AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Evgueni Zamiatine (377)


« Ça va mal. Il s'est formé une âme en vous. »
Une âme ? Quel mot étrange et depuis longtemps oublié !
« C'est… très grave ? balbutiai-je.
— Incurable, tranchèrent les ciseaux.
— Mais, en somme, en quoi cela consiste-t-il ? Je ne me rends pas bien compte…
— Comment vous expliquer… vous êtes mathématicien ?
— Oui.
— Supposez une surface plane, ce miroir par exemple. Nous clignons des yeux pour éviter le soleil qui s'y réfléchit. Vous y apercevez également la lumière d'un tube électrique ; tenez, l'ombre d'un avion vient d'y passer. Tout cela ne reste qu'une seconde dans le miroir. Maintenant, supposez que par le feu on amollisse cette surface impénétrable et que les choses ne glissent plus, mais s'incrustent profondément dans ce miroir, derrière lequel, étant enfants, nous cherchions si souvent avec curiosité ce qu'il pouvait y avoir. Cette surface aurait engendré un volume, un corps, un monde. Nous avons en nous un miroir sur lequel glissent le soleil, le tourbillon de l'avion, vos lèvres tremblantes et les lèvres d'un autre aussi… Ce miroir froid réfléchit, renvoie, tandis que le vôtre, maintenant, garde trace de tout et à jamais. Vous avez vu un beau jour une légère ride sur la figure de quelqu'un — vous l'avez toujours en vous ; vous avez entendu quelque part une goutte d'eau tomber dans le silence, vous l'entendez encore maintenant…
— Oui, c'est justement ça », dis-je en le saisissant par la main. J'entendais dans le silence des gouttes d'eau tomber lentement du robinet sur le lavabo, et savais que ce serait pour toujours. « Mais pourquoi ai-je eu tout à coup une âme… Je n'en avais pas et puis, brusquement… Pourquoi personne n'en a-t-il, et moi… »

Note 16.
Commenter  J’apprécie          160
Autour de l'île de Vassilevski s'étendait en une vaste mer le monde ; là-bas il y avait eu la guerre, puis la révolution. Mais dans la chaufferie de Trofim Ivanytch, la chaudière continuait de vrombir ; le manomètre indiquait toujours neuf atmosphères.
Commenter  J’apprécie          153
Il y avait dans la pièce un homme extrêmement sec qui avait l'air d'être découpé dans du papier. De quelque façon qu'il se tournât, on ne le voyait jamais que de profil : une lame luisante et aiguisée, c'était son nez, et des ciseaux, c'était ses lèvres.

Note 13.
Commenter  J’apprécie          150
N'est-il pas absurde que le gouvernement d'alors, puisqu'il avait le toupet de s'appeler ainsi, ait pu laisser la vie sexuelle sans contrôle ? N'importe qui, quand ça lui prenait… C'était une vie absolument a-scientifique et bestiale. Les gens produisaient des enfants à l'aveuglette, comme des animaux. N'est-il pas extraordinaire que, pratiquant le jardinage, l'élevage des volailles, la pisciculture (nous savons de source sûre qu'ils connaissaient ces sciences), ils n'aient pas su s'élever logiquement jusqu'à la dernière marche de cet escalier : la puériculture. Ils n'ont jamais pensé à ce que nous appelons les Normes Maternelle et Paternelle.

Note 3.
Commenter  J’apprécie          150
Les poètes n'habitent plus l'empyrée, ils sont descendus sur la terre et avancent avec nous la main dans la main, aux sons de la sévère marche de l'Usine Musicale. Leur lyre, c'est le frottement matinal des brosses à dents électriques.

Note 12.
Commenter  J’apprécie          150
Les hommes sont comme les romans : avant la dernière page, on ne sait jamais comment ils finiront. Autrement, cela ne vaudrait pas la peine de les lire.
Commenter  J’apprécie          150
S'ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. Mais avant de recourir aux armes, nous essayons la parole.
Commenter  J’apprécie          140
Les enfants sont les seuls philosophes hardis. Et les philosophes hardis sont nécessairement des enfants. Il faut être comme des enfants, il faut toujours demander : "Et après, quoi ?"
Commenter  J’apprécie          140
On ne devrait pas laisser circuler dans la rue ces bandes de petites vérités, nues et chauves Imaginez un peu que mon fidèle adorateur, S, vous le connaissez, du reste, se défasse de tout le mensonge de ses habits et apparaisse en public sous son aspect naturel... ce serait tordant. (p65)
Commenter  J’apprécie          140
Mais nous, nous savons que rêver est le signe d’une
maladie psychique grave.
Commenter  J’apprécie          142
Mais ce ciel! bleu profond, sans un seul nuage pour le souiller (quels goûts sauvages avaient les anciens, si leurs poètes pouvaient trouver l'inspiration dans ces amas de vapeurs ineptes, indisciplinés, qui se cognent sottement).
Commenter  J’apprécie          140
Lorsque les ouïes rose-brun apparurent dans ma chambre, j'en fus très content, je l'avoue. Elle s'assit, arrangea un pli de sa jupe entre ses genoux et me barbouilla tout entier de ses sourires, elle en mit un morceau sur chacune de mes rides. Cela me fut agréable, je me sentis solidement emmailloté, comme un enfant dans ses langes.

Note 21.
Commenter  J’apprécie          140
Cela répondait à un sentiment absurde, mais j'en étais convaincu, je devais le faire. C'était absurde parce que ce devoir n'était qu'un crime. C'était encore absurde parce que la couleur blanche ne peut pas être noire : le devoir et le crime ne peuvent s'allier. À moins que, dans la vie, il n'y ait ni noir, ni blanc et que la couleur ne dépende que des prémisses posées ?

Note 32.
Commenter  J’apprécie          140
Lors de la première explosion, une dizaine de numéros trop curieux se trouvaient sous le tube du moteur ; il n'en resta rien, quelques miettes seulement et un peu de suie. Je consigne ici avec fierté que le rythme de notre travail ne s'est pas arrêté pour cela d'une seconde, personne n'a tressailli, et nous et nos tours avons continué nos mouvements rectilignes et curvilignes avec la même exactitude que si rien ne s'était passé. Et en réalité, qu'était-il arrivé ? Dix numéros, cela fait à peine la cent millionième partie de la masse de l'État Unique, pratiquement, un infiniment petit de troisième ordre. Seuls les anciens connaissaient la pitié, résultat d'une profonde ignorance de l'arithmétique, qui nous paraît ridicule à l'heure actuelle.

Note 19.
Commenter  J’apprécie          140
Elle avait dans les yeux et les sourcils je ne sais quel X étrange et irritant que je ne pouvais saisir et mettre en équation.

Note 2.
Commenter  J’apprécie          140
Tout le monde, conformément aux Tables, était dans les auditoria. Il n’y avait que moi, séparé des autres, qui fût seul… C’était, à la vérité, un spectacle contre nature : imaginez un doigt séparé de la main, de l’ensemble, qui courait par petits sauts, courbé en deux, le long d’un trottoir de verre. Ce doigt, c’est moi. Le plus étrange, le plus antinaturel, c’est que ce doigt ne voudrait absolument pas être sur la main, avec les autres, il voudrait être, ou bien seul, ou bien...
Commenter  J’apprécie          130
Ils sont deux : le premier – courtaud, bas sur pattes, avec les yeux perchés d’un limaçon – il soupèse ses patients ; l’autre – tout mince, des lèvres-ciseaux étincelantes, un nez en lame de sabre… lui.
Je me précipite vers lui comme vers un proche, et, en plein visage (nez-lame) – je lui débite on ne sait quoi à propos d’insomnies, de rêves, d’ombre, de monde jaune. Les lèvres-ciseaux étincellent, sourient.
— Un vilain cas ! Manifestement, vous avez développé une âme.
Une âme ? C’est un vieux mot bizarre, depuis longtemps oublié. On dit encore quelquefois : "états d’âme", "charge d’âmes", "âme en peine"… Mais "une âme" tout court – –
— C’est… très grave, ai-je balbutié.
— Inguérissable, a coupé Ciseaux.

(p. 92-93) / traduction de Hélène Henry
Commenter  J’apprécie          130
Et - comme des enfants - vous n'avalerez toute l'amertume que je vous destine que quand je l'aurai soigneusement enrobée d'un épais sirop romanesque...
Commenter  J’apprécie          132
Alors voici : représentez-vous un carré -un beau carré vivant. Lui aussi, il voudrait bien parler de lui, raconter sa vie. Comprenez: le carré, la dernière idée qui lui viendrait, ce serait de dire qu'il a les quatre côtés égaux : cela, il ne le voit même pas -c'est pour lui de l'habituel, du quotidien. Eh bien, moi aussi je suis dans la situation du carré.
Commenter  J’apprécie          1314
Mes pensées s’entrechoquent doucement, avec un bruit de métal ; l’avion inconnu me transporte dans les régions bleues de mes chères abstractions. Toutes mes méditations sur le « droit unique », dans cet air pur et raréfié, éclatent. Je m’aperçois que c’est seulement un vieux souvenir du préjugé absurde des anciens et de leurs idées sur le « droit ».

Il y a des idées d’argile et des idées éternelles, coulées dans l’or ou dans notre précieux verre. Pour déterminer la matière d’une idée, il suffit de la soumettre à un acide très fort. Les anciens, semble-t-il, connaissent un de ces acides : la reductio ab absurdo, mais ils le craignaient et préféraient voir un ciel quelconque, un ciel d’argile, plutôt que le néant bleu. Grâce au bienfaiteur, nous avons dépassé ce stade et nous n’avons plus besoin de jouets.

Traitons à l’acide l’idée de « droit ». Les plus sages des anciens savaient déjà que la force est la source du droit et que celui-ci n’est qu’une fonction de la force. Supposons deux plateaux de balance, sur l’un se trouve un gramme et sur l’autre une tonne, je suis sur l’un, et les autres, c’est-à-dire « Nous », l’État Unique, sont sur l’autre. N’est-il pas évident qu’il revient au même d’admettre que je puis avoir certains « droits » sur l’État Unique que de croire que le gramme peut contrebalancer la tonne ? De là une distinction naturelle : la tonne est le droit, le gramme le devoir. La seule façon de passer de la nullité à la grandeur, c’est oublier que l’on est un gramme et de se sentir la millionième partie d’une tonne…

J’entends vos protections dans mon silence bleu, habitants pourpres de Vénus, habitants d’Uranus, noirs comme des forgerons. Souvenez-vous que tout ce qui est grand est simple. Seules sont inébranlables et éternelles les quatre règles de l’arithmétique, seule est inébranlable et éternelle la morale basée sur les quatre règles. Elle est la sagesse suprême, le sommet de cette pyramide sur laquelle les hommes, rouges de sueur, haletant et soufflant, grimpent depuis des siècles. De cette hauteur, tout ce qui grouille dans le fond, tout ce qui nous est resté de la barbarie des anciens, présente la même grandeur : la maternité criminelle de O, le meurtre ou encore la folie de cet insensé qui a osé écrire des vers contre l’État Unique. Pour eux, la condamnation est la même : la mort. C’est ce jugement divin auquel rêvaient les hommes des maisons de pierres, éclairés par les rayons roses et naïfs de l’aube de l’histoire : leur « Dieu » punissait de la même façon le sacrilège contre la sainte Église et le meurtre. Vous, Uraniens, sévères et noirs comme ces anciens Espagnols qui savaient si bien brûler les hérétiques, vous gardez le silence ; il me semble que vous êtes de mon avis. J’entends les Vénusiens roses parler de tortures, de châtiments, de retour aux temps barbares. Mes pauvres amis, vous me faites de la peine, vous n’êtes pas capables de raisonner philosophiquement et mathématiquement.

L’histoire de l’humanité monte suivant une spirale, comme un avion. Ces circonférences peuvent être d’or ou de sang, mais en tout cas elles sont divisées en 360°. À partir du zéro on compte 10°, 20°, 200°, 360°, puis de nouveau zéro. Certes, nous sommes revenus au zéro, mais pour un esprit raisonnant mathématiquement, ce zéro est tout différent du précédent. Nous sommes partis du zéro vers la droite et sommes revenus au zéro par la gauche, c’est pourquoi, au lieu d’être au zéro positif, nous sommes au zéro négatif. Vous comprenez ?

Ce zéro m’apparaît comme une immense roc religieux, étroit et coupant comme un couteau. Nous avons quitté le côté noir du Roc Zéro et, tel Christophe Colomb, nous avons vogué dans une obscurité sauvage pendant des siècles en retenant notre respiration ; nous avons fait le tour de la terre et enfin : « Hourra ! Tous aux mâts ! » Nous nous sommes trouvés en face d’un dieu jusque-là inconnu, auréolé par l’éclat polaire de l’État Unique, en face d’une masse bleue d’arcs-en-ciel, de soleils, de milliers de soleils ; de milliards d’arcs-en-ciel…

Qu’est-ce que cela fait, que nous soyons séparés du côté noir du Roc Zéro par l’épaisseur d’un couteau ? Le couteau est l’invention la plus solide, la plus immortelle, la plus géniale de toutes celles que l’homme a faites. Le couteau a servi de guillotine, c’est le moyen universel de trancher tous les nœuds. Le chemin des paradoxes suit son tranchant, c’est le seul chemin digne d’un esprit impavide…
Commenter  J’apprécie          130



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Evgueni Zamiatine (1529)Voir plus

Quiz Voir plus

Quiz sur le livre Oscar et la dame rose

Quelle est la maladie d'Oscar ?

un cancer du poumon
obésité
leucémie

10 questions
44 lecteurs ont répondu
Thème : Oscar et la dame rose de Eric-Emmanuel SchmittCréer un quiz sur cet auteur

{* *}