Avec Michel Vergé-Francheschi, Arthur Chevallier
Surcouf né sous Louis XV, mort sous Charles X traverse de 1773 à 1827 la Révolution et l' Empire. Malouin d'origine normande, il est l'un des corsaires les plus célèbres après Jean Bart et Duguay Trouin. Franc maçon mais capitaine négrier. Marin absent à Aboukir et Trafalgar. Homme des Lumières apparenté aux frères Lamenais. Roturier mais gendre d'anobli, il est homme des contradictions. Jeune homme il rêvait de gloire et de fortune. Mort à 54 ans il a rempli ses objectifs au delà de toutes ses espérances.
+ Lire la suite
Plus tard, quand Stamati se réveilla, encore décontenancé par le sommeil, il jeta un œil sur la lettre que le facteur avait laissée. Il la ramassa, surpris, la tourna entre ses doigts, en examinant l’adresse et les timbres étrangers. Il déchira l’enveloppe, et, d’un coup d’œil, évalua la longueur de la lettre en entier. Lorsqu’il déchiffra la signature à la fin, il tressaillit soudain et se frotta les yeux du dos de la main. Était-il réveillé ? Ne rêvait-il pas ? Suffoqué par l’émotion, il commença à lire en vitesse.
La lettre venait de très loin, d’Amérique du Sud, même.
Ils s’arrêtaient dans les clairières des étangs marécageux. Ils cueillaient des nénuphars, des lianes et de jeunes pousses de lys dans les luxuriants jardins des marais qu’un jeu bizarre de la nature avait créés. Ils étaient seuls, pas un autre souffle humain dans le silence solennel de ce désert.
Ils s’embourbaient dans un monde à part, sans aucun lien avec le reste de l’humanité, au milieu de la nature primitive et mystérieuse du delta.
(p. 129)
Sulina, du nom d’un chef cosaque, est la porte du Danube. Le blé en sort et l’or rentre. La clef de cette porte est passée au fil du temps d’une poche à l’autre, après d’incessantes luttes armées et intrigues. Après la guerre de Crimée, c’est l’Europe qui est entrée en possession de cette clef qu’elle tient d’une main ferme et ne compte plus lâcher : elle ne la confie même pas au portier, qui est en droit d’en être le gardien.
Sulina, tout comme Port-Saïd à l’embouchure de Suez, une tour de Babel en miniature, à l’extrémité d’une voie d’eau internationale, vit uniquement du port.
Cette ville, créée par les besoins de la navigation, sans industrie ni agriculture, est condamnée à être rayée de la carte du pays, si on choisit un autre bras du fleuve comme porte principale du Danube.
En attendant, cette cité ancestrale se développe ou décline selon la récolte annuelle.
La population double les années d’abondance et baisse les années de vaches maigres.
D’où vient tout ce monde bigarré ? Marins, commerçants, artisans, portefaix, escrocs, vauriens, femmes de toutes sortes. Oiseaux de proie assoiffés de gain se réunissent ici comme des sauterelles sur l’étroite langue de terre entre le Danube et la mer.
Comme par miracle surgissent bureaux, boutiques, cafés, bistrots, bodegas, cafés-concerts, lupanars, boîtes de nuit, en quelques jours comme des champignons sortis de terre. Toute la nuit, à la lumière électrique, vrombissent les élévateurs par où le blé coule à torrents comme de la poudre d’or des chalands dans les bateaux qui l’emportent sur les mers, vers d’autres pays. Le commerce d’aventures, les jeux de hasard s’épanouissent, et l’argent passe rapidement d’une main à l’autre. Quelle époque féérique ! Ce ne sont que chansons, cris, scandales, larcins, trahisons, un appétit effréné de plaisirs, une vie bruyante, débauchée… jusqu’à ce que le robinet de l’exportation soit fermé.
Une mauvaise année, une maigre récolte et tout le souk maritime disparaît d’un coup de baguette magique : tous se dispersent dans la nuit comme des perdrix. La plupart, là où ils atterrissent, souvent dans une misère noire, demeurent les yeux rivés vers le ciel, rêvant des sept vaches grasses, attendant le retour de la terre promise où le blé pousse, les bonnes années arrosé par la pluie envoyée par le ciel et, les mauvaises années, humidifié par la sueur du paysan roumain.
Penelopa se sentait espionnée. Cela l'irritait affreusement. Parfois, en tremblant de rage, animée d'une légitime rébellion : De quel droit le monde s'immisçait-il dans son existence ? Elle ne demandait rien à personne. Pourquoi ne la laissait-on pas en paix ? Pourquoi vouloir voler son bonheur ? N'était-elle pas seule maîtresse de son corps ? N'était-elle pas libre de vivre sa vie ? L'aversion acharnée des amants pour le reste du monde l'isolait, l'endurcissait chaque jour un peu plus.
La convalescence a été longue. J'ai horriblement souffert avant de me retrouver. Mais je n'étais plus le même. La plaie, je la crois guérie à présent, mais la cicatrice est si sensible, qu'elle s'ouvre parfois et suppure encore. Croyez-moi, docteur, certains regrets sont plus douloureux que les remords, conclut Mincu, la voix éteinte et la gorge serrée.
De jour comme de nuit, on œuvrait au chargement des bateaux. Au cœur de la journée uniquement le port était comme mort. Sous l'averse dorée du soleil estival, engourdie, la nature tout entière dormait. Aucun signe de vie, pas le moindre souffle de vent. La terre et l’eau, les hommes et les animaux tombaient soudain dans une sorte de profonde léthargie. Une fois que le soleil au zénith l'avait par une aveuglante luminosité rendu muet et doré, le port ressemblait, dans la fournaise diurne, à une ville morte, ensommeillée par ensorcellement, pétrifiée par les siècles : une ville fantôme.
Une poussière vaporeuse, qui vibrait dans l’air, flottait à l’horizon comme une mousseline transparente. Dans la rade portuaire, au loin, sous un ciel de porcelaine, de noirs navires gisaient, amarrés, immobiles, pareils à des jouets cloués à la surface lisse de la mer, blanche, étincelante comme une coulée de mercure.
Allongés les uns à côté des autres, dans l’ombre d’un tas de charbon, les dockers, exténués, noirauds, à moitié nus, dormaient.
Devant la douane, près de la guérite qui projetait une ombre illusoire, un garde-frontière roupillait, appuyé à son arme.
Le café en face du débarcadère était vide.
[Ziua și noaptea se lucra la încărcarea vapoarelor. Numai în miezul zilei portul era mort. Sub ploaia de aur a soarelui de vară, natura întreagă dormea moleșită. Nici o adiere, nici un semn de viață. Pământul și apa, oameni și animale cădeau parcă deodată într-o adâncă letargie. Nicio viețuitoare nu mai mișca pe cheiurile înfierbântate. Când soarele ajungea la zenit, portul mut, poleit într-o lumină orbitoare, părea în arșița zilei un oraș mort, adormit printr-o vrajă, pietrificat de veacuri – un oraș fantomă.
O pulbere vaporoasă vibra în unde, plutind în zare ca o muselină transparentă. În rada portului, departe, sub un cer de porțelan, două vapoare negre, zăceau ancorate, fixe, ca niște jucării țintuite pe marea netedă, albă, sclipitoare ca o placă de mercur.
Lungiți la rând, sub peticul de umbră la baza piramidei de bulgări de cărbuni, dormeau doborâți hamalii, negri, pe jumătate goi.
În dreptul vămei, lângă ghereta care da o iluzie de umbră, un grănicer la post pirotea în picioare rezemat de armă.
Cafeneaua din fața debarcaderului era goală.]
–Là-bas, les gens savent faire de l'argent, mais ils ne savent pas le dépenser. Ils marchent comme des fous dans les rues, au pas de course. Il y en a un qui a failli me gifler parce que je l’avais arrêté pour lui demander du feu. C'est qu'ils ne s'attardent pas comme nous au café, en discours, causeries ou bavardages. Ils travaillent, courent et s'agitent jour et nuit.
[–Știu să facă bani oamenii de–acolo, dar nu știu să‑i cheltuiască. Umblă ca nebunii la fugă pe străzi. Unul era să mă cârpească fiindcă l‑am oprit să‑mi dea un foc pentru țigară. Că ei nu stau ca noi la o cafenea de vorbă, la taclale și taifas. Muncesc, aleargă și se frământă ziua și noaptea.]
- A force de trop aimer l'humanité, j'ai fini misanthrope, à force de trop croire en la vérité et en la droiture, je suis devenu sceptique.
Spiru Karaianis était trapu, il avait de grosses mains et une tête de bouledogue, les dents espacées et des lèvres épaisses. C’était le type même du Levantin aux multiples patries, qui s’était enrichi sur le Danube. Venu tout jeune de Marmara, il fut tour à tour balayeur des bureaux d’une agence de voyages dirigée par son oncle, coursier pour documents douaniers et de capitainerie, transporteur de vivres en barque et quatorze ans seulement après, de simple batelier, il devint armateur millionnaire, en possession de quatre navires. En dehors des qualités innées, il était armé d’un anglais levantin appris au Roberts College, école américaine de Constantinople. Au cours d’un voyage à Londres, il avait comploté avec une partie des armateurs anglais pour évincer son oncle ; en détournant à son profit toute sa clientèle, il s’était établi à son compte. Vite enrichi, il n’oublia pas sa patrie. Il avait fait construire à ses frais deux écoles : l’une dans son village natal, l’autre au Pirée.
Admiré, et même envié, il se partageait entre ses trois patries. Il était né dans une île de Turquie, s’était enrichi en Roumanie et faisait de la politique en Grèce.
Il participait à tous les congrès avec mandat de représenter les intérêts des armateurs de la marine marchande grecque.
Affamé, Karaianis surveillait Evantia avec des yeux de loup depuis le jour même où elle avait débarqué à Sulina. Mais il n’avait jamais pu l’approcher. Et soudain, alors qu’il s’y attendait le moins, il vit que le fruit désiré ne demandait qu’à être cueilli. Par défaut de maîtrise, il se démasqua, incapable d’étouffer le désir suscité par l’apparition de la fille venue naïvement quémander un emploi pour son père.
(p. 230)
Il était né dans une île de Turquie, s’était enrichi en Roumanie et faisait de la politique en Grèce.
(p. 230)