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Citation de StCyr


StCyr
20 novembre 2014

M. Hardy occupait, on l’a dit, un pavillon dans la maison de retraite annexée à la demeure occupée rue de Vaugirard par bon nombre de révérends pères de la compagnie de Jésus. Rien de plus calme, de plus silencieux que cette demeure ; on y parlait toujours à voix basse, les serviteurs eux-mêmes avaient quelque chose de mielleux dans leurs paroles, de béat dans leur démarche.

Ainsi que dans tout ce qui, de près ou de loin, subit l’action compressive et annihilante de ces hommes, l’animation, la vie, manquaient dans cette maison d’une tranquillité morne. Ses pensionnaires y menaient une existence d’une monotonie pesante, d’une régularité glaciale, coupée çà et là pour quelques-uns par des pratiques dévotieuses ; aussi, bientôt, et selon les prévisions intéressées des révérends pères, l’esprit, sans aliment, sans commerce extérieur, sans excitation, s’alanguissait dans la solitude ; les battements du cœur semblaient se ralentir, l’âme s’engourdissait, le moral s’affaiblissait peu à peu ; enfin tout libre arbitre, toute volonté s’éteignait, et les pensionnaires, soumis aux mêmes procédés de complet anéantissement que les novices de la compagnie, devenaient aussi des cadavres entre les mains des congréganistes.

De ces manœuvres, le but était clair et simple ; elles assuraient le bon succès des captations de toutes natures, terme incessant de la politique et de l’impitoyable cupidité de ces prêtres ; au moyen des sommes énormes dont ils devenaient ainsi maîtres ou détenteurs, ils poursuivaient et assuraient la réussite de leurs projets, dussent le meurtre, l’incendie, la révolte, enfin toutes les horreurs de la guerre civile, excitée et soudoyée par eux, ensanglanter les pays dont ils convoitaient le ténébreux gouvernement.

Comme levier, l’argent acquis par tous les moyens possibles, des plus honteux aux plus criminels ; comme but, la domination despotique des intelligences et des consciences, afin de les exploiter fructueusement au profit de la compagnie de Jésus : tels ont été et tels seront toujours les moyens et les fins de ces religieux.

Ainsi, entre autres moyens de faire affluer l’argent dans leurs caisses toujours béantes, les révérends pères avaient fondé la maison de retraite où se trouvait alors M. Hardy.

Les personnes à esprit malade, au cœur brisé, à l’intelligence affaiblie, égarées par une fausse dévotion, et trompées d’ailleurs par les recommandations des membres les plus influents du parti prêtre, étaient attirées, choyées, puis insensiblement isolées, séquestrées, et finalement dépouillées dans ce religieux repaire, le tout le plus benoîtement du monde, et ad majorem Dei gloriam, selon la devise de l’honorable société.

En argot jésuitique, ainsi qu’on peut le voir dans d’hypocrites prospectus destinés aux bonnes gens, dupes de ces piperies, ces pieux coupe-gorge s’appellent généralement :

« De saints asiles ouverts aux âmes fatiguées des vains bruissements du monde. »

Ou bien encore ils s’intitulent :

« De calmes retraites où le fidèle, heureusement délivré des attachements périssables d’ici-bas et des liens terrestres de la famille, peut enfin, seul à seul avec Dieu, travailler efficacement à son salut, » etc.

Ceci posé, et malheureusement prouvé par mille exemples de captations indignes, opérées dans un grand nombre de maisons religieuses, au préjudice de la famille de plusieurs pensionnaires ; ceci, disons-nous, posé, admis, prouvé… qu’un esprit droit vienne reprocher à l’État de ne pas surveiller suffisamment ces endroits hasardeux, il faut entendre les cris du parti prêtre, les invocations à la liberté individuelle… les désolations, les lamentations, à propos de la tyrannie qui veut opprimer les consciences.

À ceci ne pourrait-on pas répondre que, ces singulières prétentions accueillies comme légitimes, les teneurs de biribi et de roulette auraient aussi le droit d’invoquer la liberté individuelle, et d’appeler des décisions qui ont fermé leurs tripots ? Après tout, on a aussi attenté à la liberté des joueurs qui venaient librement, allègrement, engloutir leur patrimoine dans ces repaires ; on a tyrannisé leur conscience, qui leur permettait de perdre sur une carte les dernières ressources de leur famille.

Oui, nous le demandons positivement, sincèrement, sérieusement : quelle différence y a-t-il entre un homme qui ruine ou qui dépouille les siens à force de jouer rouge ou noir, et l’homme, qui ruine et dépouille les siens dans l’espoir douteux d’être heureux ponte à ce jeu d’enfer ou de paradis, que certains prêtres ont eu la sacrilège audace d’imaginer afin de s’en faire les croupiers ?

Rien n’est plus opposé au véritable et divin esprit du christianisme que ces spoliations effrontées ; c’est le repentir des fautes, c’est la pratique de toutes les vertus, c’est le dévouement à qui souffre, c’est l’amour du prochain qui méritent le ciel, et non pas une somme d’argent, plus ou moins forte, engagée comme enjeu dans l’espoir de gagner le paradis, et subtilisée par de faux prêtres qui font sauter la coupe et qui exploitent les faibles d’esprit à l’aide de prestidigitations infiniment lucratives.

Tel était donc l’asile de paix et d’innocence où se trouvait M. Hardy.
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