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Citation de AMR_La_Pirate


Je croyais alors sans le moindre doute, avec une foi totale, comme seul en est capable un gosse à qui un adulte inculque une vérité absolue. Mais Dieu m’apparaissait comme un personnage confus, ambivalent : il y avait d’un côté Jésus-le-bienveillant, ses actes d’abnégation, de pardon, sa bonté inconditionnelle... celui qui tendait l’autre joue. Et, dans le même temps, il y avait le Dieu vengeur, celui de l’Apocalypse, celui qui n’hésitait pas à noyer l’humanité sous un déluge, celui qui faisait pousser des pommiers sous le nez de ses créatures tout en interdisant d’en manger les fruits, qui décidait d’envoyer les gens souffrir en enfer pour l’éternité... Il y avait aussi le Saint- Esprit, dont le rôle m’échappait totalement, mais que nous devions vénérer. Et l’on nous répétait que ces trois personnages, le gentil, le méchant, et l’inconsistant, ne faisaient qu’un. Cela me plongeait dans une forme de désarroi craintif, face à cet être aux trois visages, à la puissance absolue, aux réactions imprévisibles. Car Dieu savait tout, voyait tout. Il savait même ce que je pensais. Il avait accès à mon cerveau, guettant mes moindres faux pas.

[…]

Ah oui, j’ai oublié de préciser. Je ne concevais absolument pas mon attirance pour Michel comme de l’homosexualité. Comme tout le monde, j’avais en tête l’image ridicule du pédé de la Cage aux folles. Je ne me sentais vraiment pas comme ça. Je ne voulais en aucun cas ressembler à « ça ». Déjà que je n’aimais pas la manière d’être des filles... Alors ressembler à la caricature d’une fille, cela me dégoûtait profondément. Encore aujourd’hui, du haut de mes vingt-quatre ans, je le confesse honteusement, je ressens une forme de dégoût pour ces hommes. Le même genre de dégoût que l’on peut ressentir devant un tableau aux couleurs trop vives, écœurantes, un peu comme ces sauces anglaises. Ils n’y sont pour rien, mais je leur en veux, à tous ces pédés, de transformer, aux yeux des hétéros, l’amour vrai, sincère et total qu’un homme peut ressentir pour un autre, en une caricature grotesque, ridicule et vulgaire, dont on fait des films comiques. Oui, je sais qu’ils n’y sont pour rien. Si cela devait être la faute de quelqu’un, c’est évidemment celle des gens « normaux », en tout cas majoritaires, qui ne peuvent s’empêcher de ridiculiser ce qui ne leur ressemble pas, ceux qu’ils ne comprennent pas. Ces gens normaux qui sont même parvenus à me faire ressentir du dégoût pour des mecs qui, comme moi pourtant, aiment d’autres garçons. Qui sont parvenus à me faire croire que je n’étais pas gay. Mais si je n’étais pas gay et que je n’étais pas hétéro... j’étais quoi ? J’étais amoureux de Michel.

[…]

Ai-je changé ? Oui, j’ai appris à apprécier la féminité. De la même façon qu’un certain nombre de mecs finissent par accepter qu’ils ont aussi besoin de l’affection d’un homme, j’ai fini par accepter que j’avais aussi besoin des femmes. J’ai même fini par admettre qu’une femme n’est pas moins intelligente qu’un homme, c’est dire.

[…]

J’ai besoin d’espace, d’imprévus, de défis, de quelqu’un d’assez taré pour avoir envie de courir un marathon, de partir en moto, sous la pluie, faire une randonnée dans les Alpes en hiver. J’ai besoin de... toi, emporté par le rythme enivrant de ton cœur qui bat, toi, rescapé du flux anesthésiant de ta télé, toi, attiré par l’horizon, la nature, l’aventure, toi dont le regard porte au-delà des pubs, des modes et de ton revenu annuel brut, toi qui réchauffes le sens du mot amitié, toi... J’ai besoin...

[…]

Il y aurait plein de choses à raconter. Mais je me rends compte qu’il était bien plus facile de parler de cet enfant qui allait devenir moi, de cet enfant proche mais déjà lointain, que de ces années récentes encore bien vivaces, ces années dans lesquelles tu ne vas pas tarder à apparaître, toi, Hervé. Je réalise aussi que ça fait déjà depuis de trop nombreuses pages que je te gonfle avec mes histoires. Des pages où je ne parle que de moi, comme si j’étais un sujet tellement intéressant que je mérite un livre. J’étais parti pour écrire une lettre, une ou deux pages, et voilà que je me lance dans un roman, je ne me rendais pas compte. Je ne voulais pas ça. Je voulais simplement dédramatiser cette histoire dans laquelle la vie nous avait projetés. Je voulais te montrer que je n’étais, ni plus, ni moins, qu’un type comme les autres. Comme tout le monde, une goutte d’eau dans l’océan. Comme tout le monde, un océan dans une goutte d’eau. Ni plus, ni moins, un type comme les autres.

[…]

Mais non. Voilà que cela s’infiltre hors de toi, déformé, atrophié, à travers des mots. Putain de mots. Si je pouvais m’ouvrir le ventre pour le laisser exploser au grand air, ce truc, si je pouvais le prendre délicatement pour le coucher sur une feuille blanche, encore plein de sang, encore vivant, encore palpitant... Je le mettrais là, juste après ce paragraphe. Mais non, des mots, encore des mots... Des feuilles blanches noircies... Putain de mots. Je...

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