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Critiques de Enzo Traverso (15)
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Où sont passés les intellectuels ?

La pensée critique doit savoir nager à contre courant



Outre la préface de Régis Meyran, le livre est composé de trois parties :



De la naissance à l’éclipse des intellectuels



L’essor des néoconservateurs



Quelles alternatives pour demain ?



Malgré le faible nombre de pages, Enzo Traverso soulève et analyse de nombreuses questions. Je n’en évoque que certaines dans cette note.



Dans la première partie, Enzo Traverso traite les sens donnés à « intellectuel », le passage de l’adjectif au nom, au substantif, les différences entre les philosophes de cour, de l’époque des Lumières et la figure de l’intellectuel « moderne » avec l’affaire Dreyfus « L’intellectuel questionne le pouvoir, conteste le discours dominant, provoque la discorde, introduit un point de vue critique ». L’auteur souligne le rôle de la presse, de l’essor de l’industrie culturelle , dans la construction d’un espace public de confrontations. Il souligne les contradictions de la modernité naissante, la place des imaginaires nationaux.



L’auteur compare aussi la situation en France, au début de XXe siècle (absence de clivage entre le savant et l’intellectuel) et en Allemagne (savant incorporé à l’appareil d’État) tout en ajoutant que dans les deux pays, les nationalistes définissent l’intellectuel « comme un journaliste ou un écrivain cosmopolite, déraciné, souvent juif, incarnant une modernité haïe. L’intellectuel est presque toujours un outsider ». Il souligne aussi les « passerelles », les passages, entre le « conservatisme » et le « progrès » (par ex : Thomas Mann).



Si nombre d’intellectuels de « gauche », engagés, sont connus, il ne faudrait pas oublier ni ceux de « droite », ni la polarisation entre révolutionnaires « communistes » (voir remarques en fin de cette note) et fascistes, ni la haine des intellectuels sous les fascismes et plus généralement sous les dictatures.



Particulièrement intéressantes sont les présentations sur « la puissante vague de chauvinisme » (1914), la « grande vague pacifiste » (années 20), l’antifascisme comme ethos, le trouble limité lors du pacte germano-soviétique, la nécessaire historicisation de l’antifascisme, sans oublier des remarques sur l’ignominie de certains actes de « compagnons de route » des partis communistes (« Le stalinisme a exercé une contrainte lourde sur la pensée des intellectuels »). Certains intellectuels, mais peu nombreux, furent à la fois antifascistes et antistaliniens.



Ne communiant pas avec les regards peu critiques actuels sur Jean Paul Sartre ou les polémiques contre Albert Camus, je partage l’avis de l’auteur sur la nécessité de les descendre de leur piédestal et « les soumettre à une véritable historicisation critique ».



Aujourd’hui « le langage de l’entreprise se généralise à l’ensemble de la société et ceux qui l’utilisent pensent que la modernité consiste à remplacer les intellectuels par des gestionnaires », l’expertise se substitue à la critique, le concret immédiat utilitaire à la recherche et à la compréhension. De plus, dans un cadre d’une massification d’accès à l’université et plus globalement aux savoirs, se développe une forte spécialisation, une division accentuée des matières et des connaissances, ce qui ne manquera de provoquer des tensions et de nouvelles aspirations.



Entre « défaite historique » et tournant politico-économique libéral, la scène médiatique est aujourd’hui dominée par les néoconservateurs.



Enzo Traverso part d’un fait important, « l’intellectuel est devenu un travailleur comme un autre », souvent très précarisé. Ilest aussi plus directement « soumis aux tensions et aux conflits sociaux » (voir grève de 2009 contre la réforme de l’université). L’auteur insiste sur la réification de la culture, la puissance des médias., la culture de l’image, les groupes monopolistes dans l’édition et leurs critères de profitabilité et de retour sur investissements, le livre comme marchandise et produit de marketing.



Une place centrale est donnée à « la chute du Mur » qui « achève la parabole ». C’est maintenant la « fin de l’histoire », la « fin des idéologies », le marché présenté comme seule possibilité, comme seul présent, futur et… passé.



Si les pages sur cette défaite décrivent bien les évolutions, je suis plus dubitatif sur l’articulation des arguments (j’y reviendrais en fin de note).



La « fin de l’histoire » se conjugue à la remise en cause des utopies comme « mesure prophylactique ». Mais comme le souligne l’auteur « Le vieux paradis est devenu l’enfer, mais le monde reste divisé entre le paradis et l’enfer ».



Les intellectuels dissous, invisibles, les « intellectuels médiatiques » peuvent parader. Ils ne sont ni experts, ni intellectuels spécifiques et très rarement critiques (ils contribuent le plus souvent à légitimer le pouvoir). Ils paraissent, en jouant des cordes humanitaires, un humanitarisme contre l’engagement qui ne pourrait déboucher que sur le totalitarisme.



Parmi d’autres points abordés, je souligne la critique du « culte mystique » autour de la destruction des juifs et des juives d’Europe, dont la matérialité disparaît, à mes yeux, dans le nom Shoah, la multiplication des lois mémorielles et certains déroulements de procès qui « ont contribué à créer l’illusion néfaste selon laquelle, au-delà de l’administration de la justice, le droit pourrait écrire l’histoire, en fixant, par un verdict, sa vérité ».



L’auteur termine sur des réflexions autour de Michel Foucault, comme intellectuel spécifique, la discipline des vies, le contrôle des corps (le biopouvoir), le déchaînement du pouvoir souverain au cours du XXe siècle et la place de la « critique postcoloniale ». Il souligne que « L’histoire n’appartient pas à ceux qui exercent le métier de l’écrire… ».



Sans oublier les mutations technologiques (micro-informatique, internet) et les accélérations permises dans les recherches, il souligne que la pensée ne surgit pas de l’instant mais de la réflexion, de l’échange, du lien social (et non de l’individualisation, à ne pas confondre avec l’autonomisation des individus ou de l’atomisation de la société).



Et si « la rupture entre intellectuels critiques et mouvements sociaux reste considérable » (voir sur ce sujet le livre de Razmig Keucheyan : Hémisphère Gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Editions Zones ), s’il convient de combattre la dominante neutralité analytique (« Or, cette apparence de neutralité analytique, purement technique et calculatrice, vise en réalité à neutraliser la réflexion critique et à naturaliserl’ordre politique », les mobilisations des révolutions arabes ou autour des biens communs ré-ouvrent la porte des utopies.



D’une certaine manière, « le silence des intellectuels est le miroir d’une défaite historique », mais cette défaite ne saurait être réduite à la transformation d’une révolution en dictature avec ses cortèges de crimes et d’ignominies (là-bas et ici, dans les soutiens et dans de multiples activités sociales, politiques). Cette défaite doit être aussi analysée, et sur ce point je suis étonné des silences de l’auteur, comme la non-capacité à créer, autour d’une utopie, du principe espérance, une hégémonie sociale inclusive (majorité des dominé-e-s). Le peu de prise en compte des divisions profondes entre salarié-e-s, des avantages relatifs que certain-ne-s en tiraient, des effets matériels de ces asymétries se traduisant en terme de domination (hommes/femmes, « nation » colonisatrice / peuples colonisés, États impérialistes ou dominants / États dominés, etc.), la négation du caractère très relatif de « nos » orientations « universelles », ont participé de la division objective des dominé-e-s. La faiblesse de l’appropriation critique des apports du/des marxismes, l’hypertrophie du rôle des partis (souvent réduit à un), la simplification des hypothèses stratégiques, la sous-estimation des débats autour de la « démocratie radicale » à inventer ou de l’auto-organisation indispensable des dominé-e-s ont concouru à cette défaite.



La référence au communisme ne saurait être détachée, à partir d’une certaine période, au stalinisme réellement existant, même si ce recouvrement n’est pas sans contradictions. Au delà des justes remarques de l’auteur, ce passé continue de peser, faute de bilan critique radical, et élargi à l’ensemble des politiques du PCF sur près d’un siècle (les courants révolutionnaires anti-staliniens n’étant pas à exempter de cette relecture critique).



La majorité des dirigeants staliniens, comme ils se désignaient eux-mêmes, se sont dressés systématiquement contre les luttes et les processus révolutionnaires qu’ils jugeaient contraires aux intérêts de l’Urss ou de la « nation » (la grève est l’arme des trust de Maurice Thorez, le vote des pleins pouvoirs lors de la guerre d’Algérie, pour ne citer que deux exemples). Si certains n’ont pas accepté, beaucoup d’intellectuels de renom n’ont rien dit, ont approuvé, justifiant la politique de leur parti sur ces sujets ou, plus tard lors des répressions des soulèvements populaires en Hongrie, en Pologne, sans oublier pour certains, le soutien à la révolution culturelle maoïste, ou aux délires albanais. Sans oublier les silences lors des massacres dans les colonies au sortir de la seconde guerre mondiale, les premières positions contre la contraception et l’avortement, etc.



Les intellectuels critiques sont restés silencieux ou devenus louangeurs d’un certain nombre d’ignominies, pour utiliser un mot de l’auteur. Et cela aussi a concouru à la défaite.



J’ajoute que je trouve étrange qu’un chercheur, clairement positionné du coté de l’émancipation, n’interroge pas le genre des intellectuels et oublie les intellectuelles. L’apport depuis près d’un demi-siècle, des féministes radicales, invisibilisé par les universitaires hommes, est de très grande qualité. Il en est de même d’un certain nombre de penseurs de la « périphérie ».



Au delà de ces remarques critiques, en marge de l’ouvrage, ce petit livre est extrêmement enrichissant et stimulant.




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La violence nazie : Essai de généalogie histo..

On a longtemps considéré le nazisme comme une parenthèse tragique de l’histoire de l’Occident. Pour le sens commun, le nazisme semble avoir surgi de nulle part. Enzo Traverso démontre qu’il n’en est rien et que la violence nazie n’est pas le fruit du hasard : elle s’inscrit dans un contexte civilisationnel précis.



Auschwitz suppose ce que les sociologues Max Weber et Norbert Elias appelaient le « processus de civilisation ». Chez ces auteurs, cette expression désigne plusieurs phénomènes propres à la modernité : le monopole étatique de la violence, l’administration bureaucratique et la division du travail notamment. Dans son analyse de l’État moderne, Weber soutenait que ces éléments conduisent à une déresponsabilisation totale des individus. Un bureaucrate n’a pas à s’interroger sur la finalité ou la moralité de ses actes. Tout ce qu’on lui demande, c’est qu’il sache exécuter la tâche qui lui est demandée convenablement, indépendamment de son contenu. On ne comprend rien à Auschwitz si l’on fait abstraction de ces données. L’extermination des Juifs est une entreprise menée par un État, ce qui suppose une monopolisation de la violence par lui. La planification du génocide implique l’existence d’une administration puissante et efficace. Par ailleurs, comme le dit Arendt, Auschwitz fonctionne comme une usine moderne, dont la spécificité est de produire des cadavres. Cela suppose une division du travail parfaitement maîtrisée. Auschwitz n’est donc pas une rechute dans une barbarie pré-moderne. C’est la preuve des conséquences possibles de la modernité.





Après la Seconde Guerre mondiale s’était développée une historiographie très importante sur le nazisme et le fascisme, qui, tout au moins pendant les années 1960, 1970 et une partie des années 1980, essayait de ramener le nazisme et le fascisme à leurs racines européennes. Mais depuis une Vingtaine d’années On peut constater la tendance de plus en plus forte à « expulser » (en quelque sorte) le nazisme de la trajectoire du monde occidental et de l’Europe moderne en particulier. Ainsi Ernst Nolte, dans plusieurs de ses écrits défend la thèse selon laquelle le nazisme s’expliquerait exclusivement comme réaction au bolchevisme, à la Révolution russe, et ne serait donc qu’un phénomène engendré par le communisme. François Furet, peu avant sa mort, avait, lui, publié Le passé d’une illusion, où il proposait une nouvelle interprétation selon laquelle le fascisme et le nazisme d’une part, et le communisme de l’autre ne seraient que deux phénomènes parallèles, des réactions à l’Occident libéral, certes opposées l’une à l’autre mais qui s’alimenteraient réciproquement. D’autres interprétations encore, comme par exemple celle de Goldhagen qui fit beaucoup de bruit, réduisent le nazisme à une sorte de pathologie allemande.

Si ces explications peuvent sembler différentes les unes des autres, voire contradictoires, elles partagent au moins une vision du nazisme commune comme accident de l’histoire de l’Occident et de l’Europe ; une l’Histoire qui aurait repris son chemin sur des rails normaux et qui nous garantirait que vivons désormais dans le meilleur des mondes.



Enzo Traverso s’inscrit en faux !

Pour comprendre l’apparition du système concentrationnaire au cours du XXe siècle, grosso modo après la Première Guerre mondiale, il faut essayer d’en faire l’anatomie, d’en étudier les structures, pour comprendre l’émergence du phénomène concentrationnaire dont les camps d’extermination ne sont finalement qu’une variante, dotée d’une finalité nouvelle, il faut saisir ses différentes composantes qui apparaissent bien plus tôt, depuis le début du XIXe siècle, car le système concentrationnaire n’est que la fusion, la synthèse de tous ces éléments. Plus précisément, la prison de la révolution industrielle est un dispositif coercitif qui agit aussi bien sur les esprits que sur les corps, et constitue une pièce de ce que l’on pourrait appeler, avec Foucault, un système de domination biopolitique. Le principe de clôture moderne comme lieu d’apprentissage de la discipline, des hiérarchies sociales, mais aussi comme lieu de souffrance, de dégradation et de dépersonnalisation existe tout autant dans les usines et dans les casernes que dans les prisons. C’est la mise en place de ce que Max Weber appellera la rationalité moderne, à la fois administrative et productive. Elle innerve, nous dit Traverso, le système concentrationnaire. Ces éléments, qui naissent avec la révolution industrielle, se développent avec le capitalisme industriel, après la rupture historique majeure qu’est la Première Guerre mondiale, peuvent donner lieu au système concentrationnaire.

Ainsi, le camp d’Auschwitz fonctionne-t-il comme une usine productrice de mort, de cadavres, un camp qui reproduit tous les traits typiques de l’usine moderne avec une division du travail de type tayloriste, avec une administration et une organisation scientifique du travail, avec une fragmentation rationnelle du « processus de production ». Sauf que cette usine ne produit pas des marchandises mais des cadavres. Le nazisme avait intégré dans la conception de ses crimes et dans sa politique des modalités qui sont celles du capitalisme. Cela ne signifit pas que le nazisme est le débouché inévitable du capitalisme, et que le fordisme trouve inéluctablement son expression dans les chambres à gaz ou dans un système d’extermination ; il y a évidemment une différence, puisqu’une usine produit des marchandises qui sont déversées sur le marché pour réaliser des profits, alors qu’à Auschwitz, on ne réalise aucun profit. Bien au contraire, il y a un système de mise à mort et d’extermination qui est tout à fait irrationnel non seulement d’un point de vue social et humain, mais également d’un point de vue économique et militaire pendant la guerre. Il y a là un hiatus entre la rationalité économique du capitalisme et la « rationalité » des procédés d’extermination nazis. Il n’empêche que ce système d’extermination a intégré les mécanismes de l’usine et la rationalité qui est née et qui s’est développée sous le capitalisme.

De ce point de vue, il existe un bien un lien organique, même s’il n’y a pas un rapport de cause à effet ni évidemment un rapport d’identité.



De même Enzo Traverso se livre-t-il à l’analyse des liens qui existent entre le colonialisme classique et les violences nazies, aspect majeur et complètement négligé, voire occulté par l’historiographie contemporaine. La violence nazie qui se déploie pendant la Seconde Guerre mondiale est conçue, surtout à l’Est à partir de 1941(assaut contre l’URSS), comme une guerre de conquête de ce que le nazisme appelle le Lebensraum, l’espace vital - qui se traduit par la destruction de l’Union Soviétique et l’extermination des juifs. Cette extermination est tout à fait indissociable de la soumission à l’état d’esclavage des populations slaves et de toute une série d’élites politiques, économiques, intellectuelles des pays slaves et en particulier de l’URSS. Or cette guerre de conquête et d’extermination n’est que la reproduction, au cœur du XXe siècle – ou si l’on préfère la version moderne, évidemment filtrée et réélaborée à la lumière de la vision du monde nazie – des guerres coloniales du XIXe siècle, menées par l’impérialisme français et britannique, notamment en Afrique, qui étaient autant de guerres de conquête et d’extermination. S’il y a, là aussi, des spécificités à faire valoir, dans la mesure où les moyens déployés ne sont pas les mêmes, et dans la mesure où il ne s’agit plus de s’attaquer à un continent jugé arriéré d’un point de vue technique, économique et militaire, mais à une grande puissance industrielle, militaire et démographique comme l’Union Soviétique, le principe est le même. On a affaire à une guerre dans laquelle le jus in bello (le droit qui fixe les normes à respecter pendant la guerre) n’est plus pris en compte. C’est une guerre où on n’établit plus aucune distinction entre combattants et civils. C’est une guerre d’anéantissement, qui n’est pas menée dans le but d’établir un traité de paix mais pour détruire l’ennemi.



Traverso voit une différence fondamentale entre le communisme soviétique d’un côté, et le nazisme et le fascisme de l’autre, dans la mesure où le communisme s’est installé au pouvoir en Russie après avoir exproprié les anciennes classes dominantes sur la base d’une révolution sociale, alors que le fascisme et le nazisme ne remettent pas en cause le pouvoir des élites traditionnelles. L’Italie fasciste comme l’Allemagne nazie restèrent, elles, des pays capitalistes. Sous Hitler, les grandes entreprises capitalistes allemandes collaborèrent avec le régime nazi jusqu’à la fin, et dans les camps de concentration, il y eut des entreprises allemandes qui exploitèrent la main d’œuvre des déportés. Il y a donc une complicité, voire même une relation organique entre capitalisme et fascisme. Mais cela ne veut pas dire, pour Traverso, qu’Hitler était le simple agent de l’impérialisme allemand ou une marionnette manipulée par le Grand Capital allemand. L’historiographie (et parmi elle, plusieurs marxistes, si l’on pense aux écrits de Léon Trotski et de Daniel Guérin des années 1930, ou aux écrits plus tardifs de certains théoriciens de l’école de Francfort) a souligné les origines plébéiennes des mouvements fascistes et de leurs leaders. Surtout, ce n’est pas le capitalisme qui explique la politique d’extermination nazie, et on ne peut pas essayer d’interpréter les génocides nazis comme les résultats d’une politique qui aurait défendu les intérêts du Grand Capital allemand. A contrario cela ne signifie absolument pas que le nazisme était une forme d’anticapitalisme, mais il n’y a pas de relation de cause à effet, et on ne peut pas expliquer la politique d’extermination par le profit ou les intérêts du capitalisme allemand. Cette thèse, qui était autrefois défendue par l’historiographie officielle de la RDA, a un fondement purement idéologique. Si le nazisme a bien une relation avec le capitalisme, il ne se réduit pas à cela, il a également son autonomie.

En somme, la vision du monde des nazis a une histoire, des racines profondément liées à l’histoire de l’Occident sans découler pour autant de manière automatique des mécanismes de fonctionnement du capitalisme ou des intérêts des classes capitalistes. Le capitalisme s’accommode de tout régime politique et de toute idéologie, pourvue qu’ils ne remettent pas en cause la propriété privée des moyens de production, le marché, la circulation des capitaux, le profit, etc.

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La fin de la modernité juive

Contre les confiscations conservatrices, les mémoires de l’émancipation



Quelques remarques préalables.



Je ne discuterai pas ici de la notion de modernité. Cette notion ne saurait être mécaniquement utilisée hors de son cadre conceptuel historiquement et « géographiquement » limité. Mais nous sommes bien ici en Europe. Ironie de l’histoire, cette modernité européenne construite en partie sur l’esclavage, sur le colonialisme et l’exclusion des femmes correspond bien à cette « modernité juive » présentée dans le livre. L’auteur contourne les constructions genrées en faisant comme si cette modernité concernait de la manière les juifs et les juives.



La seconde remarque concerne deux mots « Holocauste » et « Shoah ». Je préfère les termes plus bruts de « la destruction des juives/juifs d’Europe par l’État nazi », voire celui très « administratif » employé par la bureaucratie nazie de « solution finale ». Ils sont, me semble-t-il, plus proches de la réalité et moins intégrables à cette « religion civile de l’Holocauste » que l’auteur traitera au chapitre 7. Holocauste revêt un sens religieux, c’est un « sacrifice » ; Shoah signifie en hébreu « catastrophe ». L’usage de ces termes renforce le caractère soit-disant indicible de l’événement et souvent le refus qu’en rechercher les causes ou de le comparer (et non à l’assimiler) à d’autres événements meurtriers de masse. L’usage des deux termes n’est donc pas neutre, ce n’est pas une question de sémantique mais bien une question politique.



La troisième remarque est plus interrogative. Peut-on assimiler les populations se nommant juives, au sein du Yiddishland, dans les différents autres pays européens, dans les pays arabes, dans l’empire ottoman ou en Éthiopie, sous une même dénomination à travers l’histoire ? Certes, la religion est la même et la tension du « l’année prochaine à Jérusalem » ne peut être réduite à la seule pensée religieuse, mais cela ne suffit pas à en faire une entité, imaginaire ou non, nommée peuple ou autrement.



La quatrième se relie à la précédente. La notion de « peuple » transcendant l’histoire concrètes de communautés, dont l’unité est plus que discutable, le rattachement d’individu-e-s à une « origine », me semble présenter des risques d’essentialisation.



Quoiqu’il en soit, au delà de ces remarques, il s’agit bien, dans ce livre, de la « modernité juive » en Europe. Et il y avait bien une « question juive » dans cet espace géopolitique. Et, aujourd’hui, comme hier, le monde juif, pour les êtres humains qui s’y rattachent, n’a rien de monolithique. Ce monde était et est hétérogène et complexe.



Dans son introduction, Enzo Traverso, indique, entre autres : « L’antisémitisme a cessé de modeler les cultures nationales, en laissant la place à l’islamophobie, la forme dominante du racisme en ce début du XXIe siècle, ou à une nouvelle judéophobie engendrée par le conflit israélo-palestinien ». Il ajoute que « C’est Israël, en revanche, qui a réinventé la "question juive", à contre courant de l’histoire juive ». Je ne discuterai pas ici de la place d’Israël, du fantasme de l’État des toutes juives et tous les juifs, de l’expulsion, de la colonisation et de la guerre contre les palestinien-ne-s. Il est cependant indéniable que la politique de cet État et le soutien des majorités des « communauté juives » non israéliennes suscitent un rejet violent et légitime qui englobe plus globalement, et non légitimement, toutes les populations « juives » qui y sont assimilées.



L’antisémitisme n’a certes pas disparu, mais dans nombre de pays, les juifs/juives ont été « blanchi-e-s », intégré-e-s aux nations. Dans le cadre de la crise systémique (économique, sociale et environnementale), les remontées nationalitaires et néo-nazies, dans certains pays, pourraient bousculer la distinction nouvelle remplaçant l’ancien stigmate, et, des juives et juifs redevenir des « schwartz » en compagnie des musulman-ne-s, des rroms, etc…



Je parlerai principalement des trois premiers chapitres.



Dans le premier chapitre, l’auteur traite de la modernité, comme étape de l’histoire juive, imbriquée à l’histoire de l’Europe. Il nous rappelle que « Les périodes sont des constructions conceptuelles, des conventions, des repères, plutôt que des blocs temporels homogènes ». Il présente les lois émancipatrices des individus mâles, mais non des « communautés », les impacts sur les populations juives, « les lois émancipatrices ont mis fin à une temporalité du souvenir fixée par la liturgie et plongé les juifs dans une temporalité nouvelle ». Cette émancipation a pour effet l’intégration dans des entités politiques, étatiques ou nationales, dépassant les frontières de la « communauté religieuse bâtie autour de la synagogue ». Reste cependant la marginalité liée à « l’attitude du monde environnement », l’antisémitisme moderne prenant le pas sur la judéophobie religieuse. Je pense que l’auteur sous-estime les conséquences du refus des droits collectifs, de l’absence de reconnaissance de la dimension collective et des injonctions à l’assimilation aux corpus nationaux, chrétien-laics de fait, même si il indique que l’intégration s’est faite « au prix de leurs droits collectifs et communautaires ».



Enzo Traverso ajoute que « la sécularisation et la modernisation ont donné naissance à une nation juive dont les piliers étaient le langue et la culture yiddish ». Il s’agit bien d’une communauté nationale extra-territoriale, avec sa langue, ses réseaux supra-étatiques. Cette communauté jouera un rôle important, « un des vecteurs du processus d’intégration économique du continent », d’autant que les populations juives sont plus que d’autres urbanisées et lettrées.



En présentant les évolutions en Europe, dans chacune de ses parties, pour les populations juives, l’auteur dresse un tableau permettant de saisir des contradictions de la modernité, d’autant qu’il traite parallèlement de la « trajectoire du judaïsme paria ». (Voir sur ce sujet le beau livre d’Eleni Varikas : Les rebuts du monde. Figures de paria. Un ordre d’idées, Stock 2007).

Enzo Traverso nous parle aussi de la mémoire des camps d’extermination, de cette « sorte de religion civile des droits de l’homme », des effets sur l’antisémitisme public. Il met en parallèle la situation en Israël, l’expulsion des palestinien-ne-s, la construction d’un État réservé aux seul-e-s juifs/juives « à mi-chemin entre l’État confessionnel et l’État ethnique », la négation de la diaspora, de l’histoire et des cultures juives.



Il y a un avant et un après Auschwitz en Europe.



J’ai particulièrement apprécié le second chapitre « Cosmopolitisme, mobilité et diaspora », les développements sur les migrations, les écrivains, les villes de la Mitteleuropa, la place de langue et de la culture allemande, les transferts culturels, les shtetalkh, la langue et la culture yiddish, les sentiments d’exclusion ou de non-appartenance, « la transformation de l’universalisme des Lumières en internationalisme socialiste », même s’il ne faut pas négliger les participations pour certain-ne-s aux crimes staliniens, et l’exil aux États-Unis, « havre du cosmopolitisme judéo-allemand ».



Le troisième chapitre est consacré aux « intellectuels entre critique et pouvoir ». L’auteur analyse la notion de « juif-non-juif » (et quelques juive-non-juive »), le dépassement du judaïsme sous les effets combinés de l’implosion du monde juif traditionnel et de l’essor de l’antisémitisme. L’auteur revient sur l’histoire des marranes et de Spinoza, la place de Marcel Proust, Franz Kafka et Robert Musil dans la littérature, celles des intellectuels comme Georg Simmel, Karl Mannheim, Emile Durkheim, Marcel Mauss, Theodor W Adorno, Max Horkheimer, Herbert Marcuse, Albert Eisntein, Hannah Arendt ou Walter Benjamin, etc., « cette extraordinaire explosion de créativité », la place de juifs/juives au sein des mouvements révolutionnaires. S’il traite des « juifs d’État », savants et intellectuels, intégrant et défendant « la religion civile du nationalisme républicain français », il n’oublie pas l’engagement de l’élite juive italienne dans le mouvement fasciste, le nationalisme réactionnaire de juifs allemands comme Ernst Kantorowicz, sans oublier, plus tard dans le siècle, Henri Kissinger comme activiste de l’impérialisme dominant. Enzo Traverso montre comment « l’intelligentsia juive néoconservatrice a transformé l’universalisme en occidentalisme ». Rupture historique, fin d’une relative exception, mutation socio-politique, ancien stigmate converti en signe de distinction, « coexistence entre un ethnocentrisme de type nouveau et un universalisme occidentaliste »… L’auteur en conclut que « dans le monde globalisé, les minorités diasporiques ne rament pas toujours à contre-courant ».



Il indique aussi : « Le monde juif s’est polarisé autour de deux références essentielles : la mémoire de la Shoah et le soutien à Israël ; la nouvelle "religion civile" des droits de l’homme et l’avant-poste de l’occident au sein du monde arabe ». J’ajoute, que certain-ne-s qui hier encore auraient été des « juif/juive-non-juif/juive », les termes ont perdu de leur consistance, de leur réalité, sans oublier le refus de l’assignation ( Voir le dernier ouvrage de Shlomo Sand : Comment j’ai cessé d’être juif, Café Voltaire, Flammarion 2013).

Suivent un beau chapitre sur Hannah Arendt « Entre deux époques : judéité et politique chez Hannah Arendt », des analyses sur les « Métamorphoses : de la judéophobie à l’islamophobie », sur le « Sionisme : retour à l’ethnos », sur la « Mémoire : la religion civile de l’Holocauste ».



Je complète par un extrait sur la politique aujourd’hui : « Le racisme présente deux visages, somme toute complémentaires : d’une part, celui de nouvelles extrêmes droites "républicaines" (protectrice de "droits" délimités sur des bases ethniques, nationales ou religieuses) ; d’autre part, celui des politiques gouvernementales (camps de rétention pour sans-papiers, expulsions planifiées, lois visant à stigmatiser et discriminer des minorités ethniques ou religieuses). Ce nouveau racisme s’accommode de la démocratie représentative, en la remodelant de l’intérieur. C’est donc la démocratie elle-même qu’il faudrait repenser, ainsi que les notions d’égalité des droits et de citoyenneté ».



Au delà des remarques, un livre pour comprendre des évolutions, pour saisir dans l’histoire ce qu’une communauté peut-être et comment elle se transforme. Un peuple, des communautés ne peuvent avoir d’existence trans-historique, sauf dans les imaginaires repliés et rabougris.
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Révolution

Dans un beau « livre-radeau », l’historien Enzo Traverso propose une compréhension critique des révolutions des XIXᵉ et XXᵉ siècles.
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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1914-1945 La guerre civile européenne

Érudit, terriblement érudit... Mais les pauvres gars qui se sont fait trouer le paillasson l'étaient moins. Plus une preuve de virtuosité qu'une vraie réflexion.
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Où sont passés les intellectuels ?

Excellent petit ouvrage qui permet de faire le point sur cette question essentielle de la place des intellectuels dans le débat public au XXème siècle. Enzo Traverso fait partie de ces personnes qui regrettent la figure sartrienne et qui fustigent le rôle des médias et de la télé. Cette posture me déplaît mais force est de constater qu'elle repose sur une réalité, difficile à appréhender; je ne pense pas que Enzo Traverso soit très utile à ce propos.

En risquant de choquer mes amis et collègues intellectuels, je trouve que les positionnements idéologiques de Traverso dans cet ouvrage sont ceux d'un vieil intellectuel trotskyste devenu conservateur, un peu sur le mode "c'était mieux avant!". Mais comme il a une remarquable vision historique (c’est quand même son métier), cohérente, fort bien construite de ce que devrait être un intellectuel, ce parcours dans le XXème siècle est très intéressant.

L'entretien est un remarquable guide dans une liste des références ébouriffante et le survol historique de la question, depuis l'affaire Dreyfus jusqu'aux positions concernant les révolutions arabes. Je trouve même que nous devrions utiliser ce petit livre comme une sorte d'état de l'art de la question et aussi des positions les plus communes parmi les intellectuels de gauche.

Traverso défend cette idée que l'intellectuel serait (devrait être) toujours critique face au pouvoir et en cela se distinguerait de l'expert. Il tourne autour de cette question passionnante de la mutation de la fonction de l'intellectuel sans jamais l'aborder de front car il est dans une posture de défense, en retrait. Le problème de fond me semble être une confusion entre l’engagement qui a servi à définir les intellectuels dans le XXème siècle et le savoir qui n’a pas cette couleur politique (bien au contraire) —voir par exemple la position d’un Bruno Latour comparée à Donna Haraway dans ce domaine que je connais bien des études sur la science, ou encore de la question de l’engagement pour la défense de la vérité chez les lanceurs d’alerte (là aussi une question qui échappe à Enzo Traverso).

Or sur cette antinomie de base, sur cette contradiction fondamentale dirait-on en bon vocabulaire marxiste, l’apport de Traverso est assez faible. Il me semble que sa vision de l’intellectuel, justement très sartrien, est figée dans une posture, celle de l’opposant. Mais elle empêche de voir que l’opposant aujourd’hui peut être un ingénieur système travaillant comme ingénieur système (exemple, la fondation Stallman ou le travail remarquable de Philippe Aigrain), que la contestation du pouvoir ne peut se réduire à la lutte politique dans les partis représentés au Parlement, qu’en dehors de l’Europe les formes que prend la démocratie (fort bien défendue par l’économiste Amartya Sen que détestent les gauchistes de tout poil) ne se réduisent pas à la lutte politique dans les partis dits de gauche (ou d’extrême gauche). L’opposant aujourd’hui est tout autant expert dans le système qu’il critique et autrement plus dérangeant de l’opposant « externe » qui se mêle de tout sartrien.

Et ce n’est pas le seul problème. Il ne peut pas penser le rôle de la technique si ce n'est pour exprimer une technophobie épidermique, pas du tout « de gauche » puisqu’on la retrouve, identique, chez Ellul; il fustige les intellectuels médiatiques dans lesquels il range évidemment Michel Onfray mais ne pense jamais le rapport du public à l'intellectuel et ne sait pas considérer que Onfray, de ce point de vue, est un remarquable exemple d'un puissant mobilisateur bien au-delà de l'idéologie néo-libérale ; il assimile la défense des droits de l'homme à une d'idéologie médiane, minimale, le plus petit dénominateur commun de l’idéologie politique, ce qui l’empêche de penser les mouvements des indignés ou encore les mobilisations se sont effectuées en dehors des idéologies de la guerre (marxisme en tête) ; il a un jugement à l'emporte-pièce de ces mouvements populaire (contre Wall Street ou les indignés) qui seraient "sans histoire" et j’imagine que Naomi Klein doit être pour lui une sorte d’horreur intellectuelle et pourtant elle a certainement fait plus que les intellectuels de la LCR dans les derniers temps pour contester les pouvoirs en place; du coup, il est incapable de penser aussi leurs dérives (Chryssi Avgi —Aube Dorée— en Grèce, ou tous les mouvements néo-conservateurs antiparlementaires) . Il est aussi incapable de penser les révolutions arabes, pour des raisons similaires, ce que nous pourrions lui pardonner mais il est aussi incapable de penser les nouvelles revendications dans les sciences sociales : il se protège en citant timidement un malheureux et assez isolé critique des études post-coloniales mais lui-même se garde bien de dire quoi que se soit sur la succession indienne ou africaine de Edward Saïd, comme Spivak, Bhabba, Mbembe etc…; il exprime une indulgence coupable pour un anti-démocrate comme Badiou qu'il défend avec indulgence alors qu'il s'agit d'un des principaux artisans de l’idéologie anti-démocratique (la confusion savamment entretenue entre lui et ce penseur original qu’est Rancière est assez désagréable); il a une vision assez schématique du rôle des universités, de la connaissance et de l’expertise qu’elle permet d’obtenir; et peut-être qu’au-delà de tout cela il est totalement à côté de la plaque sur cette question majeure de la mondialisation. En limitant sa définition de l’intellectuel il ne voit justement que ce qu’il reproche: la réduction à un microcosme d’écrivains et professeurs, à Londres et à Paris. Finalement ça lui donne une sorte de patine « Vieux monde », l’espace public des cafés viennois de la fin du XIXème qui ont été le paradigme utilisé et défendu par Habermas pour définir la notion d’espace public. En bref, il a une vision euro-centrée (et très Mitteleuropa).

Vous me direz: ça fait beaucoup. Il y en a plus encore ! Mais pourtant je trouve cet ouvrage remarquable justement pour ses faiblesses qui sont à mon avis le pur produit de l’histoire du XXème siècle. Qui s’expliquent par l’holocauste, la lutte de la seconde mondiale, l’anihilation de la pensée par le bulldozer stalinien contre lequel Enzo Traverso a certainement du lutter avec constance, la perte des illusions avec ce que le socialisme a produit comme réalisations aussi bien en Europe de l’Est que à Cuba, au Vietnam ou, pire, au Cambodge. Finalement, il vaut mieux être dans l’opposition quand on est marxiste !

Tout n’est pas négatif et je n’ai pas souligné l’importance qu’il accorde à Foucault, Gérard Noiriel, la succession de Habermas (qu’il mentionne mais ne détaille pas, ce qui est dommage), une connaissance historique remarquable et une certaine clairvoyance : « L’histoire n’appartient pas à ceux qui exercent le métier de l’écrire, elle appartient à tout le monde ».

Un très bon contre-poids aux positions de Traverso serait le premier chapitre de « Les mots et la terre » de Shlomo Sand, qui fait un historique du rôle des intellectuels depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à Salman Rushdie, autrement plus ouverte et militante. Ou encore toutes les chroniques, sans exception aucune, de Tony Judt. A la décharge de Enzo Traverso disons que ce livre est un long entretien avec un Meyran très complaisant et admiratif du maître, et pas un ouvrage critique.


Lien : http://rigas.ouvaton.org/art..
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L'histoire comme champ de bataille

Sans m’y attarder, je voudrais cependant signaler un désaccord, qui ne saurait être que sémantique, avec l’auteur. Je ne crois pas qu’il soit utile/possible d’utiliser les termes Shoah ou Holocauste, sans valider un/des sens, hors des constructions sociales humaines, ou pour le dire autrement, sans introduire des significations religieuses, sans créer des trous noirs dans la recherche historico-politique sur ces violences extrêmes du siècle passé.



« Les débats historiographiques qui font l’objet de ce livre sont analysés dans une double perspective : d’une part, ils sont appréhendés comme une étape de l’historiographie dans son cheminement, en essayant de montrer les éléments de continuité et de rupture qui les caractérisent par rapport à la tradition antérieure ; d’autre part, ils sont inscrits dans les mutations intellectuelle et politiques de ce tournant du siècle. »



La méthode d’appréhension et d’analyse des réalités traitées s’articule autour de quatre règles :



Contextualisation « qui consiste toujours à placer un événement ou une idée dans son époque, dans un cadre social, dans un environnement intellectuel et linguistique, dans un paysage mental qui lui sont propres »,

Historicisme « c’est à dire l’historicité de la réalité qui nous entoure, la nécessité d’aborder les faits et les idées dans une perspective diachronique qui en saisit les transformations dans la durée »,

Comparatisme « Comparer les événements, les époques, les contextes, les idées est une opération indispensable pour essayer de les comprendre »,

Conceptualisation « pour appréhender le réel, il faut le capturer par des concepts – des ”types idéaux”, si l’on veut – sans pour autant cesser d’écrire l’histoire sur un mode narratif ; autrement dit, sans jamais oublier que l’histoire réelle ne coïncide pas avec ses représentations abstraites ».

Une influence « souterraine mais omniprésente », reconnue/revendiquée par l’auteur, flotte, émerge, se manifeste au long du livre, celle de Walter Benjamin. Peut-être est-ce aussi, grâce à cette même influence, que j’ai été si sensible aux belles analyses d’Enzo Traverso.Dans les années de militantisme quotidien, la découverte de Walter Benjamin, de son Ange de l’Histoire fut pour moi un véritable séisme, ouvrant les fenêtres fermées d’un passé révolu sur de possibles chemins non parcourus, sur des croisements inexplorés.

Avant d’en finir avec l’introduction de l’auteur, trois phrases, illustrant particulièrement à mes yeux, un soubassement de ces travaux.



« L’histoire n’a pas un sens qui lui serait propre et qui se dégagerait de lui-même par une reconstruction rigoureuse des faits. »

« Auschwitz nous impose de regarder l’histoire comme un champ de ruines, alors que le Goulag nous interdit toute illusion ou naïveté vis-à-vis des interruptions messianiques du temps historique. »

« Pour ceux qui n’ont pas choisi le désenchantement résigné ou la réconciliation avec l’ordre dominant, la malaise est inévitable. »

Dans les chapitres suivants, Enzo Traverso va croiser des analyses, mettre en relation des auteurs, donner de l’épaisseur à de nombreux débats. Il ne saurait être question de présenter l’ensemble des pistes dans cette note de lecture, juste quelques points, en fonction de ma propre subjectivité.



L’œuvre d’Eric Hobsbawm est abordée, avec un sens critique, trop souvent absent d’autres lectures, et en particulier sur l’« effacement de la singularité des événements » ou sur un certain campisme dans son appréciation du « socialisme réellement existant » et de la personnalité/politique de Staline.



Le second chapitre est consacré aux « Révolutions. 1789 et 1917 après 1989 » et aux thèses de François Furet et Arno J.Mayer. Les travaux de l’ancien stalinien doivent être sérieusement déconstruits, car ils forment un des soubassements des fantaisies explicatives néolibérales. « Furet et ses disciples déshistorisent la Révolution en la transformant en une pièce dans laquelle n’agissent que des concepts, sans épaisseur sociale et en dehors de toutes circonstances extérieures, aboutissant logiquement à une métaphysique de la Terreur. » L’auteur fait une présentation en détail et discute des Furies d’Arno Mayer. Je ne cite que deux passages, pour les débats importants qu’ils impliquent. « La violence de la Terreur monte d’en bas. Les jacobins avaient essayé de l’organiser et de la contenir dans le cadre légal » et « Lorsque Lénine présentait la suspension du droit comme le dépassement de la ‘démocratie bourgeoise’ et que Trotski identifiait la militarisation du travail avec la dictature du prolétariat, la violence avait perdu sont caractère spontané et émancipateur pour se transformer en système de gouvernement justifié au nom de la raison d’État. »



A juste titre, l’auteur met l’accent sur les « étapes, mais aussi sur les ruptures, pendant lesquelles s’opèrent des choix politiques décisif. »



J’ai particulièrement apprécié les chapitres sur les « Fascismes » et le « Nazisme » et les lectures croisées de George L. Mosse, Zeev Sternnhell et Emilio Gentile, puis celles de Martin Broszat et Saul Friedländer, pour leur exhaustivité et une présentation très pédagogique des débats et enjeux. Ainsi à propos de Saul Friedländer « refusant toute construction téléologique du passé, il ne considère pas Auschwitz comme le résultat inéluctable de l’arrivée de Hitler au pouvoir, c’est à dire comme la mise en œuvre d’un plan élaboré depuis longtemps, ni comme le produit involontaire d’une ‘radicalisation cumulative’ mise en œuvre par le nazisme pendant la guerre et devenue incontrôlable après l’échec de l’offensive sur le front oriental. Il y voit plutôt le résultat d’une ‘convergence de facteurs, d’une interaction entre l’intentionnalité et la contingence, entre les causes perceptibles et le hasard’. »



Enzo Traverso présente, ensuite, les questions ouvertes sur « Comparer la Shoah », avec les catégories de génocide, antisémitisme et racisme, massacre coloniaux, épuration ethnique, sérialisation des pratiques de mise à mort, totalitarisme, etc… « Nous pouvons bien qualifier la Shoah de crime ‘unique’ dans l’histoire, mais il ne fait aucun doute qu’elle a eu des ancêtres et sa singularité tenait surtout à la fusion de plusieurs éléments déjà présents, de façon séparée, dans l’histoire de l’Europe et du colonialisme. »



Suit une discussion autour des usages historiques de Michel Foucault et Giorgo Agamben et en particulier sur la notion de « Biopouvoir ».



Puis l’auteur analyse l’apport des intellectuels exilés « Exil et violence. Une herméneutique de la distance » prenant en compte « l’attention chargée d’inquiétude pour le monde qu’ils avaient laissé derrière eux et un présent vécu sous le signe de la privation et de la précarité » et « les blessures qui changeaient l’image de l’homme. » La présentation de la notion de « théorie voyageuse » me semble particulièrement intéressante.



Le dernier chapitre est consacré à « L’Europe et ses mémoires. Résurgences et conflits ». Enzo Traverso traite à la fois de historicisation de la mémoire, de l’éclipse des utopies, de la place des victimes ou des espaces mémoriels. « Cette redéfinition de la mémoire collective comme processus cathartique de victimisation nationale prend des traits apologétiques qui font obstacle à l’élaboration d’un regard critique sur le passé. »



Un livre qui permet donc de relier politique, histoire et mémoire, de saisir les différentes « catastrophes » dans leurs irréductibilités, sans pour autant en faire des points aveugles de la pensée. « Le XXe siècle a été l’âge de la violence, des guerres totales, des fascismes, des totalitarismes et des génocides, mais aussi l’âge des révolutions naufragées et des utopies déchues. Il est peuplé de victimes sans nom et des vaincus des batailles perdues. Le regard rétrospectif de ceux qui se sont frotté à ces combats se charge, inéluctablement, d’un trait mélancolique. »



Nous n’en avons pas fini avec la nécessité de comprendre à la fois ces événements, leurs ancrages et leurs contingences, et à la fois les conditions de l’engagement des un-e-s et des autres dans la construction de ces violences, surtout pour celles et ceux qui se réclamaient ou se réclament de l’émancipation.



Du même auteur, je rappelle A feu et à sang – De la guerre civile européenne 1914-1945
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Le Totalitarisme : Le XXe siècle en débat

Le vingtième siècle fut le siècle des totalitarismes. Qu’est-ce que cela signifie ?



Enzo Traverso rassemble les textes essentiels autour de cette notion afin d’en montrer l’évolution et la complexité.



Au départ, l’idée d’Etat total est perçue de manière positive par les auteurs qui l’inventent, comme Ernst Junger ou Benito Mussolini qui a de la suite dans les idées puisqu'il est le premier à tenter la mise en place d’un Etat totalitaire.



Ensuite, ce sont leurs ennemis qui s’emparent de l’idée, pour dénoncer l’ampleur de l’emprise du nazisme puis du communisme sur les sociétés qu’ils oppressent.



La notion de totalitarisme n’est donc jamais neutre. Elle est une arme des antifascistes pendant la Deuxième Guerre mondiale puis des anticommunistes pendant la Guerre froide : elle leur permet de montrer à quel point leur adversaire est ignoble.



Au delà du combat de coqs, le débat sur la nature du totalitarisme et sur les apports et les limites de la comparaison entre nazisme et stalinisme est sans doute une tentative désespérée – et désespérante – de tenter de comprendre ce qui a pu pousser à la même époque deux idéologies pourtant très différentes à commettre des crimes comparables.



Il n’existe pas d’explication facile à ces faits historiques. Le totalitarisme demeure une approximation mais ce qui est certain, c’est qu’aucune société ni aucun Etat n’est à l’abri d’une renaissance de l’horreur, puisque le totalitarisme est fils – bâtard, certes mais fils quand même – de la démocratie.
Lien : http://www.lie-tes-ratures.c..
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La fin de la modernité juive

Avant la fin de la 2nde Guerre Mondiale, les Juifs d'Europe, en particulier les "Juifs non-juifs" (juifs assimilés trouvant le judaïsme "trop archaïque, étroit", pour répondre à leurs aspirations) étaient à l'avant-garde de la pensée critique en Occident. Critique du capitalisme, de la modernité, du nationalisme, leur regard anti-conformiste avait été forgé par leur condition de paria, d'opprimé. De façon significative, les Juifs les plus conformistes étaient les Juifs français parce qu'ils étaient les plus acceptés au sein de la société, n'étant exclus ni socialement ni politiquement. Les Juifs allemands étaient critiques parce qu'ils étaient intégrés socialement mais exclus politiquement. Les Juifs européens orientaux (europe de l'est) étaient critiques parce qu'ils étaient exclus politiquement et socialement.

Avec la création d' israel , les Juifs ont perdu leur condition de paria. C'est alors que s'est opéré un "tournant conservateur" où le Juif n'est plus devenu l'incarnation de la critique de l'Occident, mais de son défenseur, aidé en cela par la culpabilité européenne qui a cherché à se soulager via la religion de l’Holocauste. Cette modernité juive s'est éteinte et a laissé place à à un "tournant conservateur", mouvement que tout observateur aura pu constater, notamment en France et aux USA où bcp d'intellectuels juifs sont devenus bien installés médiatiquement et porteurs d'une parole conformiste et très peu critique à l'égard de l'ordre dominant, appelant au contraire sans vergogne à renforcer celui-ci. De nombreux exemples sont cités dans le livre.

Cet essai est source de réflexion très enrichissantes: le rapport entre la condition de paria et la critique de l'ordre dominant, critique motivée non par un relativisme et un nihilisme mais plutôt par l'attachement à des idéaux d'émancipation de liberté (qui dans le contexte dont parle le livre, étaient liés à la révolution de la modernité) ; l'utilisation de la mémoire, qui devrait être un outil, un rappel pour nourrir sa pensée critique en faisant des parallèles, et non un instrument pour construire un exceptionnalisme et une sacralisation qui empêche toute réflexion et érige une expérience traumatique comme supérieure aux autres (il faut signaler que quand le livre aborde cette question, on soulève aussi dans la foulée le sujet très très intéressant des liens entre le nazisme et le génocide et le reste de l'histoire, de la culture et des idéologies occidentales, notamment l'impérialisme et le colonialisme).

Un excellent essai qui décrit un mouvement de l'histoire très intéressant et suscite des perspectives de réflexion d’une grande importance et qualité.

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Mélancolie de gauche

La gauche regardait vers l'avenir, vers les lendemains qui chantent, vers le grand soir. Mais aujourd'hui, la gauche est vaincue, elle se rend compte que son histoire fut une succession de défaites, que ses luttes furent toutes perdues. Enzo Traverso esquisse quelques figures de cette gauche – la vraie gauche, celle qui n'a pas transigé – quand elle se rend compte qu'il ne reste d'elle plus que son ombre. Il évoque le choc de 1989, les statues de Lénine dévissées, les communistes perdus dans l'océan de la mondialisation libérale, les espoirs fous douchés, les lieux de mémoires d'une lutte écrasée sous les trahisons. La mélancolie, c'est toucher le fond pour mieux rebondir, pour mieux se révolter, pour mieux rendre possible la prochaine révolution. La gauche n'est pas morte, elle panse ses blessures et pense déjà au prochain combat.
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La fin de la modernité juive

Militante et discutable, cette thèse ne risque-t-elle pas surtout d'essentialiser le Juif, d'en faire un éternel paria ?
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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1914-1945 La guerre civile européenne

Le livre d’Enzo Traverso analyse l’Europe dans la première moitié du XXème siècle, époque de guerres, destructions, révolutions. L’auteur utilise la notion de « guerre civile européenne » pour rendre compte de la combinaison de guerre totale, sans lois ni limites, de guerres civiles locales et de génocides.



Cette approche, globalisante, enrichit incontestablement la recherche et la compréhension de notre histoire. « ces actes horribles, que rien au monde ne pourrait justifier, demandent une explication ».



Ma présentation subjective de ce livre, très riche, n’est qu’un parcours possible, qu’une lecture partielle. Penser la complexité pour rendre possible le dépassement radical de notre société. Essayer de saisir les totalités pour élaborer des chemins de traverse pour une réelle émancipation tant collective et qu’individuelle. Juste des images, des réflexions et des citations.



Deux parties « Passages à l’acte » et « Cultures de guerre » délimitent les champs d’appréhension de la réalité de cette moitié de siècle.



Passages à l’acte



Alors que le sentiment existait en Europe, hors Russie, d’appartenir à une même civilisation et de partager les mêmes valeurs, dans l’espace extra-européen, conçu comme espace ouvert à la colonisation, la violence pouvait se déployer sans limite et sans règle. Le déchaînement de la violence dans la première guerre mondiale ne vient donc pas du néant.



Bornes des temps, deux guerres mondiales. L’extension des méthodes et des pratiques de la guerre de tranchée se sont transférés au sein de la société civile en « brutalisant le langage et les formes du combat ». La seconde guerre mondiale combine guerre d’autodéfense et de libération nationale contre la domination allemande, la résistance prenant aussi les traits d’une guerre civile.



Destruction des juifs européens (l’auteur utilise le terme Shoah) : « Autant il serait faux de vouloir nier sa singularité, en la diluant dans l’ensemble des violences de la guerre, autant il serait absurde de l’isoler du contexte global, qui fut son terreau et son détonateur. »



Anatomie de la guerre civile : « La guerre, transformée en conflit entre peuples, nations et civilisations, revêtait désormais toutes les significations possibles, sauf celle d’un affrontement entre combattants respectueux les uns des autres. »



Dimension anthropologique de la guerre civile « Elle ne révèle pas la nature profonde des hommes, mais indique avec une éclatante évidence ce dont les hommes sont capables dans des situations extrêmes. »



Civilisation : « Civilisation et barbarie ne sont pas des termes antinomiques mais deux aspects indissociables d’un même processus historique porteur d’instances émancipatrices et, en même temps, de tendances destructives. »



Règles : « Le rejet des règles traditionnelles de la guerre étant consubstantiel à la guerre nazie, pensée comme une guerre idéologique et raciale et mise en œuvre comme une guerre coloniale, cela introduit des mutations dans la conduite du conflit qui affectent tous les acteurs. »



Les autres et leurs crimes : « Les violences et les excès perpétrés par l’armée rouge, souvent susceptibles, à l’instar de la guerre aérienne britannique ou de la guerre américaine contre le Japon, de rentrer dans la catégorie des crimes de guerre, témoignent de la cruauté de la deuxième guerre mondiale. »



Turquie et arméniens : « C’est le premier génocide perpétré au nom du nationalisme moderne, acte de naissance d’un État-nation de type occidental à la place de l’ancien empire multinational. »



Droit : « Loin de s’imposer au-dessus des parties en cause, le droit agit dans ces circonstances comme un instrument aux mains des vainqueurs », l’occupation de la Pologne, de la Finlande et des Pays Baltes par l’URSS ne fut pas évoquée à Nuremberg, ni les autres crimes de guerre soviétiques (massacre de Katyn, viols, etc ;)



Nuremberg : « servit autant à satisfaire une demande généralisée de justice qu’à légitimer, voire à sacraliser, le statut des vainqueurs en tant que nouveaux maîtres du continent. » et « Le verdict établissait et punissait des responsabilités individuelles.»



L’auteur conclut la première partie de son livre par un chapitre sur l’amnistie. « L’amnistie peut se révéler très efficace dans l’immédiat en tant que politique de réconciliation, mais elle anesthésie la mémoire en créant les conditions de son resurgissement postérieur, avec l’expression d’une souffrance longuement étouffée et d’une justice inaccomplie.» A l’inverse « les vertus d’une amnistie non amnésique, d’une réconciliation soucieuse d’un travail de vérité et d’administration de la justice, ont été expérimentées en Afrique du Sud, dans les années 1990. »



Cultures de guerre



Futurisme : « Au fond le futurisme anticipe l’esthétisation de la politique qui caractérise le fascisme et une bonne partie de la culture européenne entre les guerres. »



Tuer : « l’acte de tuer se transforme en opération mécanique et où la mort prend le caractère d’une expérience collective, anonyme, sans qualité. »



Désenchantement : « Avec ses dispositifs impersonnels d’extermination technologique, la deuxième guerre mondiale parachève le désenchantement de la mort. »



Trauma : « Les tranchées et le champ de bataille furent le lot d’une génération, mais cette expérience traumatique, n’étant pas transmissible, ne pouvait être intégrée dans un continuum historique nouant le fil des générations et consolidant le sentiment d’une culture héritée. »



Féminin : « Maternel et procréateur, le corps féminin devient le symbole tantôt de la nation, tantôt de la victime. »



Tonte : « De sanctuaire profané, son corps se mue en source de péché et en honte nationale dont la punition passe inévitablement par la stigmatisation morale et par l’humiliation physique : la tonte comme spectacle populaire. »



Leur morale et la notre : « La méditation de Serge, mélancolique et lumineuse, chargée du poids de la défaite, était inspirée par l’expérience de la révolution, de la guerre civile et du goulag. Trotski, de son coté, y percevait les vestiges d’un humanisme tombé dans les tranchées de la Grande Guerre et enterré par un nouvel âge de tensions et de conflits. »



Lumières et anti-lumières : « La guerre civile européenne passe par la militarisation de la politique et produit une métamorphose profonde dans le monde de la culture : le passage du clerc au combattant. »



Antifascistes anti-staliniens : « Rares étaient les antifascistes à comprendre que le combat antifasciste lui-même risquait d’être disqualifié si l’on acceptait le despotisme soviétique, les procès, les exécutions sommaires, les déportations, les camps – sans parler de la collectivisation forcée… »



Comprendre : « Si le nazisme a essayé d’effacer l’héritage des Lumières, il doit aussi être compris dialectiquement comme un produit de la civilisation elle-même, avec sa rationalité technique et instrumentale désormais affranchie d’une visée émancipatrice et réduite à un projet de domination. »



Honte : « Devant le spectacle d’une civilisation qui a transformé la technique moderne en une gigantesque force destructive, le seul sentiment possible est la honte. »



Le monde n’est pas composé de bons et de mauvais, les justes combats furent entachés de crimes. Il nous faudra encore et toujours reprendre les analyses sur les principales périodes étudiées par l’auteur (l’URSS de 1917-1923, l’Espagne de 1936-1939, la Résistance de 1939-1945). Sans compter que nous n’en avons toujours pas fini avec les débats sur les réalités du fascisme, du stalinisme, du nationalisme. Saisir l’histoire dans toutes les dimensions reste un travail préalable, jamais terminé, pour essayer de comprendre.



Le livre d’Enzo Traverso, riche synthèse en ce début de nouveau siècle, trace des visions multiformes propres à éclairer nos réflexions vers l’avant. L’intransigeance envers les totalitarismes passe aussi par la réhabilitation des victimes, de toutes les victimes, par la critique des armes, des fins et des moyens…



« Si changer le monde demeure une nécessité – avant d’être un projet -, les voies pour y parvenir doivent être radicalement repensées. »
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Mélancolie de gauche

Enzo Traverso étudie ce qu’il tient pour une « tradition cachée » de la pensée de gauche : la mélancolie, dont le désenchantement provoqué par l’effondrement de l’URSS est la dernière figure. Panthéon des vaincus, leçon des défaites ou réflexivité salvatrice ?
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La fin de la modernité juive

Un essai qui analyse les transformations intellectuelles du peuple juif comme reflets de l'histoire contemporaine.
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Où sont passés les intellectuels ?

Un livre d'entretien stimulant sur l'histoire et l'actualité du rôle social et politique des intellectuels dans l'espace public.


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