Une lecture de pur hasard... au gré de mes visites et flâneries à ma médiathèque...Découverte qui m'a bouleversée de par son sujet, mais aussi pour les portraits très émouvants d'écrivains, qui continuent à nous questionner et ceci pour le reste des siècles..…puisque que ces récits de vies d'écriture ont en leur noyau les interrogations essentielles sur notre « humaine condition »..
Un auteur, historien, et biographe connu… dont je lis le premier texte avec cet ouvrage.
Emmanuel de Waresquiel décide de parler de lui à travers la vie de dix écrivains qui ont marqué son chemin de lecteur et d'écrivain. Il choisit de narrer des destins d'écriture, dans leurs dernières années, à l'approche de leur fin, de vieillesse, ou écourtée pour diverses raisons : suicide, mal-être, périodes historiques troubles et violentes…
Dans son avant-propos,
Emmanuel de Waresquiel présente très explicitement l'objet de ce texte : « la mort est toujours là. On apprend à vivre en cherchant obscurément les moyens d'exister avec elle, qu'on la provoque ou qu'on la flatte, qu'on l'accepte ou qu'on l'ignore. Voilà comment mon livre est né, à travers une série de portraits d'écrivains confrontés à la mort et à leur mort . J'en ai choisi une dizaine parmi ceux que je lis depuis longtemps. (…) On est anthropophage. On se nourrit un peu de la mort des écrivains qu'on aime. » (p.11-12)
Dix portraits captivants, entre le misanthrope,
Paul Léautaud, le taciturne,
Julien Gracq,
Stefan Zweig, l'écrivain célèbre, adulé, mis au ban de la société de par sa judaïcité, et désespéré de cette humanité devenue barbarie…
Robert Brasillach, les « Suicidés de la société »
Jacques Rigaut et
Jacques Vaché,
Gérard de Nerval,
Benjamin Constant et le Prince de Ligne… Tous ces portraits sont finement
écrits, ciselés…mais mes
préférences vont à
Paul Léautaud, et
Stefan Zweig…des auteurs qui m'accompagnent depuis longtemps…
Il est question du rapport à l'écriture, de la perception de soi, des autres, d'un mal de vivre profond pour la plupart d'entre eux…si tenace que leur passion pour l'écriture ne suffit plus à combler quoi que ce soit…à un moment donné…Ce livre est troublant, dérangeant car il est une réflexion sur la mort, mais aussi sur l'amour de la vie, même si les destins d'écrivains présentés dans ce volume étaient abîmés par des profondes blessures, et manques initiaux de base… et je pense surtout à
Paul Léautaud…grandi dans la solitude, avec une mère inconséquente, indifférente…
L'écriture pour oublier, donner un sens, donner le change, échapper un temps au non-sens de son existence, trouver « une place »… sur cette terre…
« J'écris pour vomir ». Les écrivains sont des menteurs, des affabulateurs qui commettent des livres pour mieux se protéger. (p.132)
J'ai beaucoup apprécié le style d'Emmanuel de Waresquiel : poétique, précis, élégant…j'ai souligné trop de passages pour les nommer ici… cela deviendrait fastidieux à la lecture… Je me permets toutefois de citer un long paragraphe de l'avant-propos, qui donne à la fois et le ton, et le style, et le propos central auquel tenait son auteur :
« je parle un peu de tout dans ce livre, du ciel et des enfers, de ceux qui ont fait des choix et de ceux qui n'en ont pas fait, de ceux qui sont restés seuls debout devant leur fenêtre et de ceux qui ont dansé sur leur tombe aussi. On y trouvera des prisons, des
voyages et des exils, des enfances qui se prolongent, des vieillesses qui viennent trop vite, des passions et du vide, le tremblement des rêves et de la folie. Les hommes qui y passent sont nus, et leurs plaies sont à vif. Je les fais entrer dans mon livre au moment où leur vie bascule, quand elle ne sera plus jamais comme avant. C'est
Benjamin Constant en 1814 dans la spirale de sa passion pour Juliette Récamier, c'est
Gérard de Nerval au bord de sa folie à la clinique du docteur Blanche en 1841,
Jacques Vaché dans les tranchées de la somme, son monocle à l'oeil gauche, c'est
Brasillach qui marche vers sa prison, c'est Zweig sur son dernier bateau en partance pour le Brésil. Certains ont dit oui, d'autres non, mais tous se sont retrouvés à un moment de leur vie devant la mort, bien avant que celle-ci ne les emmène. (…) A tous j'ai posé cette même question. Dis-moi comment tu es mort. Tu me diras qui tu es, moi qui sais à peine qui je suis »… (p.16-17)