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Citations de Eugenio Corti (54)


L’attentat contre le dictateur allemand, de la part de ses propres généraux, nous fit croire à la fin de la guerre. Hitler ne fut pas tué, mais les soldats allemands - non pas considérés dans l'abstrait : ceux qui étaient déployés sur les collines, là, devant nous, et tous ceux, pris un par un, qui se battaient sur d’autres fronts - allaient ils encore se faire tuer, maintenant que l'inutilité en était à tel point évidente ?

Il était horrifîant de penser que tant de courage et une aussi extraordinaire fidélité continuaient à être aussi obstinément gaspillés de cette façon ; un gaspillage de nature - je le redoutais à nous amoindrir tous...
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Nous reconnûmes les Alpins de loin à leur chapeau à plume d'aigle, et à la disposition insolite de leurs détachements compacts ; et de près au grand nombre de barbes, ainsi qu'à l'allure de ceux d'entre eux qui, sortis de leur formation compacte (c'était tout de même des Italiens), baguenaudaient ça et là au soleil de leur pas indolent et fier.
Nous les saluâmes avec une espèce d'exaltation (la même qui m'aiguillonne encore aujourd'hui à leur souvenir) parce que si, avec certaines divisions ordinaires, nous autres Italiens avons aligné les troupes les moins efficaces peut-être de toutes celles qui ont fait la guerre, nous savions du moins qu'avec les divisions alpines nous avions aligné les meilleures de toutes. (Miroir, là aussi, de l'humanité tout entière, qualités et défauts...) Il me revenait à l'esprit la retraite en Russie, encore si proche, les encerclements dans le climat polaire, au cours desquels les Allemands nous avaient ouvert le chemin, à nous les Italiens des divisions ordinaires. Mais pas aux Alpins : dans leur poche, c'est l'inverse qui s'était produit : c'étaient en effet nos montagnards qui, jour après jour, avaient ouvert le chemin aux autres troupes encerclées avec eux. Allemands compris. A travers les brèches ouvertes par la division Tridentina s'étaient glissées les troupes ordinaires italiennes, les maigres restes d'un corps d'armée allemand, et peut-être dix mille Hongrois, de sorte qu'à la fin tous arrivèrent à se sauver. Sans appui de l'aviation, sans appui de chars d'assaut ni d'autres véhicules, uniquement grâce au courage incomparable de ces hommes au cœur simple.

C'est donc tout cela que je repassais dans mon esprit lorsque, à Barbara, nous rencontrâmes les Alpins.
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Tout de même, quelle belle ville, Pérouse!

Dans les églises médiévales gisaient les guerriers, la tête reposant sur un coussin de pierre, les mains sur la poitrine, refermées sur la garde de leur lourde épée, semblable à une croix. Leur visage est de pierre, ainsi que leur corps, leur cotte de mailles et les autres habits ; de pierre la hache pendue à leur flanc, si redoutée dans les combats et les duels. Mais la légende dit que leur cœur n'est pas de pierre, et qu'enserré dans son étau de pierre, il est condamné à souffrir aussi longtemps que dureront les factions en quoi les premiers ils ont divisé notre peuple.
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Le 17 arrivèrent pour nous relever des détachements polonais de la Cinquième division Kresowa, reconnaissables à leur insigne, la sirène brandissant une épée. Vu que les parachutistes, comme d'habitude, n'avaient pas assez de camions pour le transport, les Polonais en déchargèrent plusieurs des leurs, et les mirent à leur disposition dans un esprit de fraternité.

Nous savions qu'à ce moment-là ils étaient angoissés par une nouvelle tragédie inhumaine qui se déroulait à Varsovie. En effet, quand à la fin de juillet les Soviétiques étaient arrivés aux faubourgs est de la ville, l'armée des partisans polonais, qu'ils avaient plusieurs fois appelée à l'insurrection, s'était insurgée. Alors les Soviétiques s'étaient arrêtés, et maintenant ils attendaient sans bouger que les insurgés - qui étaient férocement anti-allemands, mais certainement pas communistes - soient anéantis jusqu'au dernier par les Allemands. (Pour la seconde fois, et d'une manière encore plus sanglante que la première, communistes et nazis - bien qu'ennemis mortels - se trouvaient d'accord pour écraser la Pologne, c'est-à-dire un peuple résolu à ne pas perdre sa liberté.) Depuis plusieurs semaines on se battait dans la ville avec un désespoir silencieux. Au début, l'aviation anglaise et celle des Américains avaient lancé des munitions aux insurgés, puis les vols avaient cessé parce que l'état-major soviétique avait interdit aux avions de faire escale à l'intérieur de ses lignes. Maintenante les aviateurs polonais continuaient tout seuls essayant de voler sans escale. Bien souvent ils n'y arrivaient pas : on disait que pour cette raison l'état-major leur interdisait rigoureusement de partir mais que les Polonais refusaient de se plier à cette interdiction.

Ils continuaient donc à partir, les pilotes polonais : une fois en l'air, nul ne savait s'ils volaient le visage durci, ou s'ils pleuraient silencieusement, ou s'ils criaient leur désespoir dans le grondement des quadrimoteurs. Il devait en être de leurs avions comme des oiseaux qui volettent désespérément autour de leur nid assailli par des prédateurs tellement plus forts qu'eux : à la fin ils ne se soutiennent plus en l'air et vont s'abattre au sol, et leur irrépressible douleur cesse brutalement avec leur vie sans mémoire. En quelques semaines, toute l"aviation lourde polonaise allait tomber de cette façon ; à la fin, nous apprendrions qu'il n'existait plus d’aviation lourde polonaise. Les insurgés, après soixante jours de lutte, furent exterminés, le reste de la population déporté, Varsovie rasée sur quatre-vingt-cinq pour cent de sa superficie.

Au cours de la guerre, les hommes commirent bien des actes dont n'importe quelle espèce de bêtes aurait honte; d'autres furent plus sanglants, mais aucun, je crois, ne fut plus honteux que celui-ci.
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Du reste nous devons nous rappeler que bien longtemps avant, les Grecs de l'Antiquité eux aussi avaient vécu en démocratie : d'ailleurs le mot vient justement de chez eux, c'est un mot grec.

Une fois de plus il me sembla entrevoir dans les yeux de certains d’entre eux (comme au cours de nos conversations au Musone) l'espoir que l'on pourrait trouver à la fin le moyen de sortir des malheurs écrasants de notre temps.

— Mais pourquoi est-ce que par la suite la démocratie a disparu en Italie ? voulut savoir Leonardo.

— Parce qu'il y avait eu - exactement comme chez les Grecs en son temps - une dégradation des mœurs, et que peu à peu les gens n'ont plus été disposés à renoncer en partie à leur point de vue pour faire de la place à celui des autres. La situation qui en est venue à se créer au quatorzième siècle, Dante l’a bien décrite : en pratique, pour en finir avec les luttes et les abus continuels, il était devenu indispensable que quelqu'un impose l'ordre par la force. C'est comme ça qu'un peu partout se sont constituées les seigneureries et les principautés et que la democratie a disparu.
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Ah ! Dans quelle terrible situation se trouvait-on, mon Dieu ! Quel renversement dément ! Et c’etait arrivé en l’espace d’un jour à peine... Stefano cessa de parler, et se levant avec décision, commença à taper dans ses mains, à se frapper le corps et à piétiner : il en éprouvait le besoin invincible parce qu’il continuait à avoir la sensation d’etre sur le point de geler.

Ainsi avait commencé l’attente terrible de quelque chose qui, en tout état de cause, ne pouvait être que la mort.
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Les deux jeunes gens se scrutèrent mutuellement. Ils n’etaient en apparence que deux soldats mortellement opposés l’un à l’autre : mais c’etaient d’abord deux artistes, chacun avec son immense et différente tradition derrière lui. Le fait d’etre artiste ne différenciait pas l’Italien de son peuple qui, en un certain sens, est tout entier composé d’artistes (même trop, comme on sait). Il différentiait au contraire, et radicalement, le Russe du sien, faisant de lui une sorte d’etre à part. Alors que l’Italien n’eprouvait que de temps à autre le besoin de communiquer avec d’autres artistes, l’isolement du Russe le rendait au contraire toujours attentif à la présence de l’un d’entre eux avec qui communiquer. « Celui-ci, qui me sort Victor Hugo dans un moment pareil, doit forcément être sensible à la poésie... ».
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" Si vous saviez, mes enfants, quelle saloperie c'est que la guerre", dit-il enfin, et il secoua plusieurs fois la tête, pensif. Des souvenirs lui revenaient en désordre en mémoire, dont un surtout s'imposait : la sensation indiciblement désagréable qu'il avat éprouvée plus de vingt ans auparavant aux paroles lugubres d'un fantassin compagnon de tranchée, alorsqu'ils attendaient de sortir pour l'un de ces horribles assauts, toujours présentés comme déterminants et qui, en fait, ne déterminaient jamais rien. Aujourd'hui, il avait oublié les paroles, mais il se souvenait bien de cette sensation si extraordinairement désagréable.
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-- Qu'est-ce que c'est que ces figures ? s'exclama tout à coup le capitaine Grandi. Allons plutôt, chantez avec moi. Et, avec le peu de voix qui lui restait et qui eût été ridicule dans un moment moins tragique, il entonna la terrible chanson alpine du capitaine moribond qui fait son testament. p 342
(...)
Adieu donc à toi aussi premier amour, adieu pour toujours, ce que nous avions rêvé ne sera jamais... Adieu montagne, patrie, régiment, adieu mère et premier amour, chantaient les chasseurs alpins. Ils chantaient et pleuraient, les chasseurs valeureux, et leur chant patient contenait toute la douleur de notre humaine impuissance. Ils chantèrent encore quand le capitaine ne chantait plus et ne les accompagnait que des yeux. Ils ne cessèrent de chanter que lorsqu'ils se rendirent compte que le capitaine Grandi était mort.
p 343
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La colonne ralentit graduellement et se condensa de plus en plus jusqu'à déborder sur les côtés enneigés de la piste. Les haltes commencèrent, et les mouvements par à-coups. Le froid se faisait plus sauvagement sentir, chaque homme tâchait de s'enfermer en lui-même, il se pliait, baissait la tête comme pour retenir sa propre chaleur. p 281
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– Mais qu’est‑ce qu’il se passe ? Alors nous sommes vraiment sur le point d’entrer en guerre ?
– Ça, on n’en sait rien, répondit Ambrogio. Moi, j’espère bien que non.
Il marqua un temps de pause, attitude qui, à l’évidence, lui était naturelle.
– C’est vrai que si la guerre éclate, observa‑t‑il, la chance d’aujourd’hui nous la paierons cher… Ils marchèrent un moment en silence.
– En tout cas, objecta Stefano, répétant ce qu’il avait dit précédemment à son père, pour l’instant nous ne sommes pas en guerre. Et tant que nous n’y sommes pas, il y a toujours de l’espoir.
– C’est sûr, il est inutile de crier avant qu’on ne nous écorche, d’autant plus que toi et moi n’y pouvons absolument rien.
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"Mais c'est un fait", recommença-t-il à penser, "que si l'on excluait du tableau la faille que les hommes ont en eux - faille qui se fait sentir en tout-, leur histoire serait inexplicable."
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Depuis sa tranchée, haute sur la rive du fleuve, Stefano pouvait voir, au-dessous, le bois changer de couleur, de jour en jour. Avant de tomber, les feuilles -- en une sorte de fête d’adieu à leur existence si brêve -- se paraient des teintes les plus belles : l’or et le rouge, ou le jaune délicat, ou le rouille et le brun, chacune selon son espèce. Venant du nord-est, c’est-à-dire de la direction même du vent apparurent et se succédèrent -- haut dans le ciel -- des bandes de canards migrateurs : ils volaient en formation en V ou en simples lignes obliques, avec des cris insistants. Le jeune homme les observait avec le dépit du chasseur contraint malgré lui à ne pas tirer sur la proie (on avait tout de suite diffusé des ordres péremptoires à ce sujet). Ces cris rauques, qui résonnaient à l’improviste de jour et de nuit, lui paraissaient aussi être comme un au revoir : les animaux s’en allaient, abandonnant ces lieux où l’hiver était si inclément... p 194
p196 C’est ainsi que le commencement des ennuis sérieux les prit au dépourvu.
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Ainsi avait commencé l’attente terrible de quelque chose qui, en tout état de cause, ne pouvait être que la mort.
Aucun de ces hommes torturés qui avaient choisi de «bien mourir», n’acceptait en réalité de mourir : de même qu’on ne peut pas tenir la main sur un fer rouge, aucun d’entre eux, en effet, ne pouvaient arrêter sa pensée sur la perspective qu’il serait bientôt un cadavre. Certes, puisqu’ils n’étaient pas disposés à devenir des êtres misérables et pleurnicheurs qui, probablement, seraient tués de toute façon, il ne leur restaient qu’à mourir en combattant ; mais ce n’était pas pour autant qu’ils l’acceptaient. L’homme, même quand il se porte à la rencontre de la mort, n’accepte jamais de mourir. Les minutes passaient, insoutenables. p 248
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Portant les armes sur leurs épaules, les hommes de la compagnie s’étaient avancés dans le bois en direction des avant-gardes, le long de la piste qu’ils avaient suivie jusque-là en camion. De temps en temps ils pouvaient apercevoir, à droite entre les arbres, une autre compagnie du bataillon qui avançait de la même manière. Dans les pauses de la fusillade, une tourterelle solitaire se mettait à chanter dans les bois.
.... Dans les pauses du tir recommençait à roucouler, solitaire, la tourterelle. «Il faut qu’elle soit bien en pleine période des amours, celle-là, pour ne pas s’arrêter de chanter, même dans des moments pareils», pensa Stefano.
p 126
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Au fur et à mesure qu’on s’était rapproché de la côte, le ciel était devenu plus limpide, plus lumineux, comme si l’énorme miroir de l’eau s’y reflétait. Le paysage lui-même s’était fait sensiblement plus clair, et ces couleurs, ainsi que certaines autres particularités du lieu, avaient peu à peu réveillé dans l’âme du jeune homme des sensations oubliées depuis longtemps, sensations qu’il avait éprouvées dans les années lointaines de l’enfance, à l’occasion des premiers voyages à la mer. Mais il n’était pas du genre à s’attarder à de telles choses et il avait donc laissé ces impressions s’évanouir (du reste elles se seraient évanouies malgré lui) : nous ne pouvons retrouver du passé que de rares bribes parfois, et seulement le temps qu’elles se défassent à nouveau. p 55
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Tandis qu'il parlait, je pensais que personne n'entendrait plus Francescoli chanter la chanson triste de la robe emplie de vent. Et qui bientôt, se souviendrait de son amie au front blanc, tuée à Turin ? Dans un certain nombre d'années, personne sur terre ne se souviendrait plus de ces deux-là… Que toute leur réalité dût aboutir au néant, cela ne pouvait être, et ce ne serait pas. Mais que leur aventure terrestre dût se conclure de cette façon, c'était désormais certain, et néanmoins insupportable…
Pendant ce temps sa mère, qui n'avait que lui, continuait probablement à garder prêt son lit et ses autres affaires… Peut-être en serait-il ainsi également de la mienne.
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En Italie est apparu un phénomène plus modeste, mais tout aussi significatif à sa manière : celui du barbouillage des murs des villes, jusqu'à hauteur d'homme (macroscopique à Milan) en général par des mineurs. Lesquels, de toute évidence vides de tout, et en particulier de retenues, essayent d'imposer au milieu environnant l'abrutissement qu'ils sentent croître en eux.
Ce ne sont pour l'instant que des indices, dignes cependant d'attention.
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Vous devez toujours être prêtes, comme si chaque jour de votre vie était le dernier.
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Je t’en prie chère sœur, chère sœur,
A ma mère porte une fleur,
Je n’irai pas jusqu'à demain,
Je n’irai pas jusqu'à demain...
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