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Critiques de Emmanuelle Lambert (81)
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Le garçon de mon père

« Il y a les livres. Certains sont des tombeaux. Ils immobilisent dans le cours du temps, arrachent les êtres à l'oubli, les figent dans la pierre. D'autres sont des châteaux. On trouve, courant dans les couloirs, les morts épars à la mémoire, ceux dont la silhouette sur la photo et dont le nom n'est plus qu'un mot transparent. Ces livres s'amusent du bruissement du souvenir. Ils n'ont pas enterré l'amour ; ils ont simplement oublié d'être malheureux. »



Le livre d'Emmanuelle Lambert est un château, certainement pas un livre de deuil même s'il raconte les derniers jours de son père, structuré en 6 chapitres quotidiens du dimanche au vendredi. Ce n'est pas le deuil qui commande, c'est au contraire la vivacité du présent et du sentiment, « ces particules de temps et d'affection mêlés » qui demeurent en suspens.



La narration est extrêmement mobile, refusant toute fixité mortuaire. Elle multiplie les voix/ voies temporelles, superposant des couches de souvenirs aux scènes du moment. Plusieurs époques s'entrelacent au gré du flux des souvenirs, racontant l'enfance du père mais aussi celle de la fille, évoquant presque en mode sociologique l'évolution des Soixante-huitards tout comme sa place à elle dans une lignée de femmes qui n'ont pas toutes vécues la liberté féministe.



Elle parvient ainsi à saisir au plus près du coeur ce père à la fois brusque et bienveillant, explosif et séduisant, fantaisiste et brutal, comme si elle voulait vivre à nouveau à ses côtés, cherchant sa présence dans des souvenirs parfois lointains qui ressurgissent. Pour le garder vivant auprès de lui en faisant s'entrechoquer tendresse, ironie, humour et lucidité, joie et tristesse. Jusqu'à esquisser un portrait lumineux de ce père qui vient de mourir.



Ce roman est un livre de vie, de ces moments où la vie palpite dans les mains, même en pleine agonie, à l'unisson d'une écriture extrêmement pulsée. Les mots d'Emmanuelle Lambert, sensibles et précis, emplis de poésie, parvient à capter l'intensité de chaque moment, les derniers, partagés avec son père, avec une certaine mélancolie mais sans la lourdeur du pathos ou l'indécence gênante de l'impudeur. Plusieurs passages sont absolument superbes. Tellement justes que j'ai parfois eu du mal à me concentrer, troublée de lire les mots que je n'étais pas parvenue à poser sur les derniers jours de ma mère, décédée de la même façon que le père de l'auteure. C'est presque miraculeux d'écrire ainsi sur la mort en l'extirpant du marbre du chagrin.



«  le regard doucement hagard avant d'accrocher sa prunelle aux nôtres, de cette lenteur avec laquelle les habitants de la fin de la vie reviennent parfois auprès de vous, encore capables, par amour, par ennui, d'arracher un résidu de leur lumière intérieure à leur épuisement. Pour vous voir, vous connaître, vous reconnaître et vous le dire en silence.(...) Ces menus réveils, cette manière de nous amener à lui une dernière fois, à chaque fois la dernière, avant son sommeil solitaire, j'aurais voulu les immobiliser, les laisser suspendus dans le temps, nous figeant, dans cette chambre moite, à la lisière de sa mort. J'aurais voulu saisir l'instant comme lorsqu'on essaie, enfant, d'attraper les poussières qui dansent dans la lumière, et jamais ne prennent corps dans nos mains, pour conserver près de moi le regard de mon père. »



Lu dans le cadre du Coup de coeur des lectrices Version Fémina décembre 2021
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Le garçon de mon père

Il y a parfois des hasards qui vous proposent la lecture d'un livre auquel vous n'aviez pas pensé. Vous lisez la quatrième et vous vous dites , pourquoi pas ?

Vous cochez la case et , incroyable , vous obtenez le livre ! Alors , évidemment, une parole est une parole , et vous écrirez une critique ,,parce que , ne pas le faire, c'est possible , mais ce n'est , ni sympa , ni moral du tout .... Alors , d'abord , lire et .....vous voilà embarqué(e) dans une histoire qui pourrait être la vôtre...Une chambre d'hôpital, une vie qui part , ses sept derniers jours ....ou huit ...ou cinq ...ou...peu importe , les derniers .Les moments ultimes d'une vie qui s'échappe, là, sous vos yeux , vous les attendez , vous les redoutez , vous les lui souhaitez , mais ça, c'est dur ... Et , tant qu'il est vivant , les souvenirs remontent à la surface , les bons moments qui vous ont construit(e ) , qui vous ont aidé( e) à grandir, pas un deuil , non , un moment d'une rare force , un moment où il appartient encore au présent. Pour le deuil, il faudra attendre .L'instant présent, douloureux , se mêle au passé au point de se confondre ...Pas de miracle , il meurt , car tout le monde meurt , mais , comment dire , il meurt parce que c'était le bon moment , pour lui , pour vous ....

J'ai trouvé ce livre très fort , poétique, fier . Pas de pathos avant le " Grand départ " , non , un retour sur " son " passé et tous ceux et celles qui ont fait qu'il était " comme ça " , et que sa fille est comme ça . Un livre court car il est sans doute inutile de se perdre , il faut aller à l'essentiel , comprendre le passé pour mieux comprendre le présent...

J'ai été subjugué, vraiment , par tout ce qui concerne l' amour de la " lecture " dans ces pages , c'est vraiment " énorme, incroyable de justesse" , très, mais vraiment très troublant et édifiant . D'autres passages m'ont semble moins " accrocheurs " mais qu'importe , il y a tant à puiser dans ce roman intimiste et ...universel . Contradictoire ? Dans les mots , peut - être, dans les faits ...à voit . Un livre qui , en nous plaçant là où on redoute tous et toutes de se retrouver , nous apprend à être humble et , surtout , ....sincère devant la précarité de la vie...et la mort de ceux qu'on aime et ....plus . Une vie , la nôtre , qui va se nourrir ...

Je ne sais pas si je dois vous " conseiller " cette lecture , la seule chose que je puisse vous dire c'est que , moi , je l'ai adorée et qu'elle m'a ému ....et que j'ai bien fait de " tendre la main " à ce bien beau livre.
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Le garçon de mon père

Lorsqu'un cancer de l'ampoule situé près du pancréas emporte son père, Emmanuelle décide de lui rendre un magnifique hommage. Ouvrage poignant et intime, cette biographie où se mêlent les souvenirs du passé à différentes époques nous relate les derniers jours vécus avec cet homme d'exception. Par son travail d'écriture, Emmanuelle Lambert a su évoquer certains thèmes difficiles tels que la maladie ou la mort mais tout en y glissant une certaine douceur et, c'est avec une grande sérénité que j'ai refermé cet ouvrage…



Pour les amoureux de la littérature française et des biographies familiales, cet ouvrage est une valeur sûre, n'hésitez pas à le découvrir...



Je tiens à remercier Version Fémina et les éditions Stock pour la découverte des écrits d'Emmanuelle Lambert.



#Item 2
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Le garçon de mon père

Le garçon de mon père est un magnifique récit sur une relation indestructible entre un père et sa fille qui prend toute sa force au stade ultime quand la fille adulte accompagne son père en fin de vie vers l'autre rivage.



J'avais peur d'y trouver de la lourdeur, de la tristesse profonde, au contraire le livre d'Emmanuelle Lambert respire de sérénité.



Pour être en accord avec elle-même dans ce moment très difficile, la narratrice tisse une toile familiale extrêmement vivante par l'évocation de ses souvenirs, ceux du temps d'avant bercés des notes de musique et des livres de son enfance.



Tout un monde est de nouveau réuni, des photos, des sons, des images dans la fureur des années 80.

L'époque et ses nouveaux changements forment le décor d'une histoire familiale en quête de racines, des femmes nimbées de solitude, une filiation à trous qui se répercute de génération en génération.



Et au dessus de tout cela, la figure paternelle, asile et refuge d'une enfant qui grandit dans ses yeux. L'enfant qu'il rêvait d'être.



La narration ressemble à un long poème dédié au père disparu par le rythme lent et ses belles images évocatrices comme les fleurs d'un printemps japonais.







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Giono, furioso

Une lecture des plus enrichissantes...redonnant vie à la personnalité pleine d'ombres et lumières du conteur, Jean Giono !------



"C'est au collège que nous avons lu, pour la première fois, Jean Giono. Nous n'y avons strictement rien compris. Je me souviens du -Chant du Monde-, de ses longues phrases et d'une réalité qui m'était parfaitement, hermétiquement étrangère. La montagne. Les radeaux. Les paysans. Tout

cela était loin dans l'espace et dans le temps, le livre charriait des mots, des métiers et des lieux disparus ou inventés. Nous n'étions pas coutumiers d'une langue si vivace. (...) Disons-le : à la première lecture, tout cela m'a beaucoup ennuyée. (p. 98)





Je pourrai faire mienne cette première appréhension "ingrate" du style de

Jean Giono...Emmanuelle Lambert décrit fort bien ses évolutions de

"lectrice" vis à vis de cet écrivain, ayant sûrement souffert de l'image de l'auteur dit "scolaire" ou plus exactement, faisant partie de ceux qu'on étudie à l'école, par obligation...



Emmanuelle L. évoque son enfance, sa grand-mère en Provence, un professeur admiré, transfiguré lorsqu'il parlait de Giono... et quelque part, ce souvenir est resté ancré dans la mémoire de la jeune élève...



Pour ma part, ce fut à la faculté de lettres, que j'ai rencontré un professeur

de stylistique...complètement emporté par le style de Giono...

J'aimerais avoir pu enregistrer ses cours, les réentendre; je pense que je

les apprécierai aujourd'hui à leur juste valeur !! En dehors de "L'Homme qui plantait les arbres"... je n'ai guère été plus loin dans ma lecture de Giono ,à ma grande honte !!



Cet hommage très franc et convaincant de Emmanuelle L. a donné un nouvel élan à mes tentatives précédentes , avortées, de lire "l'Homme de Manosque"...enfin !



J'adore ce titre... qui va à l'encontre des images stéréotypés qui collent

à la peau de Giono, écrivain de la Provence, du terroir !

Une image trop simpliste... réductrice... bousculée par ce texte de Emmanuelle Lambert, dont j'apprécie, pour la première fois, la plume alerte...et un style très chatoyant !!



"Peut-être était-il difficile de le [Giono ]saisir plus jeune. Les grands livres ont ceci que nous ne lisons jamais la même chose lorsque nous les relisons. Peut-être me fallait-il avoir empilé suffisamment d'épaisseur de temps, de joies, d'échecs et de lenteur pour comprendre ce que Giono dit, depuis son siècle lointain." (p. 36)



Ouvrage qui dépoussière Jean Giono, montre avec finesse ses complexités, son caractère torturé, sombre... loin des images des "santons de Provence"... Cet enfant de vieux, unique, choyé par un père, cordonnier, rempli de bonté, son parent préféré et une mère, repasseuse, ayant vécu de surplus ,la tragédie de la Grande Guerre...!



"J'étais loin de savoir, alors, que ce serait là mon premier contact avec Giono, que les immenses films de Pagnol, -Angèle-, - La femme du boulanger-, venaient de ses livres à qui ils devaient une part de leur grandeur. Et que, dans leur beauté et leur théâtre, ils avaient sans doute contribué à installer ce qu'il faut bien appeler le malentendu provençal, détesté par Giono et qui aujourd'hui lui colle encore à la peau.

Comme il était las qu'on lui entonne toujours la même chanson, Giono a dit

qu'il n'avait mis aucune cigale dans ses livres." (p. 32)



Emmanuelle L. nous raconte ses préférences littéraires...évoque un deuxième écrivain, sur lequel elle a beaucoup travaillé...Je ne résiste pas à la retranscription de ce parallèle quelque peu insolite...



"Dans ma bibliothèque, on trouve, au premier rang, au moins deux poètes autodidactes et merveilleux façonnés par leurs lectures grandioses. Leur langue est une chose si personnelle qu'on ne peut les rapprocher d'aucun de leurs contemporains. Littérairement, Ils sont sans famille. il y a vous, Giono, et votre cadet de quinze ans, Jean Genet. (...)

Si vos oeuvres n'ont rien à voir, votre rapport à la langue et à la culture est le même : il est strictement, rigoureusement intime. vous vous foutez tous deux des passages obligés. On ne vous commandera pas.



Vous avez d'ailleurs atterri dans la même prison militaire, à Marseille, à un an d'écart. Aujourd'hui, vous avez tous deux des manuscrits dans les archives de la Bibliothèque nationale et un dossier dans celles de la justice militaire. Tous les deux, vous n'êtes pas bien commodes." (p. 59)



Ce texte très vivant est aussi le récit de Emmanuelle Lambert , préparant le cinquantenaire de la disparition de Giono...Directrice de la publication du catalogue de l'exposition Giono, qui débutera au MUCEM , à Marseille, vers le 30 octobre 2019...



Je commence à rêver de m'y rendre... L'occasion fabuleuse de découvrir enfin ce MUCEM...à travers cette importante manifestation !...Il me reste cette fois à me plonger dans l'univers et la prose de Giono...avec un regard nouveau, grâce à Emmanuelle Lambert, que je remercie abondamment pour cette publication passionnante et fort éclairante !
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Le garçon de mon père

"Le garçon de mon père" relate les derniers jours du père de l'auteur. Elle va, avec sa soeur lui faire des visites à l'hôpital durant ces 5 derniers jours jusqu'au moment de l'adieu.

Ce n'est pourtant pas triste. La façon dont Emmanuelle Lambert traite cette fin de vie est, certes poignante, mais c'est aussi apaisant.

Il y a une sensation de sérénité qui se dégage de ces lignes.

Ces 5 jours sont jalonnés de souvenirs mettant en avant la personnalité aimante et aimable de ce père. C'est plein de douceur, de poésie et d'amour.

C'est un bel hommage que Emmanuelle Lambert fait à son père.
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Giono, furioso

En 2016, nous ne sommes pas allés à New York. Pourtant, tout était réservé : billets, logement, pass. On en rêvait depuis si longtemps... Tétanisée par les attentats, j'ai eu peur, peur pour mes quatre enfants. J'ai tout annulé. Ils m'en ont voulu. Mais c'était comme ça. Il a fallu trouver une autre destination, moins loin, moins risquée. Un petit village des Alpes de Haute-Provence ferait l'affaire. La mienne en tout cas. On se rattraperait pour New York, promis.

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que nous posions nos valises dans une région que je connaissais très bien. Je n'y avais jamais mis les pieds. Mais j'avais lu. Beaucoup lu Giono. Depuis les années de fac. Je découvre Giono en licence : au programme, les « Chroniques » : Un Roi sans divertissement et Noé. Le coup de foudre. Les personnages me fascinent (je tombe amoureuse de Langlois, évidemment), je trouve la construction du récit et les points de vue narratifs particulièrement osés et tellement modernes pour l'époque. J'exulte. À la fin de ma licence, je suis comme Giono lorsqu'il écrit Noé : incapable de passer à autre chose ni de travailler sur une autre œuvre. Qu'à cela ne tienne : mon travail portera sur les chroniques : Un Roi, Les Grands Chemins, Les Âmes Fortes. Pour moi, il ne fait aucun doute que les personnages sont vivants (je vis avec), ils ont donc un corps (je les sens près de moi) : ce sera donc : « Le corps des personnages dans trois chroniques de Jean Giono ». Le bonheur...

Bref, la région où j'entraînais mes mômes, je la connaissais bien et je savais qu'à quelques kilomètres de notre gîte, il y avait Manosque, il y avait Le Paraïs, Montée des Vraies Richesses...

Nous n'y sommes pas allés tout de suite… Je crois que je voulais garder le meilleur pour la fin.

Et quel meilleur…

J'avais téléphoné quelques semaines avant notre départ. Il fallait réserver. Je n'avais pas bien compris comment ça se passait, on verrait bien...

D'abord, nous avons flâné dans la ville et lorsqu'il s'est agi de nous diriger vers la maison de Giono, impossible de trouver la route. Imaginez ma panique (les gamins s'en souviennent encore). Nous arrivons enfin, tout en sueur, essoufflés… la pente est raide. Nous sommes accueillis par une très vieille femme qui nous installe au jardin, à l'ombre. Il fait très chaud. Il y a un couple avec nous. C'est tout. Elle nous explique qu'elle vient de se faire opérer de la hanche, qu'elle nous fera visiter le rez-de-chaussée mais qu'elle ne pourra pas monter à l'étage. Un universitaire prendra le relais. Elle ajoute qu'elle perd un peu la tête, qu'il ne faut pas lui en vouloir. Et elle commence. Elle a connu Giono et sa femme Élise, elle se souvient très bien d'eux. Elle parle. Elle nous raconte Giono. Je suis assise à l'arrière. Mes enfants sont devant moi et ne me voient pas. Je suis dans un état second. Régulièrement, elle s'arrête. Nous demande ce qu'elle était en train de dire, s'excuse, se reprend. J'ai envie de la serrer dans mes bras tellement je la trouve touchante. Je bois ses paroles. J'ai l'impression que Giono va arriver, que l'on va boire un café, entre nous. J'ai envie que le temps s'arrête. Je ne respire plus. Je ne bouge plus. Je ne veux pas perdre un mot de ce qu'elle dit.

Soudain, je tourne la tête vers l'intérieur de la maison. Derrière une large vitre, dans une pièce qui sert d'accueil, de bibliothèque et de librairie, je vois Sylvie Giono. Enfin, je vois... Giono. Elle lui ressemble tellement. Et là, mes larmes se mettent à couler, mon émotion est telle que je suis incapable de me maîtriser. Je croise les doigts pour qu'aucun de mes gamins ne se retourne et ne me voie dans cet état-là. J'ai les yeux rouges, les joues gonflées, je commence à renifler bruyamment, je tremble de partout. C'est la catastrophe. « Ça va maman? », m'interroge d'un air inquiet ma fille Hélène. C'est encore pire. Je ne contrôle plus rien. Je fais peine à voir. Un désastre. Heureusement, la petite dame ne se rend compte de rien, toute à ses souvenirs bientôt enfuis. Elle nous invite à entrer dans la maison. J'appréhende mes réactions. D'abord, la bibliothèque. La femme prend les livres, les ouvre au hasard pour nous montrer les annotations de Giono. Les yeux me sortent de la tête. L'écriture de Giono, là, petites pattes de mouche au crayon à papier. Nous attendons un peu dans l'entrée. La femme est fatiguée. L'universitaire vient prendre le relais. Soudain, je vois un musicien (un concert se prépare) entrer dans une pièce que l'on ne visite pas. Je sais que cette pièce est la cuisine. Je sais que si je ne force pas le passage, là maintenant, je ne la verrais peut-être jamais. Je le suis. J'entre. C'est incroyable comme la volonté donne des ailes. Il me dit que je n'ai pas le droit d'être là. Peut-être mais j'y suis. Je suis dans la cuisine et je ne bouge pas. Je reconnais les lieux. Je vois le tableau de Bernard Buffet. Le musicien ne me dit plus rien. Il attend que j'aie fini de voir, de regarder, de sentir. Il finit par faire ce qu'il a à faire et je finis par sortir. Je rejoins les autres, à l'étage, dans... le bureau de Giono.

Alors là mes amis, c'est le pompon. Nous entrons : je connais tous les coins et les recoins de ce lieu. J'ai vu la pièce, photographiée ici et là, et surtout j'ai vu Giono assis derrière ce bureau. Il n'est plus là mais tout est là de lui, sa veste jetée sur le divan, son chapeau, ses pipes, ses plumes… La pièce n'est pas grande, il fait très chaud. L'universitaire tient à ce que nous soyons à l'aise (il a du boulot avec moi!), invite Hélène à s'asseoir sur le fauteuil de Giono, derrière le bureau. La gamine obéit. Hélène est À LA PLACE de Giono, derrière le bureau. Je ne vois que ça. Moi-même, je m'assois sur le divan. Ma main gauche touche la veste et le chapeau de Giono. Je crois que je suis à deux doigts de m'évanouir. L'universitaire est bavard, bavard, ma fille aînée commence à tourner de l'oeil et s'allonge par terre. Mon fils cadet a pris place dans un fauteuil bas. Je crois que j'ai communiqué à toute la famille mon émotion. Mes enfants découvrent une mère qui n'est plus dans son rôle, qui ne maîtrise plus rien, qui pleure et tremble comme une gamine. Nous redescendons et passons par la grande pièce qui sert d'accueil et de librairie. Sylvie Giono est toujours là. J'aimerais lui parler mais mon état ne le permet vraiment pas. J'envoie Hélène qui, du haut de ses dix ans, commence à trouver cette journée particulièrement pénible. Elle a la mission de demander une dédicace. La gamine y va, fait la demande. Je vois Sylvie Giono qui s'avance vers moi. J'aimerais lui parler. Je pleure, je bafouille un « vous lui ressemblez tellement », elle comprend, m'embrasse. Lorsque nous redescendons vers le centre de Manosque, je marche comme si j'avais bu. Je dois avoir de la fièvre. Je suis vidée, j'ai l'impression de finir un marathon. Mes gamins sont hilares. Ils auront des trucs à raconter en rentrant.

Bref, je me rends compte que je suis la reine de la digression et que je n'ai toujours pas parlé du livre d'Emmanuelle Lambert (mai je voulais vous préciser que mon rapport à Giono et à son œuvre est un peu particulier, un brin viscéral peut-être...)

Une biographie de Giono. Bon. J'en ai déjà lu pas mal. Oui mais celle-ci, elle est vraiment bien. Ah d'accord. Allons-y. Voilà comment je suis entrée dans l'oeuvre...

Comme je me suis régalée ! Et ce, pour plusieurs raisons : un, c'est un texte vivant, personnel, sensible (et rien ne me touche plus que le lien qu'un lecteur entretient intimement avec une œuvre), puis, c'est un texte qui ne cherche pas l'exhaustivité (on s'en moque) mais plutôt, le coeur, l'essence, l'esprit de l'oeuvre et de l'auteur, un texte qui sait s'attarder sur ce qui à première vue pourrait sembler être un détail mais qui en réalité est lourd d'un sens qui n'apparaît pas au premier regard et puis, Emmanuelle Lambert, et c'est bien là l'essentiel, a compris Giono, a compris son œuvre (et en plus, on est d'accord… donc elle a raison, n'est ce pas? Oh ces mots sur Un Roi « les plus aguerris portent dans leur coeur Un roi sans divertissement, livre étincelant de blancheur, enrobé dans un désespoir calme. Le point final apposé auprès du mot « chef-d'oeuvre ») Elle évoque aussi cette maison dont je vous ai très longuement parlé (inutile de vous dire que j'ai lu ces pages avec beaucoup d'émotion et adoré que me soient données des précisions sur l'alarme, la clenche montée à l'envers…) C'est tellement vrai que cette maison tient « du mémorial et de la location de vacances »… Lors de notre visite, on nous avait dit que la maison avait été rachetée par la mairie, qu'on ne rentrerait plus comme ça dans les pièces, qu'il y avait eu des vols. Visiblement, Emmanuelle Lambert y est allée un peu après nous, au moment du grand déménagement.

Et puis, j'ai appris des choses, l'une en particulier m'a éclairée. Et j'ai mieux compris ce que je pressentais, ce que j'avais deviné… Jusque là, un morceau du puzzle n'entrait pas. Il me restait une pièce que le livre d'Emmanuelle Lambert m'a enfin permis d'emboîter. Je ne vous dirai pas laquelle. À chacun sa part de mystère… Il m'a fallu du temps pour la trouver. Vous allez, avec Giono, furioso prendre un sacré raccourci ! Veinards !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Giono, furioso

Quand Emmanuelle Lambert écrit : « Giono s'est tant laissé aller à son goût de l'auto-invention qu'on le perd légèrement en route : lovés dans la chaleur de sa parole, pris dans le plaisir de se laisser mener au bout du compte, on oublie les livres, on inverse l'ordre des priorités. », elle ne croit pas si bien dire, elle aurait pu écrire tellement sa phrase le suggère : pris dans le plaisir de se laisser mener au bout du conte.

Dans son Giono furioso, elle rappelle à chacun a son Giono, un Giono multiple que l'on découvre différent à mesure qu'on le lit mais aussi à mesure que l'on vieillit que l'on gagne en sagesse ou en extravagance.

Elle regarde l'homme Giono, ce moqueur à la pipe dont le regard vous dévisage avec un rien de goguenardise comme s'il vous défiait de le débusquer. La photo du N° 100 de la revue l'Arc consacrée à Giono est révélatrice de ce regard facétieux et mérite le détour https://www.babelio.com/livres/LArc-N-100-Jean-Giono/716513.

En nous faisant partager son amour pour Giono, Emmanuelle Lambert interroge le lecteur sur sa propre passion ou sa détestation de Giono.

Loin de l'homme de Manosque ou du provincial, elle présente son Giono, un Giono écrivain reconnu par la littérature, ses auteurs les plus prestigieux - Malraux qui le considère comme « cette eau de source du roman » - Paulhan, Gide et ses éditeurs phares Grasset et Gallimard.

La leçon du livre est qu'il faut garder son propre Giono, celui dont Emmanuelle Lambert a lu le chant du monde dans un collège de la banlieue parisienne – au pied d'une ligne de RER - dont elle dit « Nous n'y avons strictement rien compris. », elle avait douze ans, et dont elle écrit maintenant qu'il est un « apôtre de l'écologie avant la lettre. » osant écrire à l'époque nous n'avons « pas plus de droit que la bête. »…Une phrase qui sonne dans l'époque actuelle.

Elle nous parle aussi du Giono dont la mère lorsqu'elle évoque ses livres « les prend pour de la rigolade », du Giono dont le père avait prophétisé « tu te tromperas comme moi. », du Giono pacifiste et soupçonné de collaboration avec l'occupant.

Alors qu'elle est dans la maison de Giono en compagnie de l'association des amis de l'auteur, Emmanuelle remarque une étiquette apposée par une de ses deux filles sur un tiroir « papa en vrac ».

Je partage cette idée d'un Giono « En vrac », qui se livre à nous sans artifices.

Plus jamais ça nous dit Emmanuel Lambert « (…) on dit Giono et l'affaire est dans le sac. « Ah oui, Giono » (air pénétré). »

Un des meilleurs livres sur Giono qui n'ait jamais été publié. Qu'on se le dise !


Lien : https://camalonga.wordpress...
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La désertion

Eva brille par son absence



Pour son troisième roman Emmanuelle Lambert nous livre quatre versions d’un fait divers «parlant»: la disparition subite d’une jeune femme. Étonnant et dérangeant.



Ce roman pourra, je le concède, déconcerter certains lecteurs. Ceux qui n’apprécieront pas la virtuosité et la poésie d’un récit qui ne traite pas d’autre chose que du vide, de l’absence, de la disparition. Les autres vont se régaler de ce fait divers et des perspectives vertigineuses qu’il implique, historiques, sociologiques, criminelles et romanesques. Un petit clic sur la page Wikipédia conscrées aux disparitions inexpliquées pourrait suffire à vous en convaincre. Mais venons-en à l’énigme Eva Silber.

Cette jeune femme n’a rien de particulier, sinon son statut d’observatrice d’un microcosme bien particulier: la grande entreprise qu’elle vient d’intégrer. Elle voit ce que les employés qui sont déjà là depuis des années ne voient plus parce qu’ils ont déjà intégré cette façon de fonctionner, à savoir le harcèlement permanent du chef de service dont l’activité préférée est l’espionnage. Les informations qu’il rassemble lui permettant ensuite de se consacrer à son petit jeu pervers. Aux allusions explicites il ajoutera la séance de masturbation en pensant à la «petite nouvelle».

Qui ne se laisse pas perturber pour autant, à moins qu’elle n’extériorise pas sa frustration. Même pour ses collègues, elle reste assez secrète et préfère écouter plutôt que de parler, laissant les discussions autour des séries télé, de la meilleure façon de cuire le potiron ou de payer ses impôts à ceux qui aiment parler, surtout lorsqu’ils ne connaissent rien au sujet. Son jeu à elle consiste à tenter de remettre un peu d’humanité dans une société où l’on répertorie les décès pour établir des statistiques et des modèles optimisant les rendements. La transgression suprême pour Eva vient le jour où elle décie d edonner un prénom à l’un de ces numéros. Un enfant mort qui va l’accompagner jusqu’à ce jour où… elle ne réapparaît pas.

La construction du roman est alors polyphonique. Les chapitres s’intitulent Franck, Marie-Claude, Paul et Eva. Quatre parties pour autant de versions tentant d’expliquer cette disparition. De leur point de vue, le patron, la collègue, l’amant comprennent qu’ils ne comprennent pas, qu’il est impossible de disparaître comme ça, qu’on ne saurait déserter. Du coup, c’est bien Eva qui aura le dernier mot, qui va briller par son absence.

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La désertion

Eva Silbert a disparu

Quatre parties dédiées à quatre personnages pour tenter d'élucider ce mystère

Frank, son patron qui abusa beaucoup d'elle, il faut bien le dire, et se sent responsable de cette disparition

Marie-Claude, sa collègue et amie qui s'interroge et se remet en question

Paul, son amant, un homme étrange, hors norme

Eva elle-même

Elle semble paumée cette Eva. Passive dans ses relations, trop impliquée dans son boulot, un peu portée sur la bouteille….

Une étrange histoire pour une étrange fille

Une angoisse et un mal-être planent tout au long de la lecture

Selon les personnages, leur vision d'Eva est différente

Mystère ? rêve ? réalité sordide ? folie ?

Elle nous fait passer par tous les stades cette Eva, et laisse pas mal de zones d'ombre.

Emmanuelle Lambert, d'une écriture originale et soignée, nous entraîne dans toutes ses dérives et la rend fascinante.

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La désertion

Pourquoi disparait-on ? Comment du jour au lendemain peut-on volontairement s’effacer, en ne laissant aucune trace ?

Dans ce roman choral, Emmanuelle Lambert nous propose un fragment de la vie d’Eva Silbert évaporée sans plus jamais donner signe de vie.



Dans un premier chapitre c’est le chef de service d’Eva qui s’exprime. Nous découvrons un être froid, calculateur, harceleur. Il a l’habitude de noter les faits et gestes de ses subordonnés, n’hésitant pas à les suivre dans leurs vies privées. Eva particulièrement vulnérable est sa cible privilégiée.



Marie-Claude connait une toute autre Eva, elle était son amie et nous en parle avec tendresse.

Le ton change totalement, brutal dans la première partie, les mots se font caresses.

Paul l’amant mystérieux, essaie de parler d’Eva qu’il aime à sa façon.



Dans la dernière partie du roman, Eva prend la parole.



« La désertion » est un roman étrange et envoûtant. J’ai eu un peu de mal à entrer dans cette lecture, le début m’a semblé opaque et difficile à suivre.

Mais rapidement, un peu comme une fenêtre qui s’ouvrirait pour laisser pénétrer la lumière, l’histoire se met en place, les personnages prennent corps.



La fin est aussi inattendue qu’éblouissante.

J'ai trouvé ce roman raffiné et doux, entre rêve et réalité, tendre jusque dans les difficultés, émouvant et grave.

J’en ressors avec la conviction d’avoir rencontré à travers les phrases de l’auteur, une Eva magnifique qui a pris une place certaine dans un coin de ma mémoire.

Je ne connaissais pas Emmanuelle Lambert et je remercie très vivement les Editions Stock qui m’ont permis cette belle découverte via NetGalley.

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Giono, furioso

Emmanuelle Lambert, commissaire de l’exposition en honneur à Jean Giono et son œuvre, et qui ouvrira ses portes le 30 octobre prochain au MUCEM de Marseille, se décide à écrire un essai sur cet auteur emblématique. Je peux d’emblée vous dire que j’en ressors conquise.



Jean Giono est incontestablement l’une des grandes figures de la littérature du vingtième siècle. Qui ne connaît pas ce grand auteur, duquel on a lu tant de livres, parfois avec un ennui poli lorsque nous étions jeunes, tout comme l’auteure, mais en apprivoisant peu à peu ce style si particulier ? C’est d’ailleurs grâce à l’enthousiasme immodéré de l’un de ses professeurs, monsieur S., que l’auteure admet ne pas avoir renoncé à découvrir Giono plus tard.



C’est un bel hommage que va ici livrer Emmanuelle Lambert à cet auteur. Elle ne va pas se contenter de consacrer son essai à l’œuvre de l’écrivain, mais elle mettra également en avant la source de ses écrits. Lorsque l’on évoque Giono, on pense immanquablement à la lumière, à la Provence, mais Emmanuelle va mettre en exergue cette part d’ombre qui ressort des romans, cette obscurité qui, sans elle, ne permettrait pas à toute la luminosité de l’œuvre de Giono de ressortir. Il y a une véritable dualité que l’auteure nous explique avec finesse et clarté.



Rédiger un essai sur un écrivain nécessite une parfaite connaissance de ses œuvres. Et il faut dire que l’auteure a excellé dans ce domaine, maîtrisant les écrits de Giono à la perfection. Elle connaît son sujet et c’est essentiel pour une parfaite immersion du lecteur.



En marchant dans les pas de Giono, Emmanuelle Lambert va nous rapprocher de lui, et laisser de côté la part uniquement écrivaine de l’auteur. Elle va nous présenter diverses facettes, qu’elles soient humaines ou sociales, de cet auteur au quotidien si riche. J’ai tour à tour découvert une personnalité sensible, complexe, lumineuse, mais également avec ses parts d’ombre. Pour Emmanuelle, Jean Giono est le « furieux » et cette fureur de vivre se reflètera tout au fil des pages.



La plume est sublime. Tantôt délicate, tantôt furieuse, elle s’harmonise à la perfection avec le sujet du livre. L’auteure parsèmera son essai de quelques réflexions personnelles que j’ai trouvées fort intéressantes, et nous livre une analyse des œuvres de Giono, avec beaucoup de respect, d’admiration et de justesse.



Cet essai constitue un magnifique hommage à la mémoire de Jean Giono, l’une des grandes figures littéraires du vingtième siècle. Sous une plume sensible et furieuse à la fois, et grâce à une connaissance exhaustive de l’œuvre de cet écrivain, Emmanuelle Lambert nous livre ici un document de poids, qui mettra en exergue bien d’autres facettes de Giono que celle du simple écrivain. Une réussite.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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Giono, furioso

J'ai adoré cet ouvrage de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son oeuvre dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son oeuvre. Ses ouvrages les plus connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous, des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce regard un brin malicieux de son auteur.



Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler au coeur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.



Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.

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Giono, furioso

Giono, Furioso est un essai consacré au grand écrivain Jean Giono.

Rien de bien spécial, jusque là le titre était assez clair.

Mais pourquoi Furioso ? Et bien à vrai dire je me pose encore la question après avoir refermé la dernière page du livre.

Effectivement, l'auteur fait quelques liens avec l'Arioste et son Roland Furieux (Orlando Furioso en VO), et sur la fureur de vivre de Giono, mais sans plus.

Parlons-en, de l'auteure (trice ?). Commissaire de l'exposition Giono au MUCEM, elle s'est plongée dans les romans, l’œuvre et la vie du grand écrivain français pour réaliser l'itinéraire des visiteurs du musée marseillais. J'en ai été, d'ailleurs. Elle a alors découvert ce qu'un reste de modestie m'empêche d'appeler l'eau tiède, mais ce reste est minuscule: Que Giono n'est pas le poète des cigales, le conteur de la Provence éternelle, du soleil et du Mistral. Mais bien plus que cela, avec sa part d'ombre, ses lâchetés, ses bassesses, ses petitesses, ses trahisons.



Bon, j'ai été un peu méchant en parlant d'eau tiède, mais tout lecteur attentif de Giono a bien vu que son œuvre était parcourue de noirceur, de pessimisme, de désir puissant, de mort et de violence aussi. Et de là à comprendre que sa vie ne fût pas une longue Durance tranquille... il n'y a qu'un pas. Durance, qui jusqu'il y a peu était encore au nombre des fléaux de la Provence (avec le Mistral et le Parlement).

Qui a parcouru ses journaux sait ce qu'à vécu l'écrivain, quelles furent ses positions lors de la deuxième Guerre Mondiale. Et ses ennuis, ses prises de distance avec les communistes, ses publications dans les journaux collaborationnistes, mais aussi sa protection accordée aux résistants, à des familles juives.

Ses tromperies à sa femme, aussi. On le sait, il n'était pas un ange.

Le talent d'Emmanuelle Lambert n'est donc pas de nous offrir des scoops à toutes les pages, mais plutôt de rebrasser tout ça, de le synthétiser dans un beau portrait, tendre mais qui ne laisse que peu de zones d'ombres, pour le meilleur et pour le pire.

Le style est délié, agréable, on passe du présent au passé, de la famille de l'auteur à sa vie puis à son oeuvre, de la préparation de l'exposition au Mucem à des souvenirs plus personnels de l'autrice.

A lire peut être pour découvrir Giono, ou pour passer encore un petit moment à ses côtés quand on a (presque) tout lu de lui.
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L'un pour l'autre, les écrivains dessinent

Les arts se rejoignent. Le bonheur de la découverte est profond en parcourant ce très bel album.

Découvrir l'autre langage de l'artiste : il n'y a pas que les mots qui parlent.

Des auteurs dont on savait qu'ils maniaient le crayon, le pastel, l'encre de chine, l'aquarelle, le collage à d'autres dont on ignorait ce talent, le pas est franchi qui nous entraîne au tréfonds de l'expression créatrice.

Expression qui n'arrête pas de surprendre : je pense aux bâtons écrits (écriture à l'encre et peinture sur bois) de Serge Pey, bâtons dont j'aimerais entendre le son qu'ils émettent lorsque l'auteur les manipule rythmiquement au gré de sa lecture à voix haute. Ceci est un exemple de découverte parmi tant d'autres.

Le livre est présenté chronologiquement de Victor Hugo à Hervé Guibert trop tôt disparu. Une information est donnée sur chaque auteur, nous permettant de voyager du 19è à la fin du 20è siècle. Un très beau livre dévoilant, plus loin que l'écrit, l'âme et le regard porté par l'écrivain sur le plaisir?, la nécessité?, le non-dit dit autrement?, le rêve? procuré par le dessin...
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Le garçon de mon père

Dans ce livre autobiographique, la narratrice nous fait vivre les derniers jours de son père. En effet, celui-ci est atteint d'un cancer et il ne lui reste que quelques jours à vivre. Cinq plus précisément. Le récit va donc se découper en chapitres correspondants aux jours.

Au fil des pages, la narratrice évoque des souvenirs, des faits d'actualité et de société de son enfance et son adolescence. On parcourt les années en égrénant des instants de vie jusqu'à ce moment ultime de la mort de son père.



L'écriture est parfois poétique et ne tombe jamais dans le triste. La mort arrive pour tous et dans ce récit, on sent qu'elle est accueillie comme quelque chose de logique, que c'est le moment.



Malgré la poésie des mots, je ne suis pas friande de ce genre de récit et je n'arrive pas à prendre le thème de la mort avec "légèreté" et "résignation positive".

Je ne le recommande que pour celles et ceux que ça ne dérange pas de vivre les derniers instants de quelqu'un.
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La désertion

La désertion est un roman de Emanuelle Lambert découvert grâce aux éditions Stock et net galley, en avant-première.

Ce court roman, que j'ai lu en une petite heure, m'a beaucoup intéressé.

Eva a disparu. Surement une disparition volontaire. Elle a tout quitté, on ignore ce qu'elle est devenue.

Nous la découvrons à travers trois personnes : Franck Bourgoin, son patron, Marie-Claude Chevalier, une amie, et Paul Serge, son ami. Tous trois ont des personnalités différentes et nous permettent de découvrir Eva de leurs yeux. On découvre une femme complexe, avec une personnalité intéressante.

Et pour finir, le point de vue de Eva. Nous découvrons avec cette dernière partie la vérité, ce qui est arrivé et pourquoi elle a souhaité tout quitter.

La désertion est un court roman poignant. La dernière partie, avec Eva, est très troublante. Il y a un élément qui fait que je ne risque pas d'oublier cet ouvrage !

Court certes, mais difficile de ne plus y penser une fois qu'on l'a refermé.

Je suis ravie de ma découverte, et je mets avec plaisir quatre étoiles.
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Sidonie Gabrielle Colette

Si on ne devait lire qu’un seul ouvrage sur Colette en cette 150e année de sa naissance, ce serait celui-là !



Ce livre est beau, magnifique, indispensable, abondamment illustré de photographies connues ou moins connues de Colette, écrit remarquablement par Emmanuelle Lambert.



L’autrice nous livre une biographie « vivante et participative» de Colette dans le sens où, en nous révélant une Colette plus intime, elle installe son personnage tout en nous nourrissant de ses propres réflexions, et c’est très agréable. Elle nous prend à témoins, nous raconte sa Colette, celle qu’elle a découverte à 20 ans et qui depuis remplie sa vie de femme. Elle nous la détaille d’après ses portraits, ses amours plurielles, son tempérament, son féminisme, sa maternité secondaire, son indépendance morale, sa liberté, et ses écrits évidemment.



Alors bien sûr elle nous parle de Colette, nègre de son 1er mari Henry Gauthier Villars dit Willy grâce à qui elle rencontrera tout le gotha littéraire de Paris, romancière sous pseudonyme puis sous le nom de plume qu’elle se choisit, artiste de music-hall, comédienne, théâtreuse, danseuse, mime, journaliste, chroniqueuse ; Colette fille de Sido et d’un père qui se voulait écrivain mais n’a jamais réussi à écrire ; Colette fille de la nature, provinciale née dans l’Yonne qui terminera ses jours à Paris dans son appartement face au jardin du Palais-Royal ; Colette mariée trois fois à des hommes bien différents, n’ayant engendrée qu’une fille de son 2e mari Henri de Jouvenel ; Colette qui aura droit à des obsèques nationales. Elle nous raconte tout cela avec une écriture fluide, addictive, qui invite à la continuité de la lecture, faisant de son « Sidonie Gabrielle Colette » un pageturner.



Même si on connaît Colette, sa vie, on est pris par le texte, les photographies d’elle si explicites et expliquées par l’autrice, on a l’impression de la redécouvrir, et c’est tant mieux.



Seul petit bémol, lorsque l’on ouvre ce livre, on aimerait entrer directement dans le vif du sujet, dès la première phrase, on est là pour entendre parler de Colette ; or on se heurte à un premier long paragraphe qui nous parle de Marguerite Duras ! Choix de l’autrice, mais légère frustration du lecteur.



Il n’empêche que je suis devenue fan d’Emmanuelle Lambert, de sa façon d’écrire, de raconter. J’ai envie de me plonger dans ses autres romans et récits.

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Giono, furioso

Imaginez votre rencontre avec un inconnu qui vous parle de son amour pour une femme que vous avez aimé aussi (ça marche aussi au masculin) . Jalousie , complicité , sourde inquiétude ? C’est pourquoi j’ai abordé cet ouvrage à pas de loup car mon long compagnonnage amoureux de l’œuvre de Giono me rendait étrangement méfiant. Cette inconnue allait-elle me dévoiler à mon grand dam quelque aspect inconnu de moi ? Déflorerait-elle ma passion à coup de sournoises révélations ? Eh non ! Ce livre est l’expression d’une compréhension de l’auteur et de l’œuvre pleine d’empathie, sans flagornerie , ni pédantisme . L’essayiste pousse le mimétisme jusqu’à , comme Giono à propos de Virgile, de Melville , de Machiavel , mêler sa propre biographie à celle du sujet . Beau travail.
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Giono, furioso



A l'aube du cinquantième anniversaire de sa mort, Jean Giono, revient en force, pointant le nez d'un purgatoire littéraire dans lequel on le laissait un peu croupir. Le MUCEM de Marseille le célèbre avec une grande exposition et sa commissaire, Emmanuelle Lambert, se voit décerner le Fémina 2019 du meilleur essai, pour son flamboyant ouvrage sur celui qui pâtit de l'image un peu fausse d'un écrivain provençal à la Pagnol.

Se plonger dans "Giono, furioso", même si on ne connaît que peu l'auteur du " Hussard sur le toit" , c'est ressentir le mistral des mots qu'une auteure totalement inspirée, emportée par son admiration vous offre avec passion. Et même si vous n'avez jamais posé vos yeux sur un roman de Giono, il serait étonnant qu'une fois cet essai refermé vous ne fonciez vous plonger dans "Un roi sans divertissement" ou "Un de Beaumugne", tellement la fougue et l'intense envie de partage qui émane du livre est communicative. Il faut dire qu'Emmanuelle Lambert, en plus d'être totalement passionnée par son sujet, envoie valser les conventions du genre. Son livre est un essai mais métissé d'une biographie et de tout un tas de considérations personnelles, parfois autour de l'air du temps qui donnent à un sujet que l'on aurait pu penser très académique, une légèreté formidable. Elle fouille les archives, lit tout ( et quand on voit la quantité des écrits, c'est une performance), interroge les descendants, interpelle Giono, le sermonne, interprète sa production, glisse des anecdotes, se confronte à son passé ( autant l'enfance que la zone grise de l'occupation), à l'aigreur de son journal, ausculte sa sexualité...et de pages en pages nous le rend de plus en plus vivant, de plus en plus complexe, de plus en plus intéressant. Elle interroge aussi l'image qu'il véhicule, nous parle de celle qu'elle avait de lui avant qu'elle ne soit plongée dans la préparation de l'exposition et de ce livre... et nous engage à nous poser cette même question : "Et pour vous, c'est quoi Giono ? ".

Oui, pour moi, c'est quoi Giono ? La question est intéressante, car , j'ai eu, jusqu'à peu, une image assez banale de cet auteur. Tout d'abord, je n'avais jamais lu Giono ! Au lycée, aucun prof ne me l'avait présenté ( pas même un extrait du Lagarde et Michard de l'époque) et ensuite, il fut victime des adaptations cinématographiques Pagnolesques, le rangeant dans mon esprit pour un écrivain provençal très académique ( comme le fut Pagnol). Et puis, les hasards de la vie font que l'ami de ma fille cadette se mette à écrire un mémoire sur Giono... Evidemment, ne l'ayant jamais lu, et pour pouvoir entretenir d'intéressantes conversations, j'ai, cet été, sur son conseil, ouvert " Un roi sans divertissement". Et donc, une après-midi d'août, sur une plage girondine, j'ai ouvert ce Folio qui m'a littéralement scotché sur le sable ! Oubliés l'Atlantique, les vagues et les touristes allemands jouant aux raquettes, j'ai été transporté dans un village perdu quelque part en Isère... Quel style, quel regard sur les hommes et surtout quelle modernité dans la construction et l'écriture ! Un choc, une découverte, qui fait pâlir la plupart de nos écrivains contemporains ! Voilà, j'avais ( mieux vaut tard que jamais ) rencontré un des grands auteurs français !

Et pour revenir à l'essai d'Emmanuelle Lambert, il est certain qu'il saura vous (re)conduire direct vers les ouvrages de Giono, car sa force de conviction, celle émanant d'une amoureuse et d'une passionnée qui sait être simple mais poétique, enflammée et littéraire, est hautement communicative. Les dames du Fémina ont décidément très bon goût !
Lien : http://sansconnivence.blogsp..
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