Erik Fosnes Hansen

Ah, les tableaux d’Edvard Munch. Je ne les aime pas. Ils ont quelque chose de répugnant qui me met mal à l’aise. Les lignes qui débordent de partout. Les visages qui sont si imprécis. Particulièrement le tableau qu’ils appellent Vampire me met mal à l’aise. Vous savez, celle qui suce le sang de la nuque d’un homme dont la tête est posée sur ses genoux. C’est le genre de tableau qu’il est tout à fait impossible d’oublier, tellement il met mal à l’aise.

Une chose néanmoins est sûre : l’avenir de la littérature réside dans l’autobiographie. D’année en année, il est de plus en plus difficile d’inventer des histoires, puisqu’il y en a de plus en plus qui ont déjà été trouvées. Si l’on jette un coup d’œil aux livres sous le sapin de Noël, on en a la confirmation. Grand-père, par exemple, préférait absolument une bonne autobiographie à tout autre ouvrage.

"L'amitié doit aller de soi, être évidente."

"Peut-être que, pour rester proche, il ne faut pas recourir aux paroles."

"Mais il faut que le mensonge et la vérité cohabitent : ils font l'homme."

"La liberté. Une chose étonnante. Une chose qui peut faire peur si l'on n'y est pas habitué. Exactement comme la mer."

"Toujours, oui, nous sommes toujours cernés par le silence. Rien ni personne ne le transperce. Aucune voix, aucune parole."

Elle devine quelque chose qu'elle ignore encore, que les longs voyages ont parfois cet effet sur les gens ; dès que le train ou le bateau quitte le quai, c'est comme si la vie telle qu'elle est lâchait son emprise, et il découvre la vie telle qu'elle devrait être, ils deviennent pendant un moment, ce qu'ils auraient pu être ce qu'ils auraient du être, ils sont libres..

Car tel est l’art : pouvoir montrer aussi bien ce qui existe et se voit, que ce qui n’existe pas et ne se voit pas, et surtout ce qui est à venir mais ne se voit pas encore. L’art exige, outre une main habile et un œil acéré, de la fantaisie et de l’imagination, et sa nature est de trouver de nouvelles choses dissimulées sous les formes de la nature, de les retenir et de les expliquer de manière à faire croire à leur existence, même si personne n’y aurait cru un instant plus tôt. Ainsi la peinture atteint les mêmes sommets que la science qui traite de tout ce qui existe et se voit, mais l’art va encore au-delà.

Il n'y a rien de plus fugace que la beauté humaine, rien de plus difficile à conserver, et il n'y a rien de plus risqué que de parier sur elle car elle disparaît. Et si l'on a aimé sa beauté autant que je l'ai adorée, c'est un supplice de la voir s'estomper

Une bibliothèque est une institution très démocratique, il est vrai, mais une fois dans les côtes pour rentrer, je trouvai que c'était aussi, sur plusieurs aspects, une formidable institution raffinée. La connaissance se tient au garde-à-vous à côté de la littérature de grande qualité, comme le livre sur Omin Hambbe, et d'autres oeuvres, et même si la loi de la vie veut que n'importe qui ne peut pas pénétrer les arcanes de tout ce savoir, il est accessible à la plupart des gens, si seulement ils s'en donnent la peine.

En fait, il en est ainsi pour toutes les découvertes importantes : elles arrivent par surprise, comme un voleur dans la nuit. Pendant des dizaines milliers d'années, l'humanité a vécu en croyant à ces étoiles fixes. Mais alors que toute le monde vivait en paix avec ça et ne se doutait de rien, Galilée est arrivé et s'est penché sur la question. Tous ont été bien sûr terriblement surpris, certains se sont mis en colère, mais il n'y avait rien à faire. Ce n'était quand même pas la faute de Galilée si cela leur est tombé dessus sans crier gare. Il s'agit de garder les yeux ouverts, alors la découverte peut se jeter sur vous sans prévenir.

On marche pendant des heures ou bien on reste assis pendant des heures, et les chiens ne comprennent rien ou ne pensent qu’à jouer, et ils ne trouvent rien, et le temps se traîne sur les hauts plateaux infinis ; les bottes sont trempées à l’intérieur, on a la nuque mouillée, le cordon de l’anorak a perdu sa clochette et a disparu dans son trou pour de bon ce qui fait qu’on ne peut pas attacher la capuche, le fusil grince et la thermos est vide. Il ne se passe rien. Jusqu’à ce que soudain tout se produise en même temps : un bruit de battement d’ailes qui s’élève, une ombre grise qui traverse le ciel, fugitive comme une martre qui aurait des ailes, deux, trois coups de fusil, et puis voilà tout. Après quoi, on entend assez souvent l’écho de quelqu’un qui jure, parce que la proie a été beaucoup trop rapide. La chasse à la perdrix des neiges est une chasse inégale.  

Cela était un autre trait de mon grand-père : il ne parlait jamais pour ne rien dire, et quand il parlait, il disait le plus souvent des choses qu’il avait déjà dites.  

C'est ma vieille insomnie qui me poursuit depuis que je suis enfant, une surexcitation qui demande des mots, de la musique, des livres, une chanson, une discussion ; une vigilance affamée qui, en fait, aspire au sommeil mais qui craint de se coucher et de se retrouver derrière l'obscurité des paupières, car qui sait alors ce qui peut se passer. A la place, elle désire être divertie, elle désire qu'on lui parle, qu'on lui fasse la lecture, tout plutôt que de devoir s'occuper elle-même et d'elle-même.

Seuls les morts se laissent dicter leur place dans nos souvenirs. Ils ne reviendront jamais pour les modifier

Je me dis que c’était sûrement ce genre de femme qui faisait tout de manière très organisée et efficace et dans le bon ordre. Il y a des gens qui sont comme ça, ils sont incapables de faire du désordre quand bien même ils voudraient le faire exprès.  

C'est cela, être écrivain. Par contre, il arrive souvent que la vie se montre beaucoup plus superficielle, dénuée de sens et tout bonnement un peu embrouillée. La vie est une soupe. Celui qui doit remuer sa cuillère dans la vie pour espérer en tirer un sens quelconque avant de la coucher sur le papier est obligé soit de tricher énormément avec l'ordre des choses, soit d'admettre qu'il ne deviendra jamais célèbre. (p. 248)

Peut-être le temps n’est-il ni quelque chose qui vient ni quelque chose qui s’en va, mais une sorte de lame de couteau qui tranche l’univers, de manière impitoyable, régulière, comme quand on pare un beau morceau de viande en enlevant les membranes et les tendons – et nous nous trouvons à l’extrême pointe de ce couteau, nous menons nos vies brèves tandis que les fibres et les éclats d’os sifflent en passant près de nos oreilles. En tous cas, je pense souvent à cette image.

Lorsque dans l’exercice de ses fonctions on est appelé soit à cornaquer des Allemands en mal de pêche sportive, soit à servir de baby-sitter à une gamine collante, il s’agit comme dit précédemment de les maintenir occupés et de varier les plaisirs. Il ne faut pas que le client s’ennuie. Et Karoline était ma cliente. Aucun doute là-dessus.