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Critiques de Estelle Fenzy (21)
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Rouge vive

Suite de textes poétiques où deux voix, celle d'un homme et d'une femme s'élèvent, alternées pour nous conter séparément l'enfance, le passé. Quand ils s'aperçoivent, les deux voix se croisent et vont se répondre et s'enlacer progressivement comme vont finir par le faire leurs corps.

Le sang irrigue toute la beauté douce et violente de ce recueil, qui dit la vie et ses blessures qui nous marquent de la naissance à la mort, dans une "explosion d'incarnat" et un "bouquet de grenat". Le lecteur se sent pris, attirer irrésistiblement vers la forêt profonde pleine "d'ombres écarlates" où l'attend "une tanière de rosiers carmins" protectrice et effrayante.



Une économie de mots, pas de lyrisme et pourtant toute une histoire prend forme et s'inscrit au plus profond de nous, des images fortes en jaillissent qui marquent et reviennent hanter. Il y a une force de vie telle dans ce poème que l'on est pris dans un enchantement, ensorcelé avec pourtant l'impression d'être chez soi, au plus profond de soi.

p 52

Je me sens chez moi

dans la lucarne entrouverte du soir

sur ce sentier de cordages



où amarrer demain
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La minute bleue de l'aube

Quelques années après « Rouge vive » j’ai eu envie d’un deuxième rendez vous avec les recueils d’Estelle Fenzy. « La minute bleue de l’aube », un titre qui déjà me transporte.

Chaque jour durant une année, pendant ce bref instant complice qui lie la nuit au jour, Estelle Fenzy a jeté sur le papier le froissé de ses nuits, l’espoir de ses jours, à moins que ça ne soit le contraire. Les deux en fait.

Si j’avais été conquis par le fond de « Rouge vive », j’étais plus que contrarié par la forme. Ici, rien à jeter. Il n’y a pas à dire, les couleurs vont bien à l’auteure.

Saison après saison, jour après jour, elle nous emmène sur le fil de la vie. Funambule à l’équilibre précaire. Une aube bleue, une aube blues et la fil de fériste au gré des maux avance imperturbable, le balancier oscillant au rythme de l’état d’âme du moment. Les mots prennent de l’altitude et bien des poèmes donnent un doux vertige.

Ah, cette aube, comme une frontière. Si certains se battent encore pour savoir si Nantes est en Bretagne ou pas, je serais plus du « combat » est ce que l’aube porte les fruits de la nuit ou est-elle déjà le jour?

Aimant la nuit, sa faune et sa flore, son atmosphère et ses survivants, elle est pour moi la semence de l’authenticité elle qui déshabille le jour et ses masques. Quel meilleur moment pour écrire, se mettre à nu. L’aube est le moment de la cueillette et les fruits d’Estelle Fenzy sont gorgés de saveurs tantôt sucrées, tantôt acidulées. Une gourmandise.

Difficile de faire un billet sur un recueil de poésie alors je vais m’arrêter là.

Ah oui quand même, une chose étrange. Je viens de terminer aussi un autre recueil de poésie de Philippe Léotard, « Pas un jour sans une ligne ». Un titre qui aurait aussi été comme un gant à « La minute bleue de l’aube » même si pour ceux ayant déjà croisé les lignes de Léo, le double sens du titre annonce un recueil torturé ce qui n’est pas le cas d’Estelle Fenzy.

La minute bleue de l’aube, un recueil au clair de l’une.

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La minute bleue de l'aube

Un titre déjà très attirant...Et un univers poétique dans lequel je me suis glissée avec bonheur et émoi.



Estelle Fenzy habite actuellement à Arles où elle est enseignante. Depuis 2015, elle a publié pas moins de dix recueils et participe à des revues poétiques. Je ne la connaissais pas du tout. Ce livre, elle en explique le titre:" S'accorder une minute bleue: un îlot de poème avant le tourbillon du jour."



En textes très courts, échelonnés au fil des saisons sur une année ( novembre 2016 à novembre 2017) , l'auteure déploie les mille facettes de son être au creux du jour qui se lève : " Dans la maison endormie, laisser venir les pensées, les mots."...



Ces mots sont très simples, concis mais si justes et clairs. Cela m'a fait penser à Thomas Vinau car elle évoque les petits riens du quotidien, au sein desquels se devine une philosophie de la vie. Et les images m'ont touchée.



" Le jour galope

à ma rencontre

s'apprête à bondir



Je reconnais sa course

J'invente son visage"



Elle tente aussi de définir le poème, j'aime particulièrement ce texte:



" Poème

tu es sans rivage

un horizon qui dure

une dérive dans l'air du large"



Brièveté des mots mais profondeur de l'instant capté, dans l'aube " enfance du mot jour", désir de l'écriture qui apaise et enrichit:



" Écrire

près du sommeil

sur un pan de ciel clair

où montent lentement

les couleurs du jour"



Un voyage poétique magnifique, entre rêve et éveil, dans la clarté de l'aurore... Une femme poète à découvrir!





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L'Entaille et la Couture

L’entaille et la couture c’est comme une cicatrice cousue de fil de soi.

C’est… pffff… c’est un recueil ? un poème ? quelques feuilles volantes ? c’est le volume d’une collection que je ne noterai pas car j’hésite vraiment entre le 5 étoiles pour l’écriture d’Estelle Fenzy et le moins 5 étoiles pour le format foutage de gueule de la collection « La main aux poètes » des éditions Henry.

C’est à mon avis le genre de format qui dessert la poésie alors qu’elle aurait sacrément besoin d’être promue tant chaque parution est plus que confidentielle.

Format : 41 pages, 11cm x 15 ah oui ça tient dans la poche arrière d’un jean, de 4 à 10 vers par page, le tout pour la modique somme de 8 euros !!!! Plus de 50 balles pour un joli poème, c’est vrai, ça va bien aider à rendre accessible à tout le monde la poésie, ça ne fait pas élitiste du tout du tout du tout. Remarquez que j’ai été voir quelques uns des autres « trucs » de la collection et j’en ai trouvé un de 31 pages pour le même prix.

Si vous avez l’âme d’un pigeon, n’hésitez pas, je me sentirai moins seul.



Sinon, pour ce qui est d’Estelle Fenzy, foncez sur « La minute bleue de l’aube » si vous voulez une jolie rencontre avec son écriture.

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Boîtes noires



J'avais beaucoup aimé d'Estelle Fenzy " La minute bleue de l'aube". Elle présente ici, aux éditions " Le chat polaire" un recueil très particulier puisqu'elle imagine les dernières pensées de passagers avant un crash. D'où le titre.



Le thème pourrait faire verser les textes dans le mélodramatique. Il n'en est rien , même si l'émotion est bien présente, souvent très forte. Et l'auteure n'édulcore rien de ce qui attend ces gens. L'écriture est à la fois tendre et brute.



Des voix multiples murmurent leur être ultime. Au-delà de cette mort imminente, ils se révèlent pleinement



" sans trace

sans image

combien de temps



pour que tu oublies



mon visage"



Les illustrations de Gwen Guégan , dessins en noir et blanc, ponctués juste d'un peu de rouge...sang s'harmonisent parfaitement à la thématique du livre.



Une idée originale mais trop noire pour moi, trop mortifère. J'ai besoin de douceur... A vous de voir.





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Chut (le monstre dort)

CHUTE....................



À force d'élaguer, d'élaguer, d'élaguer encore, puis de tronçonner, d'appliquer la taille franche plutôt que la taille douce, d'éliminer, d'ébarber, de diviser, de sectionner, de ligaturer, de fractionner, de hacher menu, menu, menu, menu dans la forêt des mots et des dires, que restera-t-il au poème ?



Ce ne sera plus du silence autour des mots ou des vers (tellement libres qu'ils en deviennent vains) mais quelques mots autour du seul silence.



Estelle Fenzy n'est pas si éloignée, hélas, de ce résultat. À force de faire motus, d'espérer donner de la force à du blanc environnant jusqu'à l'étouffement les quelques malheureux caractères échappés de l'imprimerie, on fini par craindre le néant.



Ô! Ce n'est pas une tendance qui lui est propre et loin de nous la moindre intention d'accuser Estelle Fenzy d'un tort - de notre humble mais assumé point de vue - qui ne lui appartient pas en propre. C'est même un peu la maladie honteuse d'une certaine poésie contemporaine qui remonte, semble-t-il, à la redécouverte somme toute tardive et à l'engouement excessif pour la forme japonaise de l'haïku, transposée dans nos langues européennes, avec tout ce que cela implique d'incertitude, de facilités et de quiproquos. On en fabrique même à l'école, pour poétiser en commun et peine excessive ni lassitude rapide.



Cela peut ou a pu donner ici et là d'excellents résultats. (Eugène Guillevic, parmi les maîtres incontestables de la forme courte)



Cela finit par devenir un rien pénible, répétitif et creux, même en y mettant toute la bonne volonté du monde ou en songeant à la plus que probable honnêteté du créateur (ici créatrice).







De fait



à force de silence

entre les mots



le grand vide















........ Désolé.
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Rouge vive

Euh… oui mais…

Voilà en gros mes premiers mots après que l’intensité de la couleur des mots ait été délavée par la vivacité avec laquelle ils se sont dissipés.

Très très partagé par ce recueil car pour ce qui est du fond, je n’ai absolument rien à redire.

Ce texte poétique à deux voix nous fait traverser les quatre saisons, nous propose une palette de couleurs allant du dégradé de gris au rouge vif en passant par des bleus… à l’âme. Une femme, un homme, une histoire d’amour, banal de chez banal sauf qu’Estelle Fenzy sait les mots qui font la profondeur. D’un lieu commun, d’un cliché, elle sait venir titiller le lecteur, l’emmener sur des sentiers désertés, volontairement oubliés, sur des chemins creux aux sillons de l’intime.

L’idée de cet enlacement des maux par l’embrassement des mots jusqu’à l’embrasement final, j’aime.



«C’est une vaste terre

de fougères et de pins



Une forêt de profondeurs

arasée de ténèbres



J’en sais chaque recoin

chaque pli de la terre assoiffée



Chaque cicatrice de la pierre

mangée par les racines



Comme des rides

sur le front d’une vieille »



Page 11/12



« Je suis né dans ce village

à l’engrais des tempêtes



la forge des orages



Qui était cette femme

au visage froissé dans ma poche



Je ne m’en souviens plus



Sauf



la nuit parfois



quand

dans le grand silence

résonnent les cris des bêtes



et que

la pleine lune

baigne de sang sa lumière »



Page 13/14



Donc pour ce qui est du fond, c’est un sans faute niveau ressenti.

Par contre pour ce qui est de la forme… alors là… c’est autre chose.

Je ne comprendrai jamais ce besoin d’utiliser des artifices qui n’apportent absolument rien ni à la facilité de lecture, ni à la compréhension, ni au sens, ni à la puissance du texte, ni à quoi que ce soit (pour moi, ce n’est que « ma vérité »). Je n’aime pas avoir cette impression que l’auteur et l’éditeur sont complices d’une sorte « d’escroquerie ». Les extraits cités plus haut, représentent quatre pages… sur un recueil qui en compte 57. Avec un peu de travail on peut vite écrire une encyclopédie en 20 volumes. Trois quatre mots par page, sans compter cinq pages noircies par des illustrations auxquelles je suis totalement hermétique… oui, je reste sur ma faim. J’ai la sensation d’avoir lu la quatrième de couverture qui m’a bien hameçonné , que je m’apprête à passer un bon moment et qu’une voix me dit en boucle qu’il n’y a plus d’abonné au numéro demandé. La putain d’impression de m’être fait allumer par miss univers et de devoir me la mettre derrière l’oreille pour la fumer plus tard (oui c’est un recueil de poésie mais bon, chuis pas pouet moi) !!!

C’est vrai que pour faire un recueil un minimum conséquent, il faut plus qu’un texte ou deux semés au fil des pages.

Même si dans « Rouge Vive », la qualité est inversement proportionnelle à la quantité de texte, que le papier est de qualité, la frustration est énorme.

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Rouge vive

Rouge vive, déjà le titre m’a plu, puis la forme des poèmes, leur brièveté, des poèmes brefs qui deviennent récit.



J’ai une hésitation à parler de dépouillement, Estelle Fenzy est proche des comptines de l’enfance, douces et effrayantes à la fois. Mais la bascule se fait vite vers des découvertes moins familières.

Celle qui prend la parole nous dit sa solitude « La solitude / mon manteau / m’accompagne tout le jour.»

Elle connait « chaque cicatrice de la pierre / mangée par les racines »

Elle est né dans un village « à l’engrais des tempêtes / la forge des orages »

Dès les premiers vers j’étais séduite par l’« homme silence » et la « mendiante à l’amour »

Elle est vêtue de « robe de vent si légère »

La poésie se lit à voix haute pour moi et j’ai eu la sensation d’entrer dans un pays de légendes « au ponton du sommeil » avec des personnages familiers comme l’enfant au cartable déchiré et d’autres plus effrayant comme ce « forceur de femmes »



J’ai été sensible à cette balade à deux voix pour faire le récit d’une histoire d’amour qui se déroule sur « une vaste terre / de fougères et de pins ».

Les voix se répondent à travers les poèmes, disent l’amour mais aussi le chagrin de la perte qui est si douloureuse à ce « cœur tissu fragile »

De beaux dessins accompagnent le recueil qui est placé sous les auspices de Nick Cave et de sa chanson « Where the Wild Roses Grow » c’était une raison supplémentaire pour apprécier Estelle Fenzy




Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Rouge vive

 

Critique/citation :

Elle ne voulait pas voir /l'échappée de lumière/au milieu de son deuil…



 

Jeu de doubles qui s'interpellent,

se répondent dans la douleur et

les blessures non cicatrisées d'un

passé – enfance – de femme

endeuillée par la mort du « promis »

emporté sous la mitraille.



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Une saison fragile

Une écriture dense, d'une densité de cristal et de brume, d'étoile lointaine et de luciole proche, une écriture comme une lueur parfois vacillante mais toujours présente, comme la flamme des bougies de Georges de La Tour. S'y dit, avec pudeur, une volonté de ne jamais céder, une tenace résilience. On y devine bien des chagrins, bien des orages, bien des fêlures pas toujours cicatrisées, mais cela exprimé, je devrais dire traduit, en une langue d'un lyrisme à fleur d'encre, à lisière de peau, en toute discrétion.

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Rouge vive

Quand j’ouvre un recueil de poèmes, je lis un texte choisi au hasard. Je ne veux pas les découvrir dans l’ordre, méthodiquement. Je préfère « goûter » les images qui se lèvent devant mes yeux, les émotions qui s’éveillent en moi à la lecture d’un premier poème, isolé, je veux sentir s’il existe en lui-même.

C’est ce que je fais avec Rouge vive de Estelle Fenzy. Et l’alchimie a lieu. Ce premier poème me touche, me transporte dans un ailleurs que je connais bien, dans Ma montagne, la Lozère : Images très précises que ma mémoire a engrangées, des cordes à linge emmêlées et des draps qui s’envolent par delà les prés ou s'enroulent autour des fils de fer barbelés « quand le vent souffle fort ».





Quand le vent souffle fort

chaque fois j’entends

les linges les cordes battant

claquant les draps les chemises



Mon coeur tissu fragile

se déchire



à l’écho des combats

dans les cotons tremblants



Il y a quelque chose de très beau, très vrai dans cette scène. On « entend » : le bruit, le « souffle du vent » mais aussi le mouvement, l’agitation, la violence du drap soulevé, presque arraché, puis qui retombe en "claquant". On voit : les chemises se tordent, se dressent, s’abattent brusquement. Il y a un ressenti physique, le froid, la brutalité. Je ne suis pas seulement spectatrice de la scène mais partie prenante, je peux même imaginer les détails, précisément. J’aime glisser peu à peu du paysage extérieur au paysage intérieur symbolisé par le coeur. Les "cotons" (j’adore ce pluriel si réaliste, cette épaisseur des choses ) entraînent la métaphore du " tissu" singulier comme une antithèse, si fin, si "fragile " qui risque de se déchirer sous les assauts extérieurs de la vie. De cette simplicité du style, de cette économie du mot, naît l’émotion, de cette image qui pourrait être banale parce que quotidienne, celle du linge agité par le vent, naît la profondeur : "combats" menés contre soi-même ou conflits qui agitent les hommes entre eux, les font s'entretuer ? Les deux, sans doute.

Alors je continue ma lecture; je tourne les pages dans un sens ou dans l’autre et peu à peu je distingue deux voix* qui s’élèvent, distantes, mais qui paraissent se répondre et où il est question de roses sauvages, d’amour et de mort, de sang sur la neige... Les gouttes de sang sur la neige toujours associées à la femme comme le fait Perceval méditant sur la beauté de Blanchefleur ; ou encore la reine qui se pique le doigt à une aiguille et imagine le visage de sa future enfant blanche comme la neige, aux joues rouges comme le sang. Je m’enfonce dans le mystère d’un récit, chanson d'amour et de mort qui paraît de tous les temps, qui évoquent les lais du moyen âge, les contes de notre enfance.



Je suis la dépossédée



Mon promis est mort à la guerre

j’étais encore fille



je suis venue dans ce village

verser dans des jarres vides

mon chagrin



Musique à la fois douce, triste et cruelle.



Je cherche à pénétrer l'énigme de ce récit étrange. L'évidence s'impose ! Et oui, les poèmes de Rouge vive d'Estelle Fenzy nous racontent une histoire. Je reprends ma lecture depuis le début. C'est ainsi qu'il faut lire ce recueil !



D’un côté un homme silence, un homme paria, rejeté par la société : La solitude/ mon manteau/ m’accompagne tout le jour/ me caresse quand je dors.

petit garçon blessé par la vie, devenu adulte : « Je suis né dans ce village /à l’engrais des tempêtes ».



Puis une rivière aux rosiers sauvages; et ce sont ces roses couleur du sang qui consolent, fascinent, on le comprend, mais aussi blessent et ont l’attrait de la mort.



De l’autre une fille dont le fiancé est mort à la guerre (à moins qu’elle ne revive le traumatisme vécu par sa mère et par bien des femmes avant elle : "depuis des millénaires/ mon histoire se raconte"



Il est mort loin d'ici

Dans les montagnes

au Nord de mon pays.



le sang sur la neige a gelé



Eclosion d'incarnat.

Et puis la rencontre, la première vision que l’homme et de la femme ont l’un de l’autre. Légèreté, innocence de la jeune fille en mouvement, apparition à la Giono pour peindre la beauté virile de l'homme-nature ? Mais non ! Des fausses notes viennent troubler cette harmonie; ces portraits ne sont pas ceux qu'ils paraissent être de prime abord car la beauté semble toujours corrompue par la mort.…



La première fois

elle descendait

vers la forêt



belle comme un enfant

A genoux



sur une tombe.



*

Il portait dans ses bras

des gerbes de griffures



et à sa ceinture



un faisan colleté

pendu par les pieds.

Jusqu'à cette fin surprenante qui est à l’image du titre Rouge vive : Rouge la rose "carmin" ou "grenat", rouge le sang de la guerre, les "braises" de la forêt dans l’ardeur de la passion, rouge le sang de la virginité, et "le feu de sa robe" , et son sourire, et sa bouche… Ici, même les ombres sont "écarlates ".



Et vive? pourquoi ce féminin ou l’on attend le masculin? Parce que vive caractérise autre chose que le rouge ? Vive comme la jeune fille qui crie sa « révolte dans les buissons de houx » ou comme la rivière où poussent les roses sauvages. Vive comme l'évidence de l'amour: « j’ai vu un homme/ j’ai vu la vie ».

Ou vive au sens d'être vivant ? Vive antithèse de la mort, de la guerre, du malheur qui jamais ne s’efface, des blessures de l’enfance qui jamais ne guérissent ? Vive parce que Eros rime toujours avec Thanatos?



Veux-tu que

ce soir

je t'amène

là ou poussent

les roses sauvages ?



Parce que comme la chanson Where the wild roses grow de Nick Cave cité en exergue et qui a inspiré Estelle Fenzy : Toute beauté doit mourir ?



Un très beau recueil dont le langage poétique, épuré, va droit à l’essentiel et donne essor à l'imagination, un régal de mots et d'images !



Le recueil est paru aux éditions AL Manar de Alain Gorius. J'aime aussi ce livre en tant qu'objet. Les beaux dessins en noir et blanc de Karine Rougier interprètent les poèmes avec sobriété.



Refrain de la chanson de Nick Cave



Là où poussent les roses sauvages



Ils m'appellent La Rose Sauvage

Mais mon nom était Elisa Day

Je ne sais pas pourquoi ils m'appellent ainsi

Car mon nom était Elisa Day


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Chut (le monstre dort)

Estelle Fenzy dans ce recueil "Chut (le monstre le dort) développe une poésie de l'intime qui évoque par petites touches, le désarroi face à la maladie, à la violence de la douleur, la fuite du temps mais un temps que l'on peut chercher à improviser, à s'approprier, à partager comme « un fruit rare », en tentant de se délester de « toutes les tristesses envoyées par le fond » et de cueillir "des bouts de jardins"



L'auteure dans un style dépouillé à l'essentiel rassemble dans ce recueil des petits fragments, qui évoquent les haïkus, des pages à lire et à relire pour s'imprégner de l'atmosphère des vers les paupières closes.






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Mère

Je vous ai déjà parlé dans mon blog d'Estelle Fenzy : Rouge vive. La voici à nouveau avec un merveilleux recueil vrai, tendre, intitulé Mère, poèmes vibrants d'émotion et de retenue qui font mouche et vous touchent en plein coeur.

Être mère : l'enfantement, déchirure vers un amour infini :



Mon ventre s'accomplit.



Un sanglot ouvre gorge à la vie. Le cri de l'enfant se jette dans mes bras. Et pendant qu'on le baigne et l'entoure de linges, l'avenir hors de moi pleure déjà dans son alcôve.



Chantant sirène mes eaux perdues, je suis mère.



Moments de bonheur précieux :



Il joue. Accroupi dans le salon, il me regarde. Chance d'être là. De sentir sur moi cet amour rebondir.

(...)

Un petit nez mouillé dans mon cou, je suis mère.



mais aussi d'inquiétudes et de craintes :



Je tremble.



Devant les rues à traverser, les marches d'escalier, les bouts de verre cassés. Là où ça coupe, pique, brûle.



Lorsqu'un danger cogne sans bruit sur le doux mur du ventre, moi seule je l'entends

(...)



Je suis une femme qui tremble



Je suis mère.



Joies de voir grandir l'enfant, savoir qu'il va partir, dériver vers un autre avenir où l'on ne sera plus.



Elles sont belles et rondes. Leurs joues quémandent sans cesse les baisers. L'urgence heureuse à me trouver tout près dans la maison.



J'ai vu pousser les dents, les cheveux. Les seins magnifiques. Les ailes et les ongles vernis.



A peine humaines, elles s'essuient les pieds sur les bords du chemin. Se déchaussent et légères promènent rossignols la chanson de leur jeune temps. Les plumes de leur robe.

(...)



Être toute leur vie. Pas pour toujours.



Je suis mère.



Consolation, Partage, Transmission :



Au milieu de la nuit enfant pleure.



Il dit

Je ne veux plus grandir. Si je continue, tu vas devenir vieille. Et mourir. Je ne veux pas.



Je dis

C'est la vie. Elle passe. L'amour, non. Nos absents glissent tout bas des mots dans nos poings fermés. Si tu ouvres les mains, le souffle se libère dans le vent. Là s'écrit notre bonne aventure.



Quand mon coeur battra trop tard, tes yeux joueront de la musique. Ma joie survivra dans leur bleu. J'y serai cette ombre dansante que jamais le soleil ne gomme.



Je suis mère.



Acceptation, vieillesse, Amour toujours :



Un jour je guetterai les pas sur les graviers. Les coups à la fenêtre.



Les dimanches de chance, ils m'encercleront de leurs bras, de leurs questions. Réchaufferont mes épaules. Le bleu écaillé de mes yeux. (...)



Je serai vieille, enfant de mes enfants.



Toujours

mère.



Ces quelques extraits pour vous communiquer l'émotion qui naît de la lecture de ce beau recueil : chaque poème explore avec délicatesse, sensibilité et justesse, la légèreté et la gravité d'être mère.



Mère : Estelle Fenzy aux Editions Boucherie littéraire collection La feuille et le fusil




Lien : https://claudialucia-malibra..
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50

Lu en février. Un recueil découvert grâce à ma libraire (un titre sur-mesure, ayant passé l'âge "fatidique" en décembre dernier !).

Pas spécialement férue de poésie contemporaine, ou plutôt profane, j'ai trouvé la prose juste, rythmée et percutante.
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Par là

Depuis Rouge vive, paru en 2016 aux éditions Al Manar, on sait qu’Estelle Fenzy excelle dans « le conte-poème cruel et intense » où se jouent sur plusieurs générations des destins de femmes marquées au fer. Si, dans ce précédent recueil, l’auteur faisait référence à une célèbre chanson de Nick Cave, ici, précise-t-elle, ce sont les albums du créateur de BD, Didier Comès, et les photographies de l’explorateur ethnologue Martin Gusinde qui ont nourri son imagination.

A-t-on besoin d’un nom pour « habiter sa peau » ? Quelles forces faut-il affronter pour renouer avec soi-même, « quitter ses ailes de mort pour des ailes de vie » et pouvoir tournoyer sans peur au-dessus des gouffres ? Quel chemin accomplir avant d’accueillir « la force du chant venu de l’adret de la montagne » ? Le récit, dont le décor est planté dès le premier poème, s’apparente à une quête d’identité suivie d’une renaissance (« je me remets au monde ») : comment « une enfant aux yeux d’ardoise » se change-t-elle « en monstre avide », en « vierge de fer / et de sang ». Que s’est-il passé ? Le retour en arrière de la deuxième partie « Les caves du monde » nous l’explique et effectivement « la dette est lourde dans la chair ». La « crue » de colère sera terrible, à hauteur du crime initial. Gare « aux lames d’acier » plantées dans les sabots du cheval. Nous voici emportés dans « l’enfer du noir / sous l’absolu du bleu », au milieu d’une terre sauvage, âpre et primitive, habitée « d’amers cœurs » où « le cordonnier serre ses lacets » et où « une goutte de sang perle au doigt de la couturière ». On raconte dans le pays beaucoup de choses sur cette enfant mi-ange, mi-oiseau de proie. Ne la dit-on pas sorcière, amie des bêtes et des plantes magiques ? N’a-t-elle pas été adoptée par le chaman aux pouvoirs extraordinaires ? Visionnaire, il paraît qu’elle sait « fendre la membrane / entre rêve et réalité »…

La langue toute personnelle d’Estelle Fenzy, très visuelle, rythmes, formes et couleurs, se veut épurée, condensée comme si elle cherchait à exalter les forces en présence, à les magnifier sur un autel sacré. Chacun de ses mots résonne contre les flancs de la montagne tels les sabots de la cavalière lancée à l’assaut de la nuit. Malheurs, maléfices et autres diableries, son récit prend une couleur fantastique très marquée, avec un air de légende ancienne peuplée de fantômes, de visages farouches, d’imprécations et de mystère. Où et quand est-on réellement ? Où est-ce « Par là » répété dans le poème ? Les majuscules élèvent les personnages, les sentiments et les lieux au rang de véritable épopée : « Aube la Rouge – Gouffre d’Aiguilles – l’Escorte des Chagrins – le Ciel du repos – la Nuit femelle – la Mort natale… ». On se croirait revenu à la sauvagerie du Chaos originel où tout s’engendrait en brûlure et question.

Les poèmes au déroulé chronologique, si on excepte le retour en arrière de la deuxième partie, mêlent plusieurs voix : celle de la narratrice avec l’usage classique de la troisième personne : « elle – lui – on », mais aussi, dans la simple continuité, celle du dialogue entre l’orpheline et le chaman. Dans la cinquième et dernière partie « Tête haute », alors que ce dernier a vieilli, qui sont véritablement ce « je » et ce « tu » dont il est question ? « On dirait que je te connais / on dirait miroir mon beau miroir / que tu es moi ». « Soleil cicatrice », la vie passe et lave les drames de l’enfance. Au bout du compte, « tout s’apprivoise » et « retourne à la terre ». Décidément, sous la plume inspirée d’Estelle Fenzy, le conte-poème prend force de métamorphose et de renaissance.

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Mère

Estelle Fenzy, avec ce nouvel opus, feu couvé sous sa livrée rouge orange, propose un recueil autobiographique dédié à sa mère et à ses trois enfants, deux filles « belles et rondes » et un fils l’« enfant clair ». Cette suite poétique parlera à nombre de femmes et d’hommes car il s’agit de rendre compte de l’expérience de la maternité devenue un état, une seconde nature, comme le rappelle le vers répété à chaque fin de poème « je suis mère ». Une affirmation, dix-neuf fois scandée (faut-il y voir une signification symbolique ?) qui étonne autant qu’elle émerveille. Durée non sécable, miracle qui dure dont le mantra semble protéger la magie, l’aura sacrée, l’amour maternel étant vécu comme « abri, asile, envol », présence qui envahit tout, les autres aspects de la vie de la mère étant passés sous silence, vie personnelle et professionnelle.

Le recueil progresse de façon linéaire depuis la conception du premier enfant à 28 ans jusqu’au nouveau cycle de la génération suivante, tant l’amour est mouvement, projection, présent qui marche, moteur d’avenir. C’est d’abord l’accouchement, une « poussée de ciel », dans « un grand tremblement de chair », puis la vie quotidienne, patiente et répétitive, avec son lot de soins, de soucis, de joies, de peurs et d’épuisements. Être mère est un emploi à temps complet comme l’exprime le calligramme central : difficile pour elle de s’appartenir, de se recentrer sur soi seule lorsqu’elle est happée de toutes parts, nuit et jour, 24 heures sur 24. C’est que « cet amour long qui sait beaucoup pardonner » comble et dépossède tout à la fois car le temps manque et la fatigue menace. Un jour, la femme a peine à se reconnaître : « je ne me ressemble plus. », elle s’est diluée « dans les eaux de lessives ». Mais l’amour, la vitalité des enfants emporte tous ses doutes, toutes ses fatigues.

Les « dévoreurs de rêves » grandissent vite « couvés, nourris sans relâche » et ce sont déjà d’autres désirs, d’autres exigences à satisfaire. Alors l’angoisse monte d’autant, incontrôlable, devant les dangers qui guettent. Puis c’est l’heure du départ, l’absence, la maison vide où chaque jour prend la forme d’un « petit escalier, avec en haut une porte close ». Mais la vie ne cesse de courir, toujours en avance d’un avenir : bientôt la mère voit sa fille devenir mère à son tour, « donner de sa vie, donner sa vie ».

Estelle Fenzy relate avec simplicité, émotion maîtrisée et pudeur, son bonheur de mère dans une langue sensible, épurée qui ne craint pas les écarts grammaticaux porteurs de sens : « Au milieu de la nuit enfant pleure », [elles] « se déchaussent et promènent rossignols la chanson de leur jeune âge ». L’absence de déterminants ou de prépositions crée paradoxalement dans la collusion des termes un écart fertile à la création, à la parole secrète nourrie de silence, de ténacité, comme un « corps sacré, caché, mystère ». La forme resserrée de la phrase ouvre un espace préservé, une bulle d’amour dans l’amour qui inonde la mère, corps et âme, avant-après, et l’aide à repartir « pieds nus » pour « traverser à gué » de nouvelles rivières. Le temps a passé, mais l’amour non. Les enfants ont grandi, sont partis mais leur mère peut dire : « il fait encore jour dans ma vie. Je la laisse prendre de la place. Regagner ses vigueurs. » Malgré son cœur qui bat « à rebours », elle la sent qui remonte sous les « sédiments ». Il y a là de la volonté, de la sérénité, une sorte de détachement ardent à poursuivre le travail d’enfantement. L’amour maternel, nous dit Estelle Fenzy, est un don total, comme l’écriture, comme la poésie. Une création permanente pour les autres et pour soi.

Bel amour en effet celui qui « prépare » pour chacun « la faim d’aimer » sans rien abdiquer de soi-même.

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Rouge vive

Avec ce troisième opus d'Estelle Fenzy, Rouge vive, nous entrons dans une histoire d’amour « intense, merveilleuse et cruelle », selon les mots de l’auteur, où s’entendent en échos divers deux voix parallèles : une voix masculine, écrite en caractères romains droits et une voix féminine en italiques. Verticalité et force versus horizontalité et soumission, le contraire serait-il possible ? On a compris dès le début qui aura le dernier mot.

Dès l’exergue, le ton est donné par la chanson de Nick Cave, Where the Wild Roses Grow, à laquelle fait référence cette suite poétique, du choix du thème à sa forme. Si l’on visionne le clip enregistré en 2000 par le musicien avec la chanteuse Kylie Minogue, on avancera d’image en image entre le film et le poème, ce recueil étant le récit poétique d’une rencontre entre deux amants au bord d’une rivière, l’un(e) se portant à la rencontre de l’autre pour un entre-deux d’amour possible. Progression amoureuse, lente et volontaire, vers la beauté des rosiers sauvages, vers la promesse d’une première fois unique, dans une paix coupée du monde, attente tournée vers l’espérance/la consolation. Sauf que cet amour naissant semble déjà grevé par l’histoire de chacun, la petite et la grande, son piège de douleur, sa répétition millénaire. Le titre Rouge vive dit assez la passion destructrice entre Éros et Thanatos. La rencontre-réparation qui pourrait mettre fin à la spoliation d’amour et à l’ombre des jours gris se révèle une étreinte tragique dans l’étau des bras. Aucune évasion possible.

All beauty must die, chante Nick Cave, en écho à John Keats… Revient alors, loin de la vision romantique, cette question : pourquoi faut-il saccager la beauté sur l’autel de la douleur ? Pourquoi le passé revient-il assassiner le présent ? Est-ce une fatalité ? Entre coup de cœur et coup de marteau, pourquoi ces éternels sacrifices ? Et c’est la femme, toujours, qui en paie le prix, l’innocente qui marchait vers sa chance pour enfin amarrer demain, alors qu’elle prenait la liberté de s’offrir paupières closes/cœur béant telle une rose à peine ouverte. A wild rose.

On soulignera ici le choix d’une écriture concise, épurée, contemporaine dans ses inventions verbales, qui mêle références musicales et littéraires (Rimbaud, par exemple avec Ma Bohême et Le Dormeur du val). Une suite poétique, dense, forte, sous le signe du rouge, un bouquet d’images symboliques à lire sur différentes strates, plusieurs générations s’avançant en ombres portées à l’arrière-plan du récit, auxquelles on pourrait peut-être ajouter celle de l’amante Estelle Fenzy elle-même et/ou d’une ancêtre, le point de vue choisi par elle dès le titre n’ayant rien de neutre, bien évidemment. Mais ça, c’est une autre histoire, à retrouver dans l’unité de ses différents recueils.

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50

un bijou, un bonbon

tour à tour tendre acidulé drôle émouvant désespérant

les autrices visent juste

je me reconnais dans ces captations furtives

j'aurais pu écrire (si j'avais leur talent bien sûr) certains poèmes tant les sensations sont livrées avec finesse et sans fard



On n'est pas sérieuse quand on a 50 ans

(enfin pas tout le temps,

enfin pas dedans)



J'ai hâte de découvrir les autres œuvres d'Estelle Fenzy et Samantha Barendson, et/ou d'autres acteurices de la collection (Sur le billot aux éditions La Boucherie littéraire : ma seule réserve, noms beurk pour les vegans)

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Chut (le monstre dort)

"Chut

(Le monstre dort)

Buvons le galop des jours

Et la surprise de vivre

Dans le même verre"



Chut (le monstre dort) est le premier recueil d'Estelle Fenzy. Un recueil tout en retenue : textes courts, incisifs, comme dégagés de tout superflu, de tous les verbiages inutiles, ces mots qui font perdre du temps et donc l'essentiel :



"Penser vif

écrire simple

crier grand"



Des textes justifiés au centre qui signent dans l'espace le besoin d'un recentrement, d'une condensation, d'un repli. Le besoin de retenir, de retenir encore le temps et l'espace : « Au lasso l'horizon | je le ramène devant », de retenir le souffle, sensible dans le rythme des vers où le sujet parfois s'élide face au verbe hésitant entre infinitif et impératif : « Tenir bon | ne pas ouvrir | tenir bon », de ralentir, de ralentir le bonheur dans le temps :



"Pas trop vite

les beaux jours

pas trop vite"



Ce rythme retenu, contenu, ralenti me fait penser à La ralentie d'Henri Michaux :



"On a signé sa dernière feuille, c'est le départ des papillons.

On ne rêve plus. On est rêvée. Silence.

On n'est plus pressée de savoir."



Mais à la différence de Michaux, le désir de ralentissement n'est pas désir d'abandon progressif au monde, de dépossession de soi mais au contraire l’objet d'une insoumission au monde et à la durée, d'une révolte face à la maladie et à la mort : il s'agit de « Rentrer en résistance », de « Passer à la chaux | toute forme de reddition » avec cette faculté toute enfantine d'influer sur le monde par des jeux de superstitions... Ainsi résonne le Chut... Se taire pour ne pas éveiller le monstre, se taire pour faire taire le monde, faire taire la mort... Ainsi font les enfants en fermant les yeux pour se cacher de ce qu'ils redoutent, pour se soustraire à la peur.



Le monstre, Estelle Fenzy le met entre parenthèses, dans un enfermement ouvert, dans un abri borné, un monstre montré mais maîtrisé dans la léthargie, un minotaure bercé par les comptines d'une Shéhérazade enjôleuse :



"Chanter berceuse

nuit et jour

empoisonnée



Dors la Bête dors

ne te réveille pas

encore"



Chut (le monstre dort) est une comptine chuchotée, un livre des heures « de la parole retenue », un chant d'amour pudique d'une fille pour son père malade, un premier recueil poignant et captivant qui vous ravit de la première jusqu'à la dernière page.
Lien : http://www.labyrinthiques.fr..
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Coda (Ostinato)

Le titre dit assez la composition musicale de cet ensemble de 45 courts poèmes, où tout est reprise, mouvement entre deux mots qui ouvrent et ferment chaque fragment : « fin » et « monde », répétés obstinément, rythmiquement.

Entre le premier poème, sorte de mise en abyme du recueil qui paradoxalement s’amorce avec l’adverbe « finalement » et se clôt sur l’adjectif « initiale », et le dernier de la suite, s’ouvre l’espace d’un « voyage », d’une aventure à vivre ensemble, « chair contre chair » dans la chaleur du « nous ».



Finalement

ouvrir les portes



Il fait noir dedans



Ouvrir les portes

vêtus de lumière



initiale du monde.



/…/



Si

la fin du monde



Nous ramperons



secrets



Que la mort

nous prenne



pour d’autres.





Le pronom « nous » renvoie à l’auteure et à son jeune fils Raphaël, à qui elle dédie cette suite, mais aussi à nous, lecteurs, qui cheminons de concert au rythme d’un ostinato têtu, résolument volontaire. Il s’agit « d’ouvrir des pistes / − même imparfaites », de « faire fi », de « tenir tête » aux obstacles divers, « brisures / accrochées dans la tête », morsures et autres plaies pour se donner vif et entier au monde « polychrome », à sa « sève capiteuse » avec cette certitude chevillée au corps : « on est tous / uniques au monde ». On la connaît « la grande étreinte du monde », on sait qu’elle viendra mais on peut décider chaque jour de « jouer la partie / de rafler la mise // au réveil du monde. »



Puisque la fin



nous rassembler

dans le chaud du ventre



perdus dispersés



de par le monde.



L’écriture elliptique d’Estelle Fenzy, très épurée, simple dans sa forme, s’appuie sur un jeu de verbes à l’infinitif qui sont autant de tremplins, de relances au propos. Signalons pour l’accord tendu la qualité de la publication : format, papier, mise en page qui laisse respirer le texte, qui nous laisse l’habiter à notre rythme, entre silences et « impulsions vivantes ».



Cette suite poétique, dense et modulée, qui tient du carnet de vie, du vade-mecum se veut expérience de sagesse tout autant que détermination, protection, conjuration « Si/ la fin du monde ». À méditer, vivre et partager à tout âge.

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