Mon grand-père, Paul Ricard, entrepreneur et créateur, était un navigateur et dessinait des bateaux...
C'est après avoir regardé le journal de France 3 et entendu parler Eric Tabarly qui ne trouvait pas de sponsor français pour construire son trimaran à hydrofoils que mon grand-père a décidé de l'aider. Un ambitieux défi était lancé : construire le trimaran totalement innovant pour Eric Tabarly, et à temps pour le départ de la Transat en double. Le Paul Ricard est une véritable réussite. Il devient d'ailleurs le premier de notre époque à figurer parmi les bateaux des XVIIe et XVIIIe siècles au musée national de la Marine à Paris.
J'ai un dernier regard pour la coque, carcasse dépecée, dénaturée. C'est triste, étrange, silencieux, mortifère. Je me remémore le trimaran dans toute sa puissance, son sillage, sa toile, son effervescence, son mouvement. De tout cela, il ne reste rien. Le pont est vide, sale. La peinture est fanée. Une trace subsiste à l'emplacement des winchs, des rails, mais pas de gréement ni d'accastillage. De ce dépeçage aux relents de cannibalisme, je suis responsable en partie. C'est la fin d'une aventure.
Ce 1er août 1980, à six heures cinquante-sept minutes et trente secondes, le trimaran Paul Ricard efface des tablettes le vieux record de Charlie Barr.
Ce n'est qu'après le départ de la Transat en double qu'Eric Tabarly découvre les possibilités de son nouveau bateau. Le jour du départ, le vent est assez fort et de face. Tout le monde imagine que, dans ces conditions, un grand monocoque devancera sans problème le trimaran Paul Ricard. Pourtant, Eric Tabarly réussit à rattraper Kriter V, le monocoque de Michel Malinovski et de Pierre Lenormand.
Un voilier, c'est comme une personne: de la première rencontre, du premier regard se dégage une impression, comme une certitude qui s'ancre, perdure et conditionne l'après. Quelque chose dans la silhouette, dans l'attitude, reflète sa personnalité et son âme.
Un voilier, c'est comme une personne: de la première rencontre, du premier regard se dégage une impression, comme une certitude qui s'ancre, perdure et conditionne l'après. Quelque chose dans la silhouette, dans l'attitude, reflète sa personnalité et son âme. Or, le trimaran Paul Ricard est laid, triste et froid comme le métal dont il est construit (...) . Quant à Eric Tabarly, juste avant la mise à l'eau, il se récuse soudain: " Je ne partirai pas là-dessus".
Petite fuite au port, voie d'eau en mer.
Le près (...) attaque le moral plus sûrement que toute autre allure.
"Deux fois la route, quatre fois les emmerdes !"
Resté seul, je grimpe une dernière fois sur le pont vide. Que lui aura-t-il manqué à ce navire d’exception ?
Le génie d’un marin associé aux compétences d’ingénieurs de haut vol et d’un mécène fort généreux a produit nombre d’innovations, tracé des voies résolument nouvelles, inventé la voile de demain. Mais chacune de ces avancées aurait nécessité des heures d’essais, de tests, d’ajustements et du temps. Tout cela a manqué.la course au large et l’industrie nautique n’étaient pas encore prêtes à assumer cette nécessité liée aux avancées de la technologie. C’était un bateau laboratoire dont on aurait souhaité qu’il gagne toutes les courses. Je me souviens de ce que Patrick Tabarly me confiait pendant la course Quebec-St Malo : « un mois avant le départ, on ne doit plus rien modifier, il faut juste se contenter de tout fiabiliser et, sur ce bateau, on passe le temps à transformer jusqu’à la veille des départs. Tout va trop vite. »
Qu’est-ce qu’il a pu être décrié, ce foiler, prétendument bâtard ! Depuis six années que je navigue avec Eric, je sais bien qu’il n’est pas attiré par les records qui tiennent à peu de choses et peuvent êtres battus à tout instant. Alors, aujourd’hui, il y a du bonheur, du soulagement, mais ce n’est pas une raison pour balancer des fusées de détresse et autres feux de Bengale. Je songe que la preuve est faite : Paul Ricard est un bon bateau, un joli canot.