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Citation de Partemps


"Rien qui ressemble à l'amour comme l'appel de certains paysages vus en rêve,
comme l'encerclement de certaines collines, d'une sorte d'argile matérielle dont la forme est
comme moulée sur la pensée. / Quand nous reverrons-nous? Quand le goût terreux de tes
lèvres viendra-t-il à nouveau frôler l'anxiété de mon esprit? La terre est comme un
tourbillon de lèvres mortelles. La vie creuse devant nous le gouffre de toutes les caresses
qui ont manqué" (I*, 126).
L'espace corporel fusionnel que la langue poétique s'efforce de reconstruire est comme
l'ombre perdue du corps actuel, ce corps sujet aux ruptures et aux failles, découpé par la langue et
les articulations symboliques. Le corps pulsionnel rythmé par "la musicalité infinie des ondes
nerveuses" (I*, 127), ne surgit plus que par éclats fugitifs dans la langue; suffisamment pourtant
pour que s'y reformule le mythe d'une naissance-expulsion qui exile à jamais : "Je les connais,
écrira-t-il plus tard, les cieux de l'euphorie volée" (XX, 175) et plus d'une fois il évoquera la
sensation douloureusement familière de ce qu'il nomme déjà ses "arrachements corporels" (I*,
117). Ici, dans le texte de L'Art et la Mort, la douleur du réveil est décrite comme un nouvel exil
de l'infini, retrouvé en-deçà de toute naissance : "C'est pourquoi tous ceux qui rêvent sans
regretter leurs rêves, sans emporter de ces plongées dans une inconscience féconde un sentiment
d'atroce nostalgie, sont des porcs" (I*, 126). On lira dans les textes ultérieurs le fantasme
progressivement élaboré d'avoir été arraché à la naissance de l'utérus maternel, écorché, tranché
vivant de cette peau commune à la mère et à l'enfant41; la violence des représentations scanderont
alors d'interjections des textes où pourtant se décèle parfois, comme la trace d'un regret
mélancolique, entre "pleutré" et "pleuré" :
"[...] c'est le retournement du gant de peau : grenat de blanc de la goujate / main qui
tranche dans l'entonnoir évasé noir ... du ventre d'oripeaux, // c'est là qu'il est, // c'est
l'Antonin Nalpas / de la mère bleue mariée,// pellicule d'une mamelle de lait de variole bleu
lunée. [...] Quant à ruminer, non, c'est merde. / Agir avant de penser, tout de suite, / en lame
du fouet de fil de la baïonnette de fusil, // c'est bien l'Antonin qui a pleutré" (XIV**, 103).
Traversés par une antériorité pulsionnelle et maternelle, les processus sémiotiques selon
Julia Kristeva, "préparent l'entrée du futur parlant dans le sens et la signification (dans le
symbolique). Mais celui-ci, c'est-à-dire le langage comme nomination, signe, syntaxe ne se
constitue qu'en coupant avec cette antériorité"42. On peut faire ici l'hypothèse que c'est
précisément cette coupure marquant l'entrée du sujet dans le symbolique qui réapparaît dans le
texte d'Artaud, hypostasiée comme faille et blessure, avec une violence qui correspond peut-être
à l'intensité de son attachement fantasmatique au corps maternel : "J'ai de plus en plus besoin de
toi, maintenant que tu n'es plus là, écrit-il à Génica Athanasiou en 1922. Il me semble que je suis
séparé de mon propre corps. Je suis redevenu petit enfant quand ma mère était tout pour moi et
que je ne pouvais me séparer d'elle. Maintenant tu es devenue comme elle, aussi indispensable"
43.

41 Didier Anzieu étudie ce fantasme de peau-commune à la mère et à l'enfant représentant la première phase de leur
union symbiotique dans son ouvrage Le Moi-peau, Dunod, 1985.
42 Polylogue, Seuil, 1977, pp. 161-162.
43 Lettres à Génica Athanasiou, N.R.F., "Le point du jour", 1969, p. 30 (Artaud souligne). Bien des signes incitent à
penser que Génica Athanasiou qu'Artaud rencontra à son arrivée au théâtre de l'Atelier en 1921 fut aussi pour lui une
image de sa propre mère Euphrasie; les origines grecques des deux femmes (lointaines, pour Genica) ne furent
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Il semble que pour Artaud, l'individuation soit une coupure mortelle; la naissance a partie liée
avec la mort et je ne suis au monde que dans un corps coupé, séparé : un cadavre. Et donc, répètet-il, je n'y suis pas : "Je puis dire, moi, vraiment que je ne suis pas au monde"44. Les premiers
textes mettent en œuvre un mouvement de dissolution, de désubjectivation progressive, qui tente
de retrouver en deçà des limites identitaires et du corps mort du symbolique, la langue vivante
d'un sujet pluriel.
C'est déjà ce qu'indique le titre du premier recueil de ses oeuvres qui paraît en 1925,
l'Ombilic des Limbes : retrouver le tracé d'une écriture qui le relie à cet autre corps qui pulse endeçà des limitations subjectives du moi béquillard : "Je ne crois à rien à quoi je ne sois rejoint par
la sensibilité d'un cordon pensant et comme météorique", dira-t-il alors.
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