au plus fort de la désespérance, l'amour de ses proches illumine la toute fin de vie de Juliette.

Son mari Patrice ainsi que son ami et collègue de travail Étienne se sont confiés longuement et sans tabou à l'écrivain. A travers le parcours de vie de chacun d'eux, le lecteur découvre peu à peu la personnalité attachante de Juliette : la joie de vivre qu'elle communique au quotidien à son époux et leurs trois petites filles mais aussi l'aura qu'elle dégage au tribunal à son poste de juge d'instance responsable des dossiers de surendettement.



L'auteur s'est bien gardé de tout pathos et pourtant, sans tarder, l'émotion brouille la vue. Mais si les larmes coulent d'elles-mêmes c'est avant tout parce que la brève existence de Juliette est un formidable témoignage de vie réussie.





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L'Adversaire

Les réalités sordides, les faits divers et les gens hors norme fascinent et inspirent Emmanuel Carrère, au point qu’il en fait des livres, créant même par là un genre littéraire à part. Ici, il s’attache, ou s’attaque, ou les deux, à Jean-Claude Romand, faux médecin qui a fait la une de tous les journaux en 1993, quand il a tué sa famille pour éviter qu’elle découvre ses impostures.



Bien plus qu’un documentaire, ce livre est à la fois une enquête approfondie sur la tragédie et tous les dérapages qui y ont conduit, une réflexion sur la mythomanie, mais aussi le journal d’un homme normal qui essaie de comprendre un fou. Chaque chapitre étudie un aspect particulier de l’Adversaire : son enfance, l’argent, le procès, sa vie amoureuse, son quotidien en prison, ses attitudes bizarres, les réactions de ses amis… Cela rythme le récit et permet, non pas de comprendre, mais de connaître et de réfléchir.



Officiellement neutre et en retrait, Emmanuel Carrère nous fait à mon sens passer beaucoup de choses de ses convictions et de ses émotions, et c’est ça que j’ai trouvé le plus intéressant. Ainsi quand il ironise sur le comportement aberrant de l’Adversaire la nuit du drame, raconte l’escalade délirante de ses mensonges ou s’étonne du peu de questions posées par ses proches ou les administrations. Dans son texte, cette histoire deviendrait presque drôle, si elle n’était si dramatique et bouleversante...



Selon les pourtant redoutables critiques du Masque et la Plume, Emmanuel Carrère aurait tort de retourner à la fiction, tant il est doué dans ces récits inspirés du réel… Et je suis bien d’accord avec eux !



Challenge Petits plaisirs 19/xx et challenge PAL
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Limonov

Emmanuel Carrère nous brosse un portrait, celui d’Édouard Veniaminovitch Savenko. Ce sera un portrait sans complaisance pour une plume parfois acerbe, mais soucieuse d’objectivité. D’ailleurs, qui est Limonov ? Un voyou, un dissident, un poète, un soldat, un fasciste, un prisonnier, un écrivain, peu importe ou plutôt si, tout importe, car à une caractéristique près, il est tout cela à la fois et plus encore.

Pourtant, s’il y a bien une chose qu’on ne peut pas lui reprocher, c’est de dire qui il est et d’être ce qu’il dit. C’est pourquoi, à travers ce récit, s’il ne peut pas se soustraire aux images qui nous interpellent, un peu comme des flashs, il peut nous rester finalement un personnage attachant, même s’il subsiste quelques circonspections. Pourquoi ? Parce que, à y regarder de plus près, on se rend compte que Limonov est vrai dans ce qu’il dit et donc dans ce qu’il fait, là où il est, à contrario de certains personnages qui pour autant ne disent pas ce qu’ils font, mais nous paraissent plus acceptables.

C’est selon un tel jugement que la professeure Olga Matitch a pu dire de Limonov, je cite : « Really, he is one of the most decent men I have met in my life » - « Vraiment, il est l'un des hommes les plus honnêtes que j'ai rencontrés dans ma vie. »

Tout jeune déjà, il ne marche pas sur des traces convenues et en cela, il choisit la difficulté. Il faut dire qu’en Russie être un voyou pour commencer c’est résister au pire, ce qui revient pour lui à vivre en harmonie avec lui-même. Lors de son exil à New-York après une courte lutte, il se réfugie dans les bras d’un jeune noir auprès duquel il reçoit la chaleur humaine qui lui fait défaut et plus tard ils seront amants. Toutefois Limonov préfèrent les femmes, des femmes auprès desquelles il saura rester fidèle, mais...

Si Emmanuel Carrère nous évoque au chapitre IV un aspect de son parcours professionnel, c’est pour mieux nous situer le moment de sa rencontre avec Limonov ainsi que le contexte parisien de cette époque.

Mais pour comprendre, il faut suivre les pistes de l’auteur qui nous emmène en Russie, mais pas seulement, car il nous livre aussi à travers ce récit, une vision un peu plus élargie de notre propre histoire.

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V13

« Le mal imaginaire est romantique, romanesque, varié ; le mal réel est morne, désertique, ennuyeux. Le bien imaginaire est ennuyeux ; le bien réel est toujours nouveau, merveilleux, enivrant. »



Simone Weil



J'avais déjà eu l'occasion d'apprécier la lucidité, le courage, l'humanité et l'humour d'Emmanuel Carrère dans « D'autres vies que la mienne » et dans « Yoga », mais là, je l'ai trouvé incomparable. Je n'ai cessé de me dire, tout au long de la lecture passionnante, bouleversante, éclairante, et aussi férocement drôle des chroniques judiciaires qu'il a tenues durant les dix mois du procès des attentats du 13 novembre 2015, qu'aucun autre que lui n'aurait pu le faire aussi bien. Avec autant d'abnégation et de rigueur, dans sa quête constante du mot juste, dans sa restitution sur le fil de l'émotion, toujours à la bonne distance, ni trop près, ni trop loin, avec ses doutes innombrables et parfois avec ses certitudes, ou plutôt, non, pas ses certitudes, ses convictions. Emmanuel Carrère a des convictions, qu'il n'impose pas, il a surtout énormément de doutes et des questions, qu'il sait partager, et, parce que c'est un homme qui a longuement expérimenté la souffrance, une souffrance psychique inouïe dont il a fait le matériau de quelques uns de ses plus beaux livres, il a développé une sensibilité à l'égard d'autrui tout à fait exceptionnelle. Nullement enfermé dans une bulle auto-centrée comme certains lecteurs le lui ont parfois reproché, il comprend remarquablement bien l'âme humaine, et nous la donne à voir, sans concession et sans jugement, toute nue, dépourvue de ses artifices, dans toute sa misère et dans toute sa beauté.



Un procès, c'est comme une pièce de théâtre en trois actes, en beaucoup plus long et, en dépit de la charge émotionnelle indéniable d'un procès comme celui-ci, en beaucoup plus ennuyeux, car il y a des redites, beaucoup de redites, des silences interminables, des points de procédure fastidieux, des incidents pénibles. Il faut donc être sacrément motivé et terriblement endurant pour suivre un tel marathon judiciaire durant dix mois, deux qualités dont Emmanuel Carrère ne manque manifestement pas.

Mais un procès, ce sont aussi des moments d'une intensité rare, un suspens parfois haletant, et c'est une formidable entreprise de dévoilement. On y vérifie plus souvent qu'à son tour la phrase de l'écrivain et dramaturge britannique Harold Pinter : « Une chose n'est pas nécessairement vraie ou fausse; elle peut être tout à la fois vraie et fausse. » le problème, c'est qu'à l'issue du procès, il faut rendre un jugement, autrement dit il faut trancher. Et selon qu'on privilégie telle ou telle interprétation des faits, l'accusé sera condamné à une peine plus ou moins lourde, ou acquitté.



Acte I - Les parties civiles.

Les attentats du 13 novembre, c'est 130 morts, un de plus si l'on y ajoute un jeune homme qui a mis deux ans et six jours à devenir le cent trente et unième après s'être pendu dans sa chambre d'hôpital.

Le V13, c'est 2.400 parties civiles, 300 témoins, parents des victimes, rescapés, dont certains irrémédiablement marqués dans leur corps et, bien sûr, tous marqués à vie dans leur tête. Parmi les rescapés, on a des personnes qui ne se pardonnent pas d'en avoir piétiné d'autres pour tenter de sauver leur peau, d'autres qui se sont conduit avec un courage ou un altruisme dont ils ne se savaient pas capables, et on a Guillaume.

Guillaume est cet homme qui, depuis la fosse du Bataclan, échange un long regard avec Samy Amimour qui, depuis la scène, tire sur tout ce qui bouge, soupire, exhale, proteste, gémit à ses pieds. Dans cet échange de regard, le terroriste lui fait comprendre qu'il ne le tuera pas, du moins pas pour l'instant : « Toi, tu es avec nous. Lève-toi.» À la question, bien légitime, qu'on se pose tous : « Pourquoi le terroriste l'épargne, lui et lui seul ? », Guillaume répond : « C'est peut-être parce qu'il n'a pas croisé beaucoup de regards ce soir-là. » Et cela m'a immédiatement renvoyée à un autre témoignage, celui de Sigolène Vinson, et à d'autres attentats, ceux de Charlie Hebdo onze mois plus tôt. le témoignage de Sigolène m'a profondément marquée, à l'époque, et j'ai conservé précieusement l'article du journal le Monde (14/01/2015) dans lequel il est consigné. Elle aussi a eu un long, un très long échange de regards avec Saïd Kouachi. Son frère et lui venaient de commettre un massacre dans la pièce d'à côté, il la débusqua, cachée derrière un parapet, et la mit en joue. Vêtu comme un type du GIGN, en noir des pieds à la tête et cagoulé, elle ne voyait que ses yeux. « Je l'ai regardé. Il avait de grands yeux noirs, un regard très doux. » Elle a accroché son regard au sien et ne l'a plus quitté des yeux jusqu'à ce qu'il s'en aille.



Acte II - Les accusés.

Le V13, c'est 14 accusés, tous des seconds couteaux, les neuf tueurs étant morts en actionnant leur ceinture d'explosifs, arrosant les alentours de chair humaine et de boulons mutilants.

Si la parole, particulièrement riche et abondante, des témoins est ce qui a caractérisé l'acte I, c'est le silence qui prédomine dans l'acte II. Sur les 14 accusés, sept sont des gros poissons en ce sens qu'ils risquent très gros, la peine maximale, et ce sont eux qui refusent de parler. Sur les sept, trois ont participé aux attentats en qualité de logisticiens. La question de savoir s'ils étaient prévus pour tuer est ouverte. Salah Abdeslam était prévu, mais il ne l'a pas fait, soit que sa ceinture d'explosifs n'ait pas fonctionné, soit qu'il ne l'ait pas actionné. Il y a également quatre combattants aguerris de Daech qui eux non plus n'ont pas tué, du moins pas dans le cadre des attentats du 13 novembre. Les sept gros poissons dans le box refusent de parler au motif que ça ne sert à rien de toute façon. Leur sort est scellé, ce en quoi il n'ont pas tout à fait tort.

Mais un jour, contre toute attente, Sofien Ayari, l'un des quatre combattants aguerris de l'État islamique, dit qu'il veut parler parce qu'il le doit, dit-il « « à cette femme qui a perdu sa fille à une terrasse et qui m'a fait penser à ma mère. Elle a dit qu'on aurait pu être ses enfants, des petits anges qu'elle aurait tenus par la main pour les emmener à l'école. Elle a demandé : “Qu'est-ce qui a pu se passer pour que ces petits enfants deviennent comme ça ?” Je ne peux pas lui ramener sa fille. Je ne peux pas la rendre heureuse. Mais je peux essayer de lui répondre. Je lui dois ça. »

Et Sofien Ayari parle six heures durant. Son parcours, je le résume : jeune tunisien bien éduqué, printemps arabe 2011, espoirs immenses, immenses déceptions, départ pour la Syrie « pour des raisons plus politiques que religieuses ».

Cette femme à qui il parle et qui pourrait être sa mère, c'est Nadia Mondeguer qui a perdu sa fille dans les attentats, fauchée par une rafale de kalachnikov, puis son mari six ans plus tard, fauché par la maladie et le chagrin. Cette femme « chaleureuse, affectueuse à l'humour sauvage et désespéré, tout le monde aimerait l'avoir comme mère » confesse Carrère. Nadia, à la fin des six heures d'audience a dit : « J'ai trouvé la forme excellente, la pensée rigoureuse : j'ai adoré. »



Acte III - La cour.

Le V13, c'est un Président et quatre magistrates assesseures qui rendront leur verdict à l'issue des neuf mois du procès. Il n'y a pas de jury populaire dans un procès pour terrorisme par peur des représailles. le V13, c'est trois avocats généraux, une femme et deux hommes, pour l'accusation, c'est 350 avocats de parties civiles, et une trentaine d'avocats de la défense. Ceux-là, Emmanuel Carrère les appelle « les chevaliers du pénal » car il faut en effet avoir le droit chevillé au corps pour défendre des types que tout le monde préfèrerait voir morts. Comme l'explique l'un d'eux, il est essentiel de distinguer le type et l'acte. Ce qu'ils défendent, ce n'est évidemment pas la pédophilie ou le terrorisme, ce qu'ils défendent, c'est un pédophile ou un terroriste.



« L'amour du méchant n'est pas l'amour de sa méchanceté, ce serait une perversité diabolique. C'est seulement l'amour de l'homme lui-même, de l'homme le plus difficile à aimer. »



Vladimir Jankélévitch
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Bravoure

♫Comme il fait bon à s'y enterrer

Au pays de mon premier amour

Sans se soucier

De voir le jour

Et ça depuis toujours♫

-Philippe Katerine-1999-

----♪---♫---🧛‍♀️---🩸---🧛‍♂️---♫---♪---



D'abord, d'abord

Prenez quelques feuilles de papier,

Pendant trois jours de suite, écrivez...

Combien de pensées jamais exprimées !

L'art de devenir un écrivain...singulier

Il faudra désormais avancer masqué

Votre heure de Gloire est arrivée

Brave hour , roulement de tambour ......



Voyage dans l'espace-temps

Délai taire déterre dentaire d'Ecausse

Nino toujours aussi rosse

De Machron hic nait Chro-logique

Anachronismes couleurs et des goûts temps.

Contre-courant dans la campagne présidentielle

le porte parole rajoute sa pincée de grain de sel

Philip K. Dick, c'est qui ces morts-vivants !?



ça s'électrise, Baudelaire contre Carrere

Charles Emmanuel bien sûr Voltaire

C'est pas l'opium, qui prend ni nique ta mer

C'est l'effet mer, entre ciel éther qui t'rendra laudanum.





C'est Murder-party, vends pire, Polidori

Shelley, Cauchemars, mots lierre, un médecin maugrée en lui

Lord Byron, cadavres exquis et ses marquises,

Philippe K. Trine.... qui se déchaînent

Promettez nos dermes à Frankenstein...



Même si c'est pas son roman que je préfère

Emmanuel devrait faire Carrère....



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L'Adversaire

Jean-Claude il est médecin. Jean-Claude il a un chouette poste à l'OMS. Jean-Claude il forme une gentille famille avec sa femme et ses deux jeunes enfants.



Mais Jean-Claude un beau jour il va péter les plombs et anéantir le tableau idyllique en assassinant père, mère, épouse et progéniture, après dix-huit longues années d'une inconcevable imposture. Si Jean-Claude (Dusse, avec un D comme Dusse) témoignait d'un indiscutable penchant mythomane, Jean-Claude (Romand), lui, rafle en prime et haut la main le trophée olympique de la mystification hors catégories.



On rigole on rigole mais l'histoire est véridique et bien sûr effroyable, et chacun de nous la connait de près ou de loin. Le talent d'Emmanuel Carrère nous la fait pourtant découvrir de façon particulière à travers une enquête intelligente et objective, dépassionnée et passionnante.



La psychologie pour le moins perturbante de Jean-Claude Romand n'en reste pas moins une énigme insondable mais L'Adversaire se lit véritablement comme un… roman, où un patronyme étonnamment prédestiné s'avère être l'un des rares détails authentiques épargnés par ce manipulateur pathologique.



Fascinant décidément.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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D'autres vies que la mienne

Une vague d’espoir m’a envahie en lisant ce très beau texte, véridique. Le tsunami ? La perte d’un enfant ? Oui…mais la vie, avec l’acceptation des horreurs subies, reprend ses droits et ça, chapeau ! Le cancer plie l’être humain, l’handicape avant de le tordre dans des souffrances indicibles ? Oui, mais l’homme, la femme décrits dans ces lignes s’adaptent, au prix d’une volonté, d’un amour, d’un désir de vivre malgré tout, même diminués.

Pour tout ça, pour ces valeurs positives, je dis oui ! Oui à ce livre plein d’humanité, oui à cet auteur franc et honnête. Oui à ces "autres vies que la mienne" !
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Le royaume

Emmanuel Carrère aura consacré sept ans de sa vie à l'écriture du "Royaume", un essai bien documenté qui entraîne le lecteur dans les eaux troublées et profondes du christianisme à sa source.



Sa fascination pour l'évangéliste Luc - le seul des quatre qui fut cultivé et lettré - l'incite à chausser les sandales de ce médecin hellénisé et à retracer sa possible biographie, de son cheminement avec Paul à la rédaction de son témoignage, le plus "scénarisé" et dramatique des quatre Évangiles canoniques. Aussi Emmanuel Carrère aborde-t-il Luc comme un écrivain plutôt que comme un messager, et c'est ce qui fait la diversité et la richesse du "Royaume".



En tant que catholique pratiquante, cet ouvrage avait de grandes chances de m'intéresser et tel fut le cas. Même si je regrette que l'auteur - indéniablement un grand érudit, de la "graine d'académicien" - ait parfois un peu facilement actionné les leviers de la provocation et de la complaisance, dans l'ensemble j'ai trouvé son oeuvre remarquable, et son style très avenant.



Son approche du thème est originale et reste accessible à tout lecteur. Après un démarrage assez nombriliste qui effraie quelque peu, le lecteur découvre petit à petit l'ampleur des recherches, et la structure du récit qu'Emmanuel Carrère a érigée à la manière d'un château de cartes qu'un souffle de vent peut renverser en un instant. Au-delà de la curiosité sincère qu'il confesse pour son sujet, il a entrepris avec courage d'expliquer l'inexplicable, de saisir l'impalpable et de mettre en pleine lumière le message de Jésus et sa transmission. Ce faisant, il renvoie chaque lecteur à l'examen introspectif de la part la plus secrète de son être : la spiritualité, au sens large.



"J'étais en train d'achever ce livre et j'en étais, ma foi, plutôt content. Je me disais : j'ai appris beaucoup de choses en l'écrivant, celui qui le lira en apprendra beaucoup aussi, et ces choses lui donneront à réfléchir : j'ai bien fait mon travail. En même temps, une arrière-pensée me tourmentait : celle d'être passé à côté de l'essentiel. Avec toute mon érudition, tout mon sérieux, tous mes scrupules, d'être complètement à côté de la plaque. Évidemment, le problème, quand on touche à ces questions-là, c'est que la seule façon de ne pas être à côté de la plaque serait de basculer du côté de la foi – or je ne le voulais pas, je ne le veux toujours pas."



Après plus de 600 pages d'un méticuleux travail d'exégète et d'historien, c'est par ces mots qu'Emmanuel Carrère - qui fut croyant et qui prétend ne plus l'être aujourd'hui - amorce sa conclusion, me confortant dans l'idée que tout au long de son essai il a eu le cul entre deux chaises, faisant tour à tour preuve d'audace et de pusillanimité pour reculer finalement devant le verdict final, se donnant pour cela pas mal d'excuses.



Ce qui gêne intimement l'auteur n'est rien de moins que ce qui gêne la plupart des personnes qui se pensent athées : le refus de la parole de Jésus qui indique la voie étroite, celle qu'aucun d'entre nous n'a envie ni de regarder ni d'emprunter : "aimez-vous les uns les autres", "aime ton prochain comme toi-même". Beaucoup de personnes (chrétiennes ou non) pensent déjà obéir à cette ligne de conduite mais il n'en est rien car la majorité aime ce qu'il est aisé d'aimer : parents, frères, amis. Quel mérite y a-t-il à aimer ceux qui t'aiment ? Quel mérite à aimer une femme jeune, jolie et en bonne santé ? Le véritable amour - le vrai trésor - est vérité et humilité : aime ton ennemi, aime le pauvre, le malade, l'étranger, l'handicapé, le réprouvé. "Là où est ton trésor, là est ton cœur".



Très loin d'être moi-même à la hauteur de cette consigne, j'ose toutefois souhaiter à mes amis comme à mes ennemis d'avoir la foi, la vraie, la forte, l'aimante, celle qui porte et déplace les montagnes, celle qui éclaire la vie, celle surtout qu'il est urgent d'arrêter de confondre par bêtise ou par ignorance avec la religion.





Challenge MULTI-DÉFIS 2017

Challenge PAVES 2016 - 2017

Challenge Petit Bac 2016 - 2017

Challenge ATOUT PRIX 2016 - 2017
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La Classe de neige

"Tombe la neige

Tu ne viendras pas ce soir

Tombe la neige

Tout est blanc de désespoir

Triste certitude

Le froid et l'absence

Cet odieux silence

Blanche solitude

Tu ne viendras pas ce soir

Me crie mon désespoir

Mais tombe la neige"

Salvatore Adamo- 1964 -

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Comme un singe en hiver

classe de neige in summer !

Son sac oublié dans le véhicule

Gestion d'une crise somnambule

Entrevoir en rêve les désirs de son intérieur

Puisque dormir réveille toutes ses peurs...

Trop effacé trop craintif face à l' Adversaire

L'imaginaire l'emportera sur le trop autoritaire.

Pas de replay , de retour en arrière

Et ce sac qui joue les retardataires

Affrontements, épreuves, affaires louches

Me rappellent "Sa Majesté des Mouches"

Alimenter son imaginaire de tristes pensées

Passer avec ses roues sur un gendarme couché

si vraiment ça arrivait qui pourrait le consoler ?

Tant besoin de confiance, invitation à s'aimer

Alors qu'on nous apprend toujours à nous Méfier !





Son sac source de désespoir

Il ne rentrera plus ce soir

On se ronge les freins

Mais on restera sur sa fin

quand tu punis l'un

demande l'avis des autres...

D'autres vies que la mienne

Un chemin vers où il irait mais diable !

Un mari VRP qui vend tard, question-piège

Suite des Opérations un époux vend table

Intrigue père manant, un pèreplex 'iglace de neige...





















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