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Critiques de Eugène Delacroix (12)
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Correspondance : Eugène Delacroix / George Sa..

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« Restons bohémiens cher oeil noir, afin de rester artistes ou amoureux, les deux seules choses qu'il y ait au monde. L'amour avant tout, n'est-ce pas ? L'amour avant tout quand l'astre est en pleine lumière, l'art avant tout quand l'astre décline. Tout cela n'est-il pas bien arrangé ? »

Cet extrait de lettre de Georges Sand à Eugène Delacroix de septembre 1838 résume bien les passions de la femme de lettre : l'amour et l'art.





Les deux artistes font connaissance en novembre 1834, à l'occasion d'une commande d'un portrait de Georges Sand par Eugène Delacroix pour la « Revue des Deux Mondes » à laquelle Georges Sand collabore.

Je me souviens de l'une de mes visites à l'ancienne demeure de Delacroix rue Fürstenberg à Paris, devenue aujourd'hui le musée Delacroix. J'ai vu ce portrait de Georges Sand. Etonnante toile ! L'écrivaine est représentée, dans un camaïeu de bruns, les cheveux courts, habillée en homme. Elle vient de rompre sa liaison amoureuse avec le musicien Alfred de Musset et paraît meurtrie, triste.



En cette année 1834, la femme de lettre a déjà une notoriété mêlée d'un parfum de scandale. Delacroix est considéré comme le chef de file de la peinture romantique. Il a déjà peint plusieurs toiles importantes qui n'ont pas toujours été bien reçues par les critiques : « Dante et Virgile aux Enfers », « Les massacres de Scio », « La liberté guidant le peuple », « Femmes d'Alger dans leur appartement ». Une grande amitié va réunir les deux artistes jusqu'à la mort de Delacroix en 1863.



A partir de 1838, Frédéric Chopin, le nouvel amant de Georges et ami de Delacroix, va leur permettre d'augmenter leur familiarité, leur complicité intellectuelle. Leurs courriers vont devenir chaleureux, presque amoureux parfois dans une lettre de Sand à cette date : « Votre coeur est bien bon, bien grand, cher ami et vos yeux sont bien noirs, bien vifs, bien pénétrants. Vous le savez bien, je serais folle de vous si je ne l'étais d'un autre (titre de ce livre de correspondances) et peut-être que vous m'aimeriez plus que tout, si d'autres fantômes en jupons ne dansaient plus gracieusement et plus coquettement, la nuit, sous le berceau de vos allées. »



Delacroix commence à peindre un double portrait en largeur de Sand écoutant Chopin jouant du piano. Elle se tient assise derrière lui, les bras croisés sur la poitrine, pendant que le musicien, illuminé devant son piano, semble en pleine inspiration créatrice.

Le musicien tombe malade, un voyage à Majorque n'arrange rien. Finalement Delacroix suspend l'exécution de la toile qui reste inachevée. Elle sera coupée en deux et les portraits séparés. le portrait de Chopin, seul, se trouve actuellement au musée du Louvre.



Les deux artistes se vouent une admiration mutuelle. le peintre fera deux séjours en 1842 et 1843 à Nohant chez George. Il lui offrira un tableau « L'Éducation de la Vierge » qui, lui aussi, se trouve au musée Delacroix. A la suite de ces séjours leurs courriers ne vont plus cesser, toujours sur un ton mêlant phrases amicales teintées de propos amoureux. La qualité littéraire est constante :

ED à GS : « Ah ! Aurore, Aurore ! »

GS à ED : « Chopin m'interrompt pour me dire qu'il vous adore, ce que je vous fais passer tout chaud. (…) Bonsoir chéri, et bon ami, toute la couvée vous accable de tendresses, et moi je vous serre dans mes bras. »



Le 18 octobre 1849, Delacroix écrit dans son journal : « J'ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin. Chose étrange, le matin, avant de me lever, j'étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j'éprouve de ces sortes de pressentiments. Quelle perte ! Que d'ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s'éteindre !



Après la mort de Chopin les relations entre eux vont se distendre. La révolution de 1848 ne contribuera pas à les rapprocher, Delacroix n'appréciant guère cette révolution dans laquelle George Sand est impliquée.

GS à ED : « Allez donc voir mon « Champi » (joué au théâtre), pendant qu'il est dans sa fraîcheur. »

ED à GS : « (…) Nos âmes qui ont tant de points de contact que je bénis, sont tout à fait séparées au sujet du péché originel auquel je crois sans la moindre plaisanterie ; je ne vois que ce moyen d'expliquer la nature humaine : c'est cette distinction entre nos jugements divers qui nous sépare encore plus de votre Rousseau qui dit que l'homme est né bon. Lui, je ne l'aime pas et vous je vous aime. »



Leur correspondance va devenir épisodique, leurs divergences politiques étant nombreuses.

En 1862, un an avant le décès de Delacroix, George Sand écrit un billet au peintre pour lui dire son admiration pour sa « chapelle de Saint-Sulpice » qu'il vient de terminer.

En mai 1862, Delacroix envoie à son amie un petit pastel du « Centaure ». Dans sa dernière lettre connue, Sand remercie Delacroix pour ce pastel : « (…) Je suis dans le ravissement, cher ami. Je l'ai là, sous les yeux, je le regarde à chaque minute ; c'est si puissant, cette chose qui tient si peu de place, et dont le mouvement, la couleur, le sentiment grandiose, vous enlèvent au grand galop de la pensée, dans un monde au-delà de nous. (…) C'est comme un souffle, ça ne s'analyse pas, et ça fait plus que vous étonner et vous charmer, ça vous porte. »



Avant de mourir, le peintre lui enverra un dernier mot : « Je regretterai les Rubens et vous encore davantage. Adieu chère amie. » Il décèdera le 14 août 1863.



Le parcours épistolaire de ces deux figures emblématiques du 19e siècle est souvent drôle, très amical, surprenant, affectueux, émouvant parfois. Au-delà de leur propre personne, l'amour de l'art les aura constamment réunis.






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Journal : Pages choisies

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« Autant il était sûr d'écrire ce qu'il pensait sur une toile, autant il était préoccupé de ne pouvoir peindre sa pensée sur le papier »



À la mort de Delacroix en 1863, Charles Baudelaire écrit cette phrase sans connaître la plus grande partie du journal de Delacroix qui allait devenir l'une des oeuvres les plus importantes dans la littérature de l'histoire de l'art.



Ce journal du peintre fournit une perspective unique sur sa vie, sa pensée, son oeuvre et sur la société de son temps. Commencé en 1822, il le poursuit jusqu'en 1824, puis s'arrête avant de le reprendre en 1847 jusqu'à son décès en 1863.



Le peintre commence son « journal de jeunesse » à 24 ans, le jour du huitième anniversaire de la mort de sa mère : « Que son ombre soit présente quand je l'écrirai et que rien ne l'y fasse rougir de son fils ». Il écrit avec une liberté effrénée, ponctuée de moments d'exaltations et de tristesse.



Paris, 27 janvier 1824 - L'artiste à la douleur d'apprendre la mort de celui dont le style en peinture lui ressemblait le plus : Géricault. Après le départ de son ami, Delacroix va devenir la tête de proue du romantisme :

« J'ai reçu ce matin à mon atelier la lettre qui m'annonce la mort de mon pauvre Géricault ; je ne peux m'accoutumer à cette idée. Malgré la certitude que chacun devait avoir de le perdre bientôt, il me semblait qu'en écartant cette idée, c'était presque conjurer la mort. Elle n'a pas oublié sa proie, et demain la terre cachera le peu qui est resté de lui… (…) Pauvre Géricault, je penserai bien souvent à toi ! Je me figure que ton âme viendra quelquefois voltiger autour de mon travail… Adieu, pauvre jeune homme ! »



Paris, 7 mai 1824 - L'artiste s'explique sur ses méthodes de travail, en particulier pour ses « Scènes des massacres de Scio » montrant le massacre de grecs par les troupes ottomanes :

« Il faut remplir ; si c'est moins naturel, ce sera plus fécond et plus beau. Que tout cela se tienne ! Ô sourire d'un mourant ! Coup d'oeil maternel ! étreintes du désespoir, domaine précieux de la peinture ! Silencieuse puissance qui ne parle qu'aux yeux, et qui gagne et s'empare de toutes les facultés de l'âme ! »



En reprenant son journal en 1847, Delacroix approche de la cinquantaine. L'âge a tempéré la passion et l'énergie de ses jeunes années : « J'écris ceci au coin de mon feu, enchanté d'avoir été, avant de rentrer, acheter cet agenda, que je commence un jour heureux. »

Dans ce dernier journal, l'artiste va laisser libre cours à son imagination. Il y traite de tous les sujets : art, littérature, musique, nature, société, histoire, humanité. Il est célèbre et sort beaucoup, est reçu dans de nombreux salons mondains. Il fréquente des intellectuels et des artistes « scandaleux » comme Baudelaire, Daumier, George Sand. Ses contemporains sont souvent un sujet de moquerie pour lui.



Fécamp, 18 octobre 1849 : « J'ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin. Chose étrange, le matin, avant de me lever, j'étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j'éprouve de ces sortes de pressentiments. Quelle perte ! Que d'ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s'éteindre ! »



Paris, 3 août 1855 – Sa passion pour la peinture incite Delacroix à réfléchir sur ses propres tableaux et ceux de ses contemporains. Il se rend à l'Exposition Universelle de 1855 à Paris, Courbet exposait en marge dans un pavillon en bois qualifié pavillon du réalisme :

« En sortant, je vais voir l'exposition de Courbet, qu'il a réduite à dix sous. J'y reste seul pendant près d'une heure et j'y découvre un chef-d'oeuvre dans son tableau refusé « L'atelier du peintre » ; je ne pouvais m'arracher de cette vue. On a refusé là un des ouvrages les plus singuliers de ce temps ; mais ce n'est pas un gaillard à se décourager pour si peu. »



Les jours précédents son élection à l'Académie des Beaux-Arts, le 10 janvier 1857, Delacroix commença à rédiger ses réflexions sur l'art. Puisqu'il ne peut obtenir le poste de professeur aux Beaux-Arts, il va se lancer dans un vaste projet qu'il n'achèvera pas : un Dictionnaire des Beaux-Arts.



Paris, 1er janvier 1861 - le peintre a travaillé plus de dix ans à ses décors pour la chapelle des Saints-Anges à l'église parisienne Saint-Sulpice. Deux ans avant sa mort en 1863, il va inaugurer les trois immenses compositions, dont « La lutte de Jacob avec l'Ange ». Il note :

« La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante ; depuis quatre mois, je fuis dès le petit jour et je cours à ce travail enchanteur, comme aux pieds de la maîtresse la plus chérie ; ce qui me paraissait de loin facile à surmonter me présente d'horribles et incessantes difficultés ; mais d'où vient que ce combat éternel, au lieu de m'abattre, me relève ; au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l'ai quitté ? Heureuse compensation de ce que les belles années ont emporté avec elles ; noble emploi des instants de la vieillesse qui m'assiège déjà de mille côtés, mais qui me laisse pourtant encore la force de surmonter les douleurs du corps et les peines de l'âme ! »



Après toute une vie passée à écrire son journal, une simple phrase exprime ce que Delacroix y cherchait avant tout : « Travailler n'est pas seulement pour produire des ouvrages. C'est pour donner du prix au temps. »



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Lettres intimes

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« Un coup de fortune »

C'est ce que Delacroix écrit à Charles Soulier le 15 avril 1822 : « … Mais je sors d'un travail de chien qui me prend tous mes instants depuis deux mois et demie. J'ai fait dans cet espace de temps un tableau assez considérable qui va figurer au Salon. Je tenais à m'y voir cette année et c'est un coup de fortune que je tente. »

Le premier tableau « La Barque de Dante » du tout jeune Eugène Delacroix sera présenté au Salon de 1822. Il a 24 ans. Cette toile inspirée de l'Enfer de Dante, d'une conception dramatique par ses références à Michel-Ange et Rubens, sera considérée comme un manifeste du romantisme. Après « le Radeau de la Méduse » du camarade d'atelier de Delacroix, Théodore Géricault, peint en 1819, les critiques considèrent qu'une orientation nouvelle, un coup fatal vient d'être porté à la peinture académique.



La même année 1822, Delacroix va commencer son journal qui sera considéré comme un des écrits de peintre parmi les plus importants, avec la correspondance de Vincent van Gogh, plus tard.



Auparavant, avant ce premier Salon, encore un gamin, Eugène écrit sans cesse à ses amis Achille Piron, Charles Soulier, Félix Guillermadet ainsi qu'à son frère le général Charles Delacroix : 56 lettres toutes passionnantes écrites de 1813 à 1820, entre 15 ans et 22 ans.

Deux lettres m'ont paru les plus représentatives du talent littéraire de l'adolescent. Deux jours de suite, les 20 et 21 août 1815, il écrit au même Achille Piron des lettres étonnantes, qui suffisent à démontrer la qualité de sa prose à 17 ans.



La passion amoureuse anime le futur emblème du romantisme. Je doute que l'on puisse trouver beaucoup d'autres écrivains, en dehors de Rimbaud, capable d'écrire de cette façon, si jeune.



Lettre à Achille Piron, le 20 août 1815 (Extrait)



(…) Quel moment que celui où on revoit après des siècles, un objet qu'on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du coeur… Au milieu de tout cela je tombe de mon haut quand je songe à l'empire que j'ai eu sur moi-même hier dans cet instant délicieux et terrible qui m'a réuni pour quelques minutes à celle que j'avais eu l'indignité d'oublier. Il m'arrive souvent qu'une sensation morale, de quelque nature qu'elle soit, ne me frappe guère que par contrecoup, et lorsque livré à moi-même ou rentré dans la solitude de mon âme, l'effet s'en renouvelle avec plus de force par l'éloignement de la cause. C'est alors que mon imagination travaille et que, contraire à la vue, elle agrandit les objets à mesure qu'ils s'éloignent. Je m'en veux de n'avoir pas joui avec assez de plénitude de l'instant que le hasard m'a procuré ; je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l'illusion sans bornes et sans rivages. Me voilà donc redevenu aussi sot qu'auparavant. Dans le premier instant mon coeur battit d'une force… Ma tête se bouleversa tellement que je craignis de faire une sottise : je ne faisais pas un pas sans songer que j'étais près d'elle, que nos yeux contemplaient les mêmes objets et que nous respirions le même air : lorsque je lui eus parlé et que tu m'entraînas dans l'autre salle… je t'aurais, je crois, battu et néanmoins je n'étais pas fâché d'un autre côté de m'éloigner d'elle, mais je crois que l'enfer et les démons ne seraient par parvenus à me faire quitter cette maison bienheureuse tant que j'y aurais su ma Julie.



Lettre à Achille Piron – le 21 août 1815 (Extrait)



L'as-tu éprouvé, mon ami, cette fièvre du coeur, ce délire de la raison et des sens qui remplit tout notre être de ce mélange inconcevable de souffrance et de délices ; il faut sentir comme moi cet orage tumultueux qui gronde dans mon sein lorsque la moindre pensée vient me rappeler un cher souvenir. Parler morale, philosophie, tranquillité d'âme aux passions, c'est vouloir éteindre un édifice en flammes avec un verre d'eau. Ce n'est pas avec des émolients, des dulcifiants, des anodins et tout le petit étalage subalterne des médecins qu'on guérit les fous. C'est en les jetant par les fenêtres ou en les assommant. Ce n'est pas que je me soucie d'être assommé pour les beaux yeux d'une princesse, mais il me faudrait à moi des remèdes violents. Malheureusement, je le sens trop, il n'en est qu'un pour moi, c'est le temps. Il faut attendre que le bouillonnement s'apaise ; que les jours et les mois viennent, dans leur succession monotone, user les sensations en effaçant l'image. C'est une chose terrible que de ne pouvoir compter même sur l'ignorance. Lorsque ma tête a bien travaillé et que, tout rempli d'illusions riantes, je jette les yeux devant moi sans y voir d'avenir, c'est alors que je me désespère. Je ne connais rien d'effroyablement atterrant comme l'impuissance ; se dire je t'aime… mais sans espoir, sans moyens, sans espoir en un mot… Voilà qui est fait pour écraser un homme.



Superbe !

Les écrits d'Eugène Delacroix, adolescent romantique de 17 ans, pouvaient déjà lui ouvrir les chemins d'une carrière littéraire.



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Journal : 1822-1863

Issu d’une prestigieuse lignée, très tôt, Eugène Delacroix aspire à la gloire. En 1815, il confie à son ami Achille Piron : « Prie le ciel pour que je sois un grand homme ». Il lui écrit : « J’ai des projets, je voudrais faire quelque chose, mais rien ne se présente encore avec assez de clarté. C’est un capharnaüm ».



Les peintres qui, en plus de leur activité picturale, écrivaient sont peu nombreux. Parmi les principaux : les lettres de Vincent Van Gogh et de Gustave Courbet, les carnets de Léonard de Vinci, la poésie de Michel-Ange, les discours de Joshua Reynolds, et quelques autres. Le journal d’Eugène Delacroix peut-être considéré comme un des écrits les plus importants avec la correspondance de Vincent Van Gogh.



Eugène Delacroix a 24 ans lorsqu’il entreprend d’écrire un journal. Le 3 septembre 1822, ses premiers mots sont écrits sur des feuilles de papier coupées et cousues en petit cahier.

A cette époque, les préoccupations de Delacroix, en dehors de la peinture, sont le plus souvent amoureuses. Le 21 février 1821, il écrit à son ami d’enfance Pierret : « Je suis malheureux, je n’ai point d’amour. Ce tourment délicieux manque à mon bonheur. Je n’ai que de vains rêves qui m’agitent et ne satisfont rien du tout. J’étais si heureux de souffrir en aimant ! Il y avait je ne sais quoi de piquant jusque dans ma jalousie, et mon indifférence actuelle n’est qu’une vie de cadavre. »

L'artiste tiendra assidument ce premier journal durant deux ans de septembre 1822 à octobre 1824, puis cessera brusquement.

Il ne le reprendra que 23 années plus tard, sans interruption du 1er janvier 1847 jusqu’à sa mort en 1863.



En mars 1854, il note : « Il me semble que ces brimborions, écrits à la volée, sont tout ce qui reste de ma vie, à mesure qu’elle s’écoule. Mon défaut de mémoire me les rend nécessaires. »

Ce journal nous fait pénétrer dans son intimité, décrit ses peintures, ses activités quotidiennes, consigne des idées critiques, philosophiques, des impressions et confidences, promenades, visites, voyages. Tout au long de cette lecture, nous ressentons dans l’homme un caractère de grande qualité, une intelligence, qui font de son journal un véritable morceau littéraire.
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Journal : 1822-1863

Eugène Delacroix, persuadé de sa solitude depuis ses jeunes années et devenu passagèrement misanthrope avec le temps, complètement voué à l’Art, ne s’est jamais marié et montre à deux ou trois reprises un goût fort peu prononcé pour les femmes acariâtres, les enfants braillards et autres joyeusetés familiales. Conseiller municipal de Paris, membre de l’académie, il a quand même mené une vie sociale et mondaine active, sortant pratiquement un soir sur deux lorsqu’il était à Paris, et appréciant énormément les représentations théâtrales et les concerts. Il aimait les conversations et les jugeait comme un art. Chaque fois qu’il se trouve en compagnie, pour un voyage ou une soirée, il donne son avis sur ses compagnons : sont-ils agréables ? savent-ils s’habiller ? ont-ils de la conversation ? A part quelques rares amis, qui se sont tous éloignés ou ont disparus avec le temps, il semble avoir entretenu ses nombreuses connaissances sans plaisir, se plaignant régulièrement d’être dérangé dans son atelier par des importuns et prétextant une hypocondrie ou de la fatigue pour échapper aux dîners ennuyeux. Et lorsqu’il écrit dans ses veilles années que seul un être lui est vraiment cher, on se doute qu’il pense à sa fidèle gouvernante Jenny Le Guillou, la seule personne qu’il évoque toujours avec tendresse. Solitaire à la santé fragile, très tôt touché par un idéal stoïcien de frugalité et de travail, mais avec un grand désir de plaire, de rester élégant, voilà pour l’homme.

Cependant, bien qu’il passe aujourd’hui pour l’un des chefs de file de la peinture romantique, il détestait le lyrisme en littérature et les épanchements du Moi et, par conséquent, il ne s’étend pas sur ses sentiments. Sur beaucoup de sujets il restait quelqu’un de conservateur qui regardait d’un œil mauvais le progressisme et les révolutions de son temps.

Ce journal est surtout celui d’un artiste et d’un amateur d’art, d’un observateur méticuleux. Il contient beaucoup de considérations techniques sur la peinture, sur l’arrangement des couleurs ou sur la manière de conserver ou restaurer les tableaux. Constatant qu’il ne restait presque plus rien de la peinture antique et que même les tableaux de la Renaissance s’étaient déjà altérés en trois cent ans, le problème de la conservation le préoccupait beaucoup. Il considérait la peinture comme un art fragile par rapport aux autres. Et cette comparaison entre les différents arts, avec leurs avantages et leurs inconvénients, est quelque chose de récurrent dans ses théories. Car il était aussi un très grand amateur de musique et littérature, grand admirateur de Mozart, Chopin, Racine, Voltaire, La Fontaine, il peut aussi se montrer très tranchant, et même étonnamment injuste quand des artistes contrariaient ses goûts. Sans parler des quelques lignes assassines sur Wagner ou Lamartine, il a écrit des critiques très dures sur Balzac ou Beethoven par exemple, bien qu’il soit resté attentif à leurs œuvres. Mais d’une manière générale il n’avait pas l’éloge facile. Même Rubens, qui est de loin son peintre préféré, n’échappe pas à ses critiques. Disons que c’était un homme de principes et qu’il jugeait tout à l’aune de ces quelques principes sur lesquels il n’a jamais varié.

L’un de ces principes est l’importance qu’il donne à l’impression d’ensemble, à l’harmonie de l’œuvre et cette harmonie ne s’obtient jamais qu’en se conformant à certaines lois. D’où l’importance qu’il attache à la copie des maîtres dans l’apprentissage de la peinture et de ses lois. Le détail a donc moins d’importance que l’harmonie d’ensemble, et c’est pourquoi il n’aimait pas la peinture réaliste qui s’attachait à reproduire minutieusement l’exactitude des détails (tout comme en littérature les longues descriptions trop détaillées l’ennuyaient). Par contre, c’est dans ces détails que se fait sentir le style d’un maître, son cachet, ce qui lui est propre. C’est là qu’un peintre peut prendre ses libertés avec la réalité, les lois de la nature ou de la peinture. Mais ce qu’il reproche dans la copie des maîtres, ainsi que cela se passait dans l’école de David ou d’Ingres, c’est la copie et la reproduction de ces détails, d’un style qui devrait rester unique, car ils sont fondamentalement des « erreurs ».

A la fin de sa vie Delacroix avait envisagé d’écrire un Dictionnaire des Beaux-Arts, un dictionnaire très personnel où il aurait exposé ses goûts et ses pensées. Il avait commencé à en rédiger des articles, à partir des notes de son Journal. Et c’est dommage que ce projet n’ait pas vu le jour, il aurait pu être un bon moyen, d’abord pour connaître les idées de Delacroix, mais aussi pour éduquer le regard ou au moins apprendre à mettre des mots sur ses sentiments esthétiques.

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Lettre sur les concours

Gauguin aimait Delacroix. En lisant la lettre qu'adressait Delacroix au rédacteur en chef de la revue l'Artiste, en 1831, dans laquelle il expose son sentiment concernant les concours d'Etat , on comprend pourquoi.

Delacroix écrivait aussi grand qu'il peignait. Intelligemment, avec pertinence.

Sans concession, maniant le trait comme un fleuret.

Mettant en lumière la partialité des juges désignés par le pouvoir, l'hypocrisie de l'appareil d'Etat, le resultat catastrophique et pernicieux de ce genre d'exercice "administratif", par cette lettre c'est le statut de l'artiste que Delacroix défend. Sa liberté, son droit d'insoumission, son intégrité.

C'est beau, félin, élégant.

Un authentique Delacroix.



Astrid Shriqui Garain



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La dernière lettre : Anthologie des derniers ..

Hormis quelques petites perles, la plupart de ces lettres sont banales, voire même ratées, pas à la hauteur des personnes et personnages si célèbres qui les ont écrites. (Je ne considère pas les lettres des condamnés ou prisonniers de guerre dans cette critique. Ces lettres étant très différentes)

Tirées de leur contexte (car les éléments contextuels sont limités), ces lettres perdent d'autant plus de leur force.

Je ne sais pas comment (bien) lire ce livre. Selon votre inspiration, votre amour d'un des personnages... peut-être, oui peut-être.

J'ai trouvé ce livre par hasard. Pas sûr que le réouvre un jour. Sauf si. Qui sait.
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Journal : 1822-1863

Plus qu’à l’intimité du peintre, c’est à l’intimité de la peinture que nous donne accès ce journal. Aux rapports entre compétence et performance, aux mérites de l’esquisse moyens de distribuer la lumière comme d’amplifier une sensation, à la nécessité de savoir sacrifier pour attirer l’attention sur ce qui le mérite. C’est en peintre que Delacroix analyse et comprend les tableaux de ses maîtres. Rubens, « cet Homère de la peinture » qui représente la quintessence du sublime, et chez qui, toujours, il trouve « le suc, la moelle du sujet avec une exécution qui semble n’avoir rien coûté ». Raphaël et « l’admirable balancement de ses lignes ». Vélasquez chez qui il a trouvé « cet empâté ferme et tant fondu » dont il rêvait. Titien, Corrège, exemple même du génie « incorrect et sublime ». En peintre toujours qu’il critique David, dont les tableaux « manquent d’épiderme », ou Ingres et son École : « puritanisme léché, prétention et gaucherie ». En privilégiant l’effet plutôt que l’exactitude, c’est quelque chose de vrai, c’est-à-dire de naturel, de non-imité, de non-cherché, qu’il s’agit de construire. Quelque chose comme une peinture qui serait l’égal du rêve – sinon l’ombre portée d’un souvenir comme venu d’une autre vie. En fusionnant littérature, peinture et histoire. En mettant en fête et en flammes gestes et couleurs.
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Lettres intimes

Après avoir visité l exposition du Louvres en compagnie d un conférencier brillant, j eus envie d en savoir plus sur Eugène Delacroix et ses lettres intimes me semblaient être une voie pour commencer mon exploration .



le résultat est en demie teinte.



Si je suis séduite par la plume (mais comment peut on écrire si bien depuis si jeune ? mes lettres d adolescente n avaient rien de ces tournures de phrases qui vous font promener comme dans un roman !) je n apprends rien de fascinant dans le contenu si ce n est :

- qu il aime la chasse ( ce qui est à mon opposé total et malheureusement est très présent dans ces lettres)

- qu'il a une santé fragile (fièvre, migraines et j en passe - je ne peux que compatir connaissant de certaines problematiques les handicaps alors supportés)

- qu'il est fidèle mais aussi exigeant en amitié ! pas un courrier sans presser son correspondant de lui répondre rapidement alors même qu'il ne tient pas lui même un rythme rapide

- qu'il est fougueux (toutes ses correspondances sont empruntes de vie et de fougue quel que soit le sujet)

- qu il est sentimental (en amitié comme en fratrie)

- qu'il est érudit : traduire Dante de l'italien et fort bien car j ai compris Ugolin mieux que dans ma traduction de L Enfer de Dante ! parler l anglais

- qu'il peut être snob : quand il accorde aux paysans le droit de ne pas réfléchir mais pas aux gens "cultivés"



j ai passé un agréable moment avec cette plume même si j ai souvent eu envie de contourner les parties de chasse et lui demander d être moins dramaturge avec son " Adieu" en bas de chaque lettre même si je suis consciente qu'il s agit de tournure de l'époque.



j ai retenu 2 citations merveilleuses sur la vie me semble t il : l amour et l ivresse ...
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Carnets de voyages

Regards d'artiste sur une société en découverte
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Les Dangers de la cour - Alfred - Victoria

Au sortir de l’adolescence, le futur grand peintre de la mi-XIXe siècle s’essaye à la littérature. A découvrir en parallèle à la rétrospective du Louvre.
Lien : http://www.lemonde.fr/livres..
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Journal : 1822-1863

Livre de chevet.
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