Citations de Etaf Rum (88)
_Tu peux me reprocher beaucoup de choses, mais tu ne peux pas me dire que je ne comprends pas. Je n'ai jamais dit que c'était simple. Mais c'est ça que tu dois faire.
Sarah eut un demi-sourire amer. Il faut d'abord avoir des racines pour être déraciné. Il faut d'abord savoir ce qu'est l'amour pour savoir ce que c'est d'être seule.
Leur pauvreté était l'une des raisons qui poussaient Yacob à vouloir marier Isra au plus vite. C'étaient ses fils qui l'aidaient à labourer les champs et à gagner de quoi subsister, c'étaient eux qui perpétueraient son nom. Une fille n'était qu'une simple invitée de passage, qui attendait qu'un autre homme veuille bien les emporter, elle et son fardeau financier.
Des ténèbres nouvelles s'étaient alors immiscées en Isra, qui plus jamais n'avait vu le monde de la même façon. C'était un monde où on battait non seulement les enfants, mais aussi les mères. (p. 25)
- J'ai toujours rêvé de tomber amoureuse.
- Tomber amoureuse ? Qu'est-ce que tu racontes ? Est-ce que j'ai élevé une charmouta?
- Non, non... " Isra hésita. " Mais que se passera-t-il si le prétendant et moi ne nous aimons pas ?
- Si vous ne vous aimez pas ? Qu'est-ce que l'amour a à voir avec le mariage ? Tu crois que ton père et moi nous aimons ? "
Deya arpente les allées de la bibliothèque. Les rayonnages sont énormes, imposants, deux fois plus larges qu'elle. Elle songe à toutes les histoires rangées sur ces étagères, coincées les unes contre les autres, soutenant le poids des mondes qu'elles renferment. Il doit y en avoir des centaines, des milliers, même. Peut-être son histoire se trouve-t-elle quelque part ici. Peut-être finira-t-elle par la trouver. Elle fait glisser ses doigts sur les dos rigides, inspire l'odeur de vieux papier, l'esprit tendu vers cette quête. Et puis soudainement, c'est la révélation.
Je peux la raconter moi-même, maintenant, mon histoire, se dit-elle. Et c'est ce qu'elle fait.
"On va au parc" avait dit Mama, en affichant le sourire plus épanoui que Deya ait jamais vu sur son visage. Deya eut la sensation qu'un arc-en-ciel naissait en elle.
"Tu sais ce qui est vraiment étrange ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
- Quoi donc ?
- Que par un hasard absolu, toi, moi et ma mère, on adore lire.
- Ca n'a rien d'étrange, répliqua Sarah. Ce sont les personnes les plus seules qui aiment le plus lire.
- C'est pour ça que tu aimais lire ? Parce que tu te sentais seule ?
- Quelque chose dans ce goût là. " Sarah regarda de nouveau par la fenêtre.
Isra acquiesça. "Depuis que je me suis remise à lire, j'ai l'impression d'être dans une transe, ou plutôt que je suis sortie d'une transe. Quelque chose s'est éveillée en moi que je ne saurais décrire, ça va peut-être te paraître exagéré, mais pour la première fois depuis des années, j'ai de l'espoir.
p274
Tout comme Mama, elle croyait que le silence était la seule voie. Qu'il était plus sûr de se soumettre que de se faire entendre.
« Elle lut la phrase imprimée en lettres dorées – RAVIS DE VOUS SERVIR ! – et soupira. Impossible de s’imaginer un homme d’avoir l’idée d’une pareille phrase. Non, c’était sûrement une femme qui l’avait trouvée. » p. 110
Ce n'était pas sa faute si elle n'était pas assez arabe. Elle avait passé toute sa vie à cheval sur ces deux cultures. Elle n'était ni arabe ni américaine. Elle n'avait sa place nulle part. Elle ne savait pas ce qu'elle était. Qui elle était.
À quoi bon vivre quand on n’était plus qu’un coeur mort dans le poing serré de la solitude ?
Les livres tenaient compagnie à Isra. Pour faire taire ses inquiétudes, il lui suffisait de plonger entre leurs pages. En un instant, son monde cessait d’exister, remplacé par un autre. Elle se sentait revenir à la vie, sentait quelque chose éclore au plus profond d’elle, sans savoir vraiment ce dont il s’agissait. Pourtant ce désir de se lier à d’autres histoires la comblait. Elle se couchait encore subjuguée d’avoir vécu aussi intensément, au point qu’elle avait presque la sensation que ces mondes imaginaires étaient en réalité les seuls lieux où elle existait vraiment.
Certains jours, j’ai l’impression que le temps me file entre les doigts comme de l’eau, comme si je devais un jour me réveiller pour me rendre compte qu’il ne m’en reste plus.
- Parce que le mariage, c'est la chose la plus importante pour une fille, répondit sèchement Farida. Pas l'université. Tu seras bientôt nubile. Il est temps que tu grandisses un peu et que tu te mettes bien ça dans la tête : une femme, ce n'est pas un homme.
C'est surtout le mécontentement qui entraîne la création, la passion, le désir, le défi. Les révolutions n'ont pas lieu dans le bonheur. Je pense que c'est la tristesse, ou à tout le moins l'insatisfaction qui est à l'origine de tout ce que le monde a de plus beau.
N'oublie jamais ceci, mon enfant. Si tu passes ta vie à attendre l'amour d'un homme, tu mourras déçue.
Tu ne sais pas de quoi ta vie sera faite, et moi non plus. La seule chose que je sais, c'est que tu es la seule à pouvoir décider de ton destin. Tu as le pouvoir de faire ce que tu veux de ton existence, et pour atteindre tes objectifs, tu dois trouver le courage de les défendre, même si tu es seule contre tous.
Il lui faudrait attendre que Sarah soit prête. Après tout, elle n'avait pas le choix. C'était comme la lecture. Il fallait aller au bout de l'histoire pour connaître toutes les réponses. C'était pareil dans la vie : on obtenait jamais tout d'un coup.