Le passage du sommeil à la veille est de plus en plus flou, elle ne sait jamais avec certitude si elle est endormie ou non. Si ce qu'elle voit est réel ou fabriqué par son imagination. Il lui arrive d'avoir l'impression que certaines pensées traversent avec elle la frontière entre les deux états. Qu'elles naissent dans la léthargie et continuent leur cheminement quand elle rouvre les yeux, ou l'inverse, comme si les deux mondes tendaient à ne plus en faire qu'un seul. Peut-être est-ce cela, la mort. Un état de conscience unique.
Autant l'une était minérale et glaciale, autant l'image que Sarah garde de Jacques est celle d'un homme solaire.
Madame , c'était l'équilibre. La permanence. La clé de voûte de tout un édifice dont Élise fait partie.
Sa vie ressemble à une vieille armoire, avec une foule de tiroirs où chaque objet à sa place, bien séparé des autres. Et il y a fort à craindre qu'à sa mort, tous les tiroirs soient jetés à terre et leur contenu répandu, mélangé. Les compartiments qu'elle a passé une vie entière à garder fermés risquent de se retrouver sens dessus dessous.
Aujourd'hui, le digital a tout bousillé. Rien à voir avec ces merveilles argentiques. Les photos saturent des mémoires virtuelles, perdues dans les nuages, que plus personne ne regarde. On lègue des maisons, des propriétés, des voitures, des comptes en banque mais comment transmet-on vraiment un récit familial ? Et quand on n'a reçu aucun passé en héritage, le futur ne perd-il pas toute consistance ?
Sa vie était consacrée à ces femmes qui un jour deviennent mères. Il y avait certes dans ce choix l'expression d'une vocation mais aussi la volonté de percer un mystère. Ce qu'elle voulait, c'était saisir cette étrange envie de se prolonger dans un autre corps, une autre existence. Qu'elle en soit consciente ou non, par l'observation quotidienne du désir et de la joie d'enfanter, c'est l'indifférence de sa mère à son propre égard qu'elle souhaitait comprendre.
C'est à cela qu'il occupe le temps qui lui reste, s'accrocher à tous ces vestiges d'un monde que le temps engloutit, comme un naufragé à un bout de bois.
Certes, il n'y avait pas de honte à travailler pour la télévision. Mais elle n'en tirait aucune vanité non plus. La télévision n'exerçait plus aucune fascination, le mot n'allumait pas d'étincelles dans les yeux de ceux qui apprenaient qu'elle y travaillait, pour la plupart des gens la télé était un meuble et il n'y avait rien de palpitant à bosser dans l'ameublement.
Comment a-t-elle pu exprimer des émotions aussi intenses et se montrer aussi inapte à aimer sa fille ?
On ne refait pas sa vie, pas plus qu'on ne le recommence. Repartir de zéro est une illusion, un leurre. On aura beau cacher son passé dans une consigne dont on perdrait la clé, il se trouverait toujours quelqu'un de bien intentionné pour vous le rapporter.