D'un coup, la pièce s'est vidée. Tout le monde est descendu au jardin, et on m'a invité à suivre le mouvement. Il y avait des murmures, encore des discussions. Et puis, au pied d'un arbre, la mère a enveloppé le petit corps dans sa couverture, tandis que les enfants s'amusaient à se courir après. Soudain, tout le monde s'est tu. Le papé a toussé un peu, a pris une inspiration, puis il a entrouvert la bouche. Et là, le jardin a comme changé de teinte. Il s'est rempli d'un son magnifique, d'une mélodie qui venait du papé, qui sortait de lui comme une vague, comme une caresse. C'était une mélodie ample et ronde qui réchauffait le jardin. Une flamme dansait dans ses yeux. Et toute la tribu fredonnait doucement, toute la famille animée d'une émotion quasiment joyeuse, de cette joie qui doit accompagner ceux qui partent pour un long voyage. Pendant quelques instants j'ai oublié le temps. Oublié ce que je faisais là. Je ne pensais à rien : ni à ce qui m'amenait ici, ni aux visites et à tout ce qui m'attendait. Je contemplais ces gens qui savaient arrêter le temps. Qui s'arrangeaient avec la mort, sans la séparer de la vie.
Comment avons-nous pu en arriver là ? Qui m'expliquera quelle terrible dépravation nous a conduits chez les mamies ? Pourquoi caniche est-il devenu synonyme de chien-chien à sa mémère ? Personne ne se rappelle aujourd'hui quels brillants chasseurs nous étions, quel odorat exceptionnel nous avions. Alors voilà, au lieu de m'emmener chasser le faisan et la caille, on me traîne du salon au toilettage, où j'exhibe ce manteau à carreaux de bouffon et cette houppette ridicule.
Je peux rester des minutes entières à écouter un coeur. J'écoute toujours avec fascination cet organe qui semble résister au temps malgré tout, comme une horloge qui ne vous trahit jamais, ou alors une seule fois, au dernier moment.