Eve Wilson

Pour la circonstance,il avait revétu un costume de flanelle et une chemise gris pale sur laquelle se détachait une magnifique cravate filetée d'or.Le summum du raffinement.Comment avait-elle pu avoir la faiblesse d'avouer à ce chantre des belles manières qu'elle maitrisait la langue russe?Par défi,incontestablement.Tant de perfection appretée,tant d'assurance avaient fini par l'agacer.Mais aussi...pourquoi se le cacher?Parce que la somme coquette qu'on lui avait fait miroiter lui permettrait enfin de passer des vacances avec Mario.Son fiancé n'avait jamais un sou en poche.Et 1000 euros pour diner dans le plus grand restaurant de la capitale,en compagnie d'un homme vers qui tous les regards féminins convergaient,ce n'était pas négligeable.Dans ses pensées,les traits d'Arnaud Kiegel laissèrent place à la bouille sympathique de Mario.Elle se prit à rever de la petite ile tranquille ou ils pourraient aller roucouler cet été...

-vous savez,commença kiegel,notre époque à ses charmes mais aussi ses faiblesses.on parle beaucoup,actuellement,du "look".mais en réalité,de quoi s'agit-il?d'une réponse qu'offre l'habillement à un sentiment d'insécurité typiquement moderne.un homme bien habillé est,en réalité,protégé par une armure.l'élégance est un code qui s'affiche comme un signe de reconnaissance.c'est le nouvel uniforme des conquérents.au dix-neuvième siècle,des auteurs comme Baudelaire en avaient fait une doctrine:le dandysme...

Au beau milieu d'un emplacement envahi de cartons non ouverts,un home,d'une trentaine d'années,attendait dans un costume à rayures bleu foncé.Une chemise crème mettait en valeur sa cravate zébrée.Une allure de dandy,une chevelure mordorée crantée d'ondulations impeccables...Lorsqu'il les posa sur elle,la clarté de ses yeux gris-bleu inonda la jeune femme.

Milena était en train de perdre contenance : ce regard-là était incontestablement l'un des plus beaux qu'il lui ait été donné de croiser! Il savait tour à tour pétiller comme un champagne ou se corser,puissant,comme un grand cru.Pour lui échapper,elle s'absorba dans la contemplation d'un trench-coat en soie prune absolument sublime qu'elle n'avait aucune chance de pouvoir s'offrir.
- Il vous plait?
-Il faudrait etre difficile...balbutia Milena.
Cet homme avait un tel talent pour vanter la marchandise qu'on se demandait s'il parlait du trench ou de sa propre personne.

Un an chez Glenberry avait considérablement étoffé son personnage.La vénérable maison,elle,y avait gagné un dépoussiérage de son image,et une crédibilité sur des marchés jusqu'ici réservés à des marques plus jeunes.Kiegel valait de l'or,disait-on dans le milieu.
Et il le savait.
Il savait aussi que ce genre de chose ne durait pas.
Pour consolider sa réputation dans ce monde ou quelques grandes familles se partagent le pouvoir,il lui fallait-comme autrefois-faire un mariage.

C'était le jour J: la grand-messe du pret-à-porter pouvait commencer.
Seulement,pour Milena,entre hier et aujourd'hui,peu de choses avaient chngé.
Elle courait toujours.Le haut-parleur annonçait l'arrivée des officiels.Faute de personnel compétent,c'était à elle que Monica Regazzoni avait confié la charge de piloter ces messieurs dans les allées.

arnaud kiegel avait retrouvé son air impassible.une main appuyée sur le capot du véhicule,il était renversant de prestance et de self-control.on aurait dit la silhouette de gatsby le magnifique sur le perron de sa demeure.