Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire?
Il n`y a pas un livre plus qu`un autre qui m`ait donné envie d`écrire: j`ai commencé tard, sous l`influence d`une amie qui me faisait lire ses textes. (Au bout d`un moment, j`ai eu envie que ça aille dans les deux sens, alors j`ai écrit un poème, qui a été publié dans le journal de mon lycée, et ce fut le déclic!) Par contre, il y a quelques écrivains, comme Musso et Lévy, qui m`ont donné envie d`écrire, tout simplement parce qu`en les lisant, je me suis dit que j`étais capable de faire mieux!
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...)?
Principalement des classiques, comme
Poe, Hugo,
Zola, Dumas, et dans les contemporains, il y a
Pierre Pevel: il raconte les
Histoires que j`aurai rêvé de lire gamine, mais, en beaucoup beaucoup mieux!
Quelle est votre première grande découverte littéraire?
Dumas, et ses Trois Mousquetaires, quand j`avais dix ans, et à peu près en même temps,
Niourk, de
Stefan Wul. le premier livre d` « adultes » que j`ai lu, c`était le Seigneur des Anneaux, grâce à mon père, qui a orienté pas mal de mes lectures et m`a mis le pied à l`étrier de la Littérature. (Mais je n`ai pas aimé du tout ce livre, et je n`ai jamais réussi à lire la suite, même quand je l`ai repris des années plus tard. Je vous en prie, ne me tapez pas dessus!) Je crois que c`est ce qui a fait que j`aime aujourd`hui les romans de Cape et d`épée et la littérature de l`Imaginaire. D`ailleurs, ce que je suis en train d`écrire en ce moment mélange tout ça!
Après, si je ne devais citer qu`un seul livre, que j`ai découvert tard, mais qui a changé ma vie, c`est « Cyrano de Bergerac ». Je préfère ne pas m`étendre dessus, je pourrai vous faire un roman!
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent?
Je déteste relire les livres, parce que j`estime que c`est une perte de temps: je n`ai pas assez d`une vie pour lire tout ce que je voudrai. Alors quand j`en relis un, c`est qu`il est vraiment exceptionnel: j`ai du relire « Cyrano de Bergerac » plus d`une cinquantaine de fois!
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu?
Il y en a trop... J`essaye de me constituer une culture classique mais il y en a forcément qui m`échappent. Je dirais Belle du Seigneur, Guerre et Paix, et
A la recherche du temps perdu pour commencer. (J`ai juste lu
Un amour de Swann et du côté de Guermantes, j`adore
Proust, mais... il faut prendre son temps :) ). Et j`ai honte, parce que je ne lis presque pas d`auteurs contemporains. Il y a déjà beaucoup à faire avec les anciens!
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs?
« L`Élixir d`Oubli » de
Pierre Pevel: c`est la suite des « Enchantements d`Ambremer », mais il est introuvable maintenant. Un vrai petit bijou, le genre d`histoire, comme je l`ai dit plus haut, que j`aurai adoré écrire, et adoré lire gamine.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite?
Voyage au bout de la Nuit, pour tout un tas de raisons, dont une vraiment idiote, c`est que je n`arrive pas à dissocier l`œuvre de la personnalité de l`auteur. Il y a aussi La carte et le territoire, qui ne m`a pas franchement aidé à aimer les auteurs contemporains...
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature?
Est-ce que tout Cyrano, ça compte? Non? Parce que je connais cette pièce tellement par cœur que je la cite même inconsciemment!
Et en ce moment que lisez-vous?
Je lis en même temps le troisième tome des Lames du cardinal de
Pevel (encore lui, oui!) et
La Conquête de Plassans, parce que je suis en train de me faire (voire refaire pour la moitié d`entre eux),
TousLes rougon-macquart dans l`ordre. Je suis une fan inconditionnelle de
Zola!
Porcelaines se déroule dans un cadre très littéraire : le Paris du XIXème siècle. Avez-vous été inspirée par des auteurs ou des œuvres de cette époque ?
Je lis énormément, et en grande majorité, des auteurs du XIXème, et plus particulièrement des français. Gautier, Dumas, Hugo,
Baudelaire,
Poe,
Vigny,
Zola,
Balzac, Verne font partie de ma vie depuis que je suis gosse. Quand j`ai commencé le scénario de
Porcelaines, j`ai écrit sur une feuille
Tous les éléments qui constituaient l`histoire de mes rêves. le XIX ème s`est imposé naturellement, et puis
Paris, ensuite, que j`ai l`impression de connaître comme si j`y avais vécu.
Porcelaines n`est pas une histoire née d`une pièce un beau matin, j`ai mis longtemps à la créer, je voulais qu`elle soit parfaite. Sur ma liste, il y avait entre autres:
Paris au XIX ème
Une histoire d`amour
Un type qui cherche à construire l`automate parfait
Un héros à la « Vincent Price »
On voit ce que ça a donné! L`automate, c`est parce que c`est un thème que j`adore. Les romantiques allemands font aussi partie de mes auteurs favoris. Et Vincent Price, c`est parce que pendant que j`écrivais
Porcelaines, je faisais un mémoire sur les adaptations de
Poe au cinéma (et leur influence sur
Tim Burton): j`ai donc baigné dans l`ambiance des Corman pendant tout ce temps, et je voulais voir cet acteur, que j`adore, dans un de mes mondes. S`il vivait encore aujourd`hui, et si j`avais la chance de voir
Porcelaines porté à l`écran, c`est lui que je voudrais voir incarner Victor (juste avant Johnny Depp ;)). D`ailleurs Vincent/ Victor, ce n`est pas pour rien! Outre les références à Frankenstein et Hugo, ce prénom est aussi un énorme hommage à Price et à Burton.
La construction éclatée du livre est très complexe. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous avez bâti cette structure ?
Je n`arrive pas à écrire de façon linéaire, je ne trouve pas ça intéressant, et je me retrouve toujours bloquée à un moment donné quand j`essaye de faire comme ça. En plus, j`adore le cinéma et je voulais quelque chose qui ressemble plus à un montage (fait de petites scènes qui se connecteraient à la fin comme un film choral à la « Love Actually » par exemple) qu`à un vrai roman. Écrire comme ça m`a permis de passer d`une scène à une autre sans tomber en panne d`inspiration. Quand une scène m`ennuyait, je passais à une autre, et puis j`y revenais. A la fin, j`ai fait un vrai travail de montage en déplaçant des scènes, en en écrivant ou supprimant d`autres, pour que l`histoire soit cohérente. Je me suis aperçue alors que ça donnait encore plus de poids à l`intrigue, et que des connexions se créaient toutes seules: c`était une sensation très agréable!
Porcelaines est un roman historique. Certains décors et situations sont décrits avec précision (la fabrique de poupées, l`Exposition Universelle etc.) Avez-vous mené un travail de documentation préalable ?
Pour tout ce qui touche aux poupées, j`avais ce qu`il fallait à portée de main: ma maman fabrique et restaure des poupées en porcelaine. On trouvait toutes les deux intéressant d`écrire une histoire qui se passerait dans cet univers, ce qui a rarement été fait. Alors la documentation et l`atelier, je les avais sous les yeux! Et puis c`était une façon, en quelque sorte, de rendre hommage à son métier.
Pour le reste, comme je l`ai dit, j`ai tellement lu de romans écrits à cette époque que j`ai parfois l`impression de la connaître mieux que celle dans laquelle je vis. Mes contemporains me sidèrent parfois... Tout m`est venu tout seul, je n`ai eu qu`à vérifier de temps en temps des détails, comme par exemple à quelle date ont été installés les lampadaires électriques dans les rues de
Paris, ce genre de choses!
Porcelaines, c`est aussi l`histoire d`une vengeance, patiente et implacable. Cet aspect du livre le rapproche de la littérature policière. Êtes-vous une lectrice de polars et de thrillers ?
Absolument pas! (A part quelques
Agatha Christie et les enquêtes de Dupin chez
Poe). D`ailleurs, il n`y a pas à proprement parler «d`enquêteur » dans mon roman, et le lecteur sait bien qui est l`auteur des meurtres dès le début. Je ne pense pas que la résolution de l`intrigue soit ce qu`il y a de plus important dans
Porcelaines. Pour moi, c`était l`histoire d`amour, et le caractère du personnage principal.
L`intrigue autour de la vengeance se situerait plus dans mon amour du Comte de Monte-Cristo ou de Sweeney Todd (dont la trame est inspirée) que dans un amour de la littérature policière. Mais je me suis rendue compte de la ressemblance entre ces
Histoires et
Porcelaines que bien après que je l`ai écrit!
Porcelaines est votre premier roman. Maintenant qu`il est publié, avez-vous tiré des leçons pour l`écriture du prochain ? Des erreurs éventuelles à ne pas reproduire ?
J`ai déconcerté pas mal de mes lecteurs avec cette construction, qui les oblige souvent à retourner en arrière vérifier les dates pour comprendre. Celui que j`écris est plus simple à ce niveau-là. J`aime beaucoup l`histoire de
Porcelaines, mais j`avoue que je n`aime plus du tout la forme. J`ai, je l`espère, un style plus fluide et personnel maintenant.
Vous êtes bibliothécaire. Travailler au milieu des livres a-t-il une influence sur votre écriture, ou bien s`agit-il de deux vies totalement séparées ?
Travailler au milieu des livres a forcément une influence sur mon travail d`écrivain. A force d`en avoir entre les mains, je sais ce que j`aime et je n`aime pas, et je change souvent des choses dans mon roman par rapport à ça. Mais c`est surtout au niveau formel, (couvertures, titres, etc...) que je change des détails. Parce que sur le fond,
Tous ces livres me font peur: chaque fois que j`ai une idée que je trouve originale, je me rends compte qu`elle a déjà été traitée. Alors je passe au-dessus, parce que sinon, je n`écrirai plus rien!
Y a-t-il un écrivain, vivant ou disparu, à qui vous auriez aimé faire lire Porcelaines ?
Aucun. J`ai trop honte de ce que j`ai écrit pour oser le faire lire à quelqu`un que j`admire. Peut-être qu`il faudrait le faire lire à un écrivain que je n`aime pas? Ça pourrait être drôle!
Par contre, j`aimerai bien le faire lire à un réalisateur. J`adorerai vraiment qu`il soit porté à l`écran! (Et pourquoi pas
Tim Burton, mais on peut toujours rêver^^)
Un de mes écrivains préférés a
Porcelaines chez lui, mais j`ai une peur atroce de lui demander ce qu`il en a pensé. Je crois que s`il ne m`en parle pas, c`est qu`il a du détester, ou pire, qu`il ne l`a pas lu, et rien que d`y penser, ça me terrifie.
Vous travaillez en ce moment à un nouveau livre, pouvez-vous nous en dire plus ?
C`est un roman pour Bragelonne, un truc complètement foutraque qui rassemble tout ce que j`aime, et que j`espère drôle: l`histoire d`une bibliothécaire dépressive qui se retrouve projetée dans un monde imaginaire, Bordemarge, où il lui arrive en deux jours plus d`aventures que dans toute sa vie. Il m`est beaucoup plus personnel que
Porcelaines, (d`ailleurs il ne lui ressemble pas du tout) et j`ai vraiment hâte qu`on le lise! J`ai quelques amis qui l`ont commencé, (et qui d`ailleurs m`aident beaucoup) et j`essaye d`aller le plus vite possible pour qu`ils aient la fin!
Ce nouveau livre est un roman de fantasy. Écrit-on de la fantasy comme on écrit un roman historique ? En changeant de genre, constatez-vous des changements dans votre écriture ?
Après
Porcelaines, j`ai travaillé sur une trilogie de fantasy pure et dure, assez sombre, avec des personnages un peu dans la lignée de Victor Féridis, que je n`ai pas réussi à terminer. Je n`ai pas lu de fantasy gamine, je m`y suis mise tard et tout ne me plaît pas dans ce genre, alors je crois que ça m`a desservie. Il me semble que pour écrire de la « vraie » Fantasy, il faut avoir baigné dedans toute sa vie, et que ça ne s`improvise pas. Maintenant, Bragelonne m`a donné l`immense chance de pouvoir écrire ce que je veux, et c`est vraiment génial. Après
Porcelaines et cette trilogie qui tient plus d`un cadavre glauque de bébé zombie que d`un roman, j`ai eu envie de changer du tout au tout: je voulais quelque chose d`épique et de léger, d`amusant. Alors j`ai totalement changé de style, j`ai cherché ce que j`avais de plus joyeux en moi, et rien ne peut ressembler moins à
Porcelaines. (Il y a aussi pas mal de morts, cela dit, je ne crois pas qu`une histoire vaille la peine s`il n`y a ni amour ni mort, mais là, ce sont des morts rigolotes de roman d`aventures). Disons que
Porcelaines, c`est mon côté
Edgar Allan Poe, et que mon roman en cours, c`est mon côté Cyrano!
Merci à
Emmanuelle Nuncq pour ses réponses et sa disponibilité!

C’est beau de se battre pour ce témoignage de l’Histoire, plutôt que de le raser.
(p. 12)
L'écran de son ordinateur était devenu noir, et il n'y avait toujours aucun usager. Elle s'étira et fit craquer son dos et ses doigts. Le bruit résonna étrangement fort entre les murs. Elle n'eut pas le temps de s'interroger qu'un corps chuta sur elle et envoya sa figure s'écraser contre les touches de son clavier. Sonnée, la main sur son nez en sang, elle se redressa, des étoiles plein les yeux, pour se retrouver en face d'une ado à l'air revêche, toute couverte de poussière bleue, habillée comme un mousquetaire d'Alexandre Dumas, fourreau au côté, épée à la main et feutre empanaché sur la tête.
"L'aube arrivait sur Rosalie et rendait plus nets encore les contrastes de son visage cadavéreux et gelé. Quand la police arriva, la neige compacte avait fondu dans sa bouche, mais sa mâchoire était restée grande ouverte, comme si un ultime cri, une ultime exclamation étaient resté coincés dans sa gorge. Personne ne comprit jamais rien et ne chercha jamais à comprendre ce qu'il s'était passé. Après tout, ce n'était qu'une prostituée: le dossier fut classé rapidement. Avec son corps sec, son visage comme recouvert du masque de l'effroi le plus absolu et ses mèches courtes hérissées tout autour de la tête, on aurait dit une poupée martyrisée, un pantin désarticulé, un épouvantail effrayé par un trop gros corbeau."
-Extrait-
- Alors? Comment me trouvez-vous? demanda-t-elle à Christian.
Il hésita.
- A côté de vous, avec mon gourdin, je ne vais pas paraître sophistiqué demain.
En réalité, il aurait bien voulu lui dire qu’habillée de la sorte, il la trouvait ravissante, et qu’il lui aurait bien appris ce qui se passait entre le “ils se marièrent” et le “et ils eurent beaucoup d’enfants”, là, tout de suite, près du feu de camp.

Juliet s'approche de moi :
– Qu'aimeriez-vous danser ? me demande-t-elle.
Je cherche une idée dans ce que nous avons répété ces derniers jours, mais une impulsion subite me fait lancer :
– "Mr Beveridge's maggot" !
[...]
– Qu'est-ce que c'est ? me demande-t-elle, très étonnée.
[...] Je lui explique rapidement que c'est sur cette contredanse que les héros de ma série favorite se parlent un peu sérieusement pour la première fois, et comment cette scène est devenue culte pour les futurs fans de Jane Austen. Arthur s'approche de nous, et je lui répète mes explications, m'enflammant au fur et à mesure que j'essaie de leur faire comprendre :
– Mais, ce titre ! Cela n'a-t-il pas de lien avec votre domaine ?
– Pas à ma connaissance, s'interroge Arthur.
Comme lui non plus ne semble pas connaître, je leur fredonne l'air que je connais par cœur. J'ai dû voir cette scène un millier de fois !
– Mais oui, reprend Juliet... Fa, Mi, Fa, Sol, Ré, c'est... dans le recueil de miss Olive Plainsborow !
Amelia nous rejoint et s'amuse :
– Mais c'est un si vieil air ! Nous ne le dansons plus depuis longtemps.
[...]
Ils se concertent tous trois quelques minutes et décident entre autres, au cours de cette conversation à laquelle je ne comprends pas grand-chose, d'un tempo et d'une chorégraphie. [...]
Il ne nous faut que quelques répétitions pour parvenir à connaître la chorégraphie qu'ils ont inventée : avec d'aussi excellents danseurs, il m'est facile d'être douée également ! Mais ce qui est le plus étrange, c'est que ces pas qu'ils viennent juste d'improviser... ressemblent en tous points à ceux que je connais. [...]
Une fois la danse terminée, je me mets à applaudir, mais les autres me regardent bizarrement. Apparemment, cela ne se fait pas ici... Mais Amelia se lève de son clavecin pour applaudir à son tour. L'un après l'autre, les danseurs restants nous imitent !
– Merveilleux ! me complimente la mère des jeunes filles en s'approchant de moi. Était-ce une danse de chez vous ?
– Non, c'est une danse bien d'ici ! Une danse de Beveridge, mais pour laquelle nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord sur le nom.
Et, alors qu'elle n'a pas entendu notre conversation, voilà qu'elle lance :
– Le premier Mister Beveridge aimait, paraît-il, beaucoup danser. Nous pourrions l'appeler "Mr Beveridge's maggot" ?
Voilà que, sans le savoir, j'ai réinventé cette danse, deux cents ans en avance !
Ce qu'il ne savait pas, c'est qu'à Bordemarge, les personnages n'aillaient pas plus loin qu'un baiser, sur lequel était plaqué le mot "FIN"

Christian retrouva sa bonne humeur:
— Et toi les amours, comment ça va ?
Violette leva les yeux au ciel. Christian aimait l’embêter, il savait pertinemment qu’elle détestait cette question, digne de l’interrogatoire d’une mamie gâteuse.
— Oh moi tu sais, j’en suis toujours au même point avec Marius, dit-elle en montrant derrière elle le portrait du premier conservateur des lieux, un vieil homme à l’air peu amène, portant fines moustaches blanches, gilet, lorgnons et montre à gousset. Il n’est pas très causant.
— Si tu enlevais de ta tête ce panneau « Attention Violette méchante, ne pas toucher » peut-être que…
Violette l’interrompit :
— Hé ! Traite-moi de coincée aussi !
— Coincée, non ! Mais par contre… Cynique, désagréable, fausse rebelle, dépressive, fêlée, asociale, sociopathe, anarchiste et provocatrice, ça oui !
Violette lui donna un coup de poing à chaque insulte :
— Mais tu as fini ? (Elle se rembrunit.) Et je ne suis pas dépressive.
Christian leva un sourcil sceptique.
— Autant que moi je suis diplômé en physique nucléaire.
C’était une blague entre eux : Christian était effectivement diplômé en physique nucléaire, et il n’avait jamais voulu dire comment il en était arrivé ici, en secteur jeunesse, à faire des animations déguisé en pirate pour les gamins de trois ans.
— Au fait, qu’est-ce qu’il devient, reprit-il, le pauvre type qui t’a laissé le cœur en miettes ?
— Ben, hésita Violette, il empoisonne les limbes de ce qui reste de mon pauvre cerveau fêlé ? Il souffre atrocement dans la prison de souvenirs et de remords que j’ai construite pour lui ?
Christian éclata de rire, et chuchota en voyant les deux usagers se tourner vers eux, visiblement revenus à la vie grâce à son rire communicatif :
— Toujours le sens de la formule, toi. Tu n’aurais pas été poète maudit par hasard dans une autre vie? Que de points communs avec ce cher vieux Marius, décidément…
— Quand tu auras fini de dire des idioties, tu pourrais peut-être me laisser bosser ?
— Bosser, merde, quel grand mot !
Et dans une révérence, il quitta les lieux avec son sac plastique, ses « merde » intempestifs, sa bonne humeur et sa chemise rose jetée sur l’épaule comme une cape de César.
Seulement, un des espagnols aperçut Violette, et avança vers elle avec un sourire mauvais. Elle ne savait pas se battre, et elle n'avait rien sous la main : il allait l'embrocher sans qu'elle puisse se défendre ! Au moment où il s'approcha d'elle, la garde baissée parce qu'il savait qu'elle ne pouvait rien contre lui, elle se rappela soudain une technique de défense que sa mère lui avait répétée cent fois: « coup de genou dans les roubignolles, il se plie en deux, et coup de poing en marteau sur la nuque! » Ce qu'elle fit. L'espagnol poussa un hurlement et s'effondra par terre. Khaltourine, voyant cette attaque peu orthodoxe qu'il n'avait jamais apprise, éclata de rire. Violette pensa un instant que s’il fallait lui trouver une place dans cette histoire, pour cette scène-là, elle était l'élément comique.
J’ai passé une semaine auprès des Wallingford, partageant mon temps entre les « cours » que m’ont donnés Amelia ou Juliet, parfois Arthur, et la « pratique », lors des soirées où j’ai dû appliquer auprès d’Helena et Penelope ce que j’ai appris dans la journée. J’ai l’impression d’être dans une colonie de vacances ou un stage Erasmus dont le thème serait « La vie en 1804 : dans les pas de Jane Austen ».
Désolé? A cause de vous je serai morte dans trois heures et tout ce que vous trouvez à me dire c’est: “je suis désolé”? Je t’en foutrai moi du “je suis désolé”! Vous n’avez même pas levé le petit doigt pour moi, vous vous êtes contenté de me livrer à Silas alors que vous savez que je ne ferais même pas de mal à une mouche, vous avez récupéré votre gros sac d’or en vous servant de moi comme d’un bout de viande, vous avez laissé les gardes me brutaliser et me jeter en prison. Et maintenant vous avez le culot monstre de venir jusqu’ici me narguer et me suis “je suis désolé”?