Je ne sais plus ce que je veux, ni ce que je ne veux pas. Je ne sais plus ce que j'aime, ni ce que je n'aime pas. À force de me gommer pour plaire à Colin, c'est comme si j'avais totalement disparu. Je me suis fondue en lui. Toute seule, je n'existe plus. C'est pour ça qu'il m'est désormais impossible de le quitter. Il est le seul bout de moi qui respire encore. Si je le quitte, je meurs.
Une part de moi est terrifiée à l’idée de devenir adulte sans quelqu’un qui m’aime et que j’aime en retour.
Tu peux porter un enfant, tu peux l’aimer comme tu n’as jamais aimé personne, et la vie peut te l’enlever. Du jour au lendemain. Sans raison. Sans que tu ne puisses rien y faire. Je refuse de vivre avec cette idée. Si j’avais un enfant, je vivrais dans la peur permanente. Et je ne veux pas vivre comme ça.
– Des enfants ? a demandé Gilbert. Pour quoi faire ?
J’aime bien Gilbert. Il fait tout le temps la tête et il gueule sur les aides-soignantes, ça met un peu d’ambiance.
– Mais enfin, Gilbert, a répondu la directrice. Pour l’expérience ! Les enfants ont beaucoup à apprendre de vous, vous savez, ils n’ont pas l’habitude de côtoyer des personnes aussi… enfin, je veux dire…
– Aussi âgées ? a proposé Paulette.
– Tout à fait. Et ça va faire du bien, un peu de jeunesse à Douce Vie !
Ensuite, Mme Nuage, qui semblait flotter comme dans un rêve, nous a expliqué qu’une classe de l’école d’à côté nous rendrait donc visite plusieurs fois par semaine pour faire des « activités intergénérationnelles » (traduction : vieux et morveux mélangés).
À force de me gommer pour plaire à Colin, c'est comme si j'avais totalement disparu.
Ma relation avec Colin m'a largement laissé le temps d'apprendre qu'il existe d'autres violences que celle qui consiste à recevoir un poing en pleine figure.
Il y a des photos de lui dans chaque pièce de l'appartement. Ma mère fait tous les plateaux télé pour parler de lui, encore et encore. S'emballe à chaque lettre anonyme qui lui annonce avoir vu Jonas dans un bus, une station-service ou au McDo quelconque. Mon père reste en retrait. Il sait que c'est du vent.
Jonas est partout, parce qu'il n'est nulle part.
Le pire truc quand tu grandis, c'est de t'apercevoir petit à petit de toute la laideur autour de toi.
C'est comme ces jeux à gratter que tu achètes au bureau de tabac. Ils sont recouverts d'un film argenté brillant et opaque que tu racles petit à petit avec une pièce de monnaie. Quand t'es petit, t'as encore rien gratté, alors tu crois que tout est normal, que tout est beau et pour le mieux. Mais plus t'avances dans la vie, plus tu vois ce qu'il y a sous la surface et plus t'es déçu (Qui a déjà vu quelqu'un gagner gros à ces jeux-là, sérieusement?).
J'aimerais n'avoir jamais gratté et avoir neuf ans à nouveau.
C'est l'histoire de deux mains qui se séparent. Est-ce Zack qui a lâché la main de Jonas le premier ou est-ce Jonas qui a lâché la sienne ?
Est-ce que l'amour calme est vraiment fait pour moi? Est-ce que les montagnes russes, ce n'est pas ça, finalement, le vrai amour?